Une réflexion trotte dans ma tête depuis longtemps déjà : quelle stratégie pour Mozilla ?. Quelle est sa vocation, ses objectifs, les méthodes pour les atteindre ? C'est alors que je suis tombé sur un article anodin intitulé 5 points pour devenir un challenger dangereux. On peut l'utiliser pour mieux réfléchir à la stratégie de notre lézard et de ses camarades alternatifs...

Pourquoi devenir leader ? (Et veut-on l'être vraiment ?)

Non, il n'est pas question de devenir leader. Microsoft dispose d'une telle puissance commerciale, marketing et surtout, intègre son navigateur dans son système d'exploitation. Devenir leader n'est pas une option, et de toute façon, n'a pas d'intérêt. Après tout, puisque l'objectif est de maintenir la pluralité du Web, sa diversité, il n'est nul besoin de devenir leader. Par contre, il faut que les navigateurs alternatifs et conformes aux standards puissent atteindre une masse critique qui leur permettent d'être non négligeables vis à vis des producteurs de contenus et des fournisseurs d'outils de gestion de contenu. Peut-on quantifier cette masse critique ? En tout état de cause, les navigateurs alternatifs proposant un très bon support des standards, ils peuvent être considérés comme un groupe homogène, du point de vue des concepteurs Web. Aussi, 10% de parts de marché semble être un minimum pour se faire entendre et bien sûr, 15% serait mieux.

Connaître son leader

C'est un point souvent sous-estimé par les partisans de navigateurs alternatifs. N'utilisant plus que leur navigateur préféré (certes largement supérieur à IE/Win), ils ont tendance à oublier ce qui fait d'IE/Win un navigateur conforme aux attentes des utilisateurs : il affiche tous les sites, même ceux très mal codés, et il démarre rapidement. N'oublions pas cela.

Benchmarker, mais pas trop

D'un coté, étudier IE/Win n'est pas un problème. Le fait est que l'innovation est très largement du coté des challengers, depuis que le colosse s'en endormi, en 1999. Pour autant, l'intégration d'IE/Win dans LongHorn, prévue pour début 2005, peut aussi être l'occasion de mettre l'accent sur les Web services. D'ici là, il est aussi important pour les challengers de ne pas oublier cet éventuel déplacement du champ de bataille. Mozilla, pour sa part, a déjà fait de grands progrès dans ce domaine.

Adapter sa stratégie

L'article mentionne trois formes de concurrence. Etudions-les :

La guerre des prix

Les navigateurs sont devenus payants, j'ai déjà eu l'occasion de le démontrer. Opera, IE/mac (avec MSN/mac), IE/win (avec LongHorn), Safari (avec Jaguar), sont payants. Netscape est gratuit, et Konqueror, Galeon et Mozilla sont libres en plus d'être gratuits. Pour des raisons évidentes, la gratuité est forcément limitée dans le temps, sauf pour les logiciels libres.

La différenciation

...en apportant une valeur ajoutée, en ciblant une niche ou en façonnant une image de marque. Pour qui a testé les navigateurs alternatifs, la valeur ajoutée est claire en terme confort de navigation, de sécurité. Mais ces deux aspects sont difficiles à percevoir; la sécurité, surtout. Les bogues de sécurité d'IE  ne sont pas connus du grand public, et les éditeurs comme Netscape et Opera n'ont pas intérêt à en parler, pour la simple raison qu'ils ne sont pas à l'abri d'un éventuel trou de sécurité dans leur produit. Il n'en reste pas moins que l'architecture même d'IE/Win, et surtout son intégration dans le système d'exploitation, en plus de ses parts de marché, en font la proie idéal des pirates en manque de reconnaissance. En ce qui concerne l'image de marque, Apple joue cet atout à fond. Les produits Apple sont cools, et les millions de dollars de publicité n'y sont pas pour rien. Par ailleurs, les produits open source sont cools auprès des informaticiens et des passionnés, mais cela reste à l'état de niche. N'oublions pas qu'ils sont prescripteurs. Pour en revenir à la valeur ajoutée, le plus difficile est de la démontrer, tant que l'utilisateur n'a pas lui-même testé le produit. Cela nous amène directement au prochain point :

