Je suis tombé par hasard sur cet article de Silicon.fr, ou le PDG de Microsoft nous assure que Microsoft doit changer. C'est une certitude. Avec des logiciels libres crédibles chaque jour un peu plus, des client exaspérés, d'effroyables problèmes de sécurité récurrents (Virus, patchs en rafales, une stratégie inefficace, des comportements gestapistes, un lobbying nauséabond en Europe, des pratiques anticoncurrentielles, c'est certain, il faut que cela change.

On trouve souvent des sociétés qui font des produits médiocres, d'autres qui ont des marges indécentes, et nombre d'organisations se conduisent comme une bande de margoulins. Ce qui est bien plus rare, c'est d'avoir une société, comme Microsoft, qui soit dans les trois cas. Et cela n'est pas un hasard, c'est tout simplement le fait d'une position monopolistique. C'est pourquoi un marché capitaliste n'a d'intérêt que s'il est ouvert, et c'est pour cela qu'il existe des lois régissant les monopoles.

Et si finalement, on pouvait s'accomoder de cet état de fait ? C'est vrai que beaucoup de gens font avec. Avec les virus, les mises à jours gargantuesques, les produits abandonnés silencieusement, les trous de sécurité qu'on ne veut pas voir, le racket des nouvelles versions, les prix qui s'envolent... Seulement voilà, la concurrence est absolument nécessaire. Prenons l'exemple des navigateurs (au hasard !). Ami lecteur, si tu as apprécié la série Dallas, avec ses coups tordus et ses richissimes pervers, tu vas te délecter. Si tu préfère au contraire voir David gagner contre Goliath, patiente encore, ça finira bien par arriver. Silence, on tourne !

En 1991, Tim Berners-Lee invente le Web. Microsoft regarde cela d'un oeil distrait, et considère que la chose ne va pas prendre d'envergure. L'avenir, d'après eux, c'est le service en ligne propriétaire. Ils préparent donc MSN, une offre de service propriétaire, qui sera leur fer de lance. Mais voilà, Mosaic, puis Netscape sont lancés. Et Netscape connait une progression fulgurante, tout comme celle du Web. Microsoft se réveille brusquement, et visiblement de mauvaise humeur. Bill Gates déclare que la première des priorités est de remporter le marché du Web. Autrement dit, occuper la position de monopole. Tout s'enchaîne. Microsoft prend une licence de Mosaic (elle est toujours mentionnée dans la fenêtre A propos de Internet Explorer) pour construire plus rapidement Internet Explorer, qui sera gratuit, contrairement à Netscape, payant à l'époque. Microsoft invente des balises propriétaires ne fonctionnant que dans son navigateur et incite les développeurs Web à les utiliser. Je me souviens avoir eu en main (était-ce en 97 ou en 98 ?) un document officiel de Microsoft offrant une copie de leur logiciel FrontPage à tout développeur utilisant des technologies propriétaires --comme ActiveX et l'élément marquee-- et affichant un logo optimisé pour Internet Explorer. Ensuite, Internet Explorer est livré en standard avec Windows, qui occupe déjà la position enviée de monopole des systèmes d'exploitation. Comment Netscape, petite société avec un produit payant qu'il faut télécharger, peut-il lutter contre un géant qui utilise son monopole pour fournir --livré avec la machine-- un produit gratuit et de bonne qualité ? (IE4 était de bonne qualité, par rapport à Netscape 4, contrairement aux versions précédentes d'IE). Entre temps, Microsoft continue le jeu de massacre. Pour augmenter ses parts de marché (au début, Netscape en avait de l'ordre de 85%), Microsoft sacrifie son fer de lance, MSN, au profit d'un partenariat avec AOL, premier fournisseurs d'accès au monde. Les termes de l'accord sont grosso-modo les suivants : AOL utilise la technologie Internet Explorer pour son service propriétaire, en échange de quoi Microsoft place une icône AOL dans Windows, assurant ainsi la promotion du service AOL aux dépends de MSN. AOL s'empresse d'accepter ! Se voir offrir gratuitement de la technologie et du marketing en échange de... De quoi au fait ? Du sacrifice de Netscape. Les deux monstres, AOL et Microsoft contre le petit Netscape, qui n'a pas dit son dernier mot. Le ministère américain de la justice attaque alors Microsoft pour infraction à la loi anti-trust (qui régit les comportements des monopoles). Le procès durera des années et Microsoft sera reconnu coupable. Sur le marché, la guerre continue. Netscape tente alors un tour de force, qui a sidéré le monde entier à l'époque, en ouvrant son code source, en proposant à des tierces parties de comprendre comment fonctionne Netscape 4 et aussi d'y contribuer. Le projet Mozilla était né. (Normalement, là, on entend des trompettes résonner, mais je manque de moyens au niveau production). Le temps passe, et la situation de Netscape empire, très logiquement. Coup de théatre, AOL rachète Netscape contre une poignée de cacahuètes (10 milliards de dollars tout de même, mais on était à l'époque de