La substitution

...en proposant un produit ou un service qui remplisse les mêmes fonctions mais basé sur une technologie ou une organisation différente. Il existe actuellement une interrogation au sein de Mozilla : Logiciel intégré (comme Netscape 7.1) ou plusieurs logiciels séparés (FireBird + ThunderBird + Composer) et spécialisés. Je suis un utilisateur heureux de Mozilla 1.4 et de Netscape 7.1. J'apprécie l'intégration des différents modules. Pourtant, je pense que le succès passe par la diffusion de FireBird (navigateur seul). Les raisons sont les suivantes : Il est rapide à télécharger, (6 malheureux mega-octets), il remplace IE/win sans douleur, et sa simplicité rend son adoption très rapide... Le confort de navigation est immédiatement perceptible. A l'inverse, la suite Mozilla semble complexe, ses préférences le sont effectivement, ses modules complémentaires, quoique puissants, sont presque effrayants par la multiplicité d'options qui les accompagnent. De plus, la migration éventuelle des courriers depuis un autre client Mail peuvent rebuter (à juste titre) les utilisateurs éventuels. C'est pourquoi je soutiens l'idée d'utiliser Mozilla Firebird comme fer de lance de la conquête du marché des navigateurs.

Donner des signaux aux marchés

C'est là un grand challenge... pour le challenger. En effet, Mozilla n'ont que peu de moyens de se faire connaître, hormis le bouche à oreille : les budgets marketing n'existent pas pour les logiciels libres. Opera a bien tenté, avec sa version Bork, de se faire entendre avec des moyens proches du guerilla marketing, car sa maigre part de marché ne l'autorise pas à faire de dépenses marketing. Pour autant, la situation n'est pas si noire. Netscape, via son portail netscape.com, a déjà réussi à convaincre 27.000.000 de personnes de télécharger la version 7.0 en 10 mois. Mozilla dispose de centaines de milliers de testeurs, et FireBird a déjà convaincu les utilisateurs les plus visibles du marché, parmi lesquels bon nombre de blogueurs et de journalistes. Il faut continuer cet effort de communication. Comme l'indiquait Cybercodeur, ça n'est pas un effort anti-Microsoft, mais un effort pro-utilisateur. Une fois qu'on a goûté au confort (et au modernisme) de Mozilla FireBird, on ne peut plus revenir en arrière.

En conclusion

Face à un leader qui vient de déclarer forfait, les navigateurs alternatifs ont une occasion de s'imposer, une occasion unique dans l'histoire des navigateurs. Microsoft ne réagit que dans quand il se sent menacé, on l'a vu pour les marchés des consoles de jeux, des téléphones mobiles, de la diffusion d'audio/vidéo en ligne, où les Sony, Nokia et RealNetworks sont menacés. La situation est bien différente aujourd'hui où Microsoft, en situation de monopole, abandonne la bataille. Tant que les navigateurs alternatifs n'atteindront pas les 30 ou 40% de parts de marché, tant qu'ils ne menaceront pas la plateforme Windows (ce qui avait motivé l'attaque contre Netscape), il leur est possible de gagner en popularité. C'est une excellente nouvelle, dans la mesure où c'est la condition nécessaire pour que soit maintenue la diversité du Web, synonyme de sa richesse. Pour y arriver, il faut pourtant dépasser les 10 à 15% de parts de marché, et la supériorité technique des navigateurs alternatifs ne suffira pas. Il faut compenser la quasi-absence de marketing par une persuasion de tous les instants, sur Internet, via les forums, sur les blogs, de vive voix. C'est à vous, ami lecteur, d'agir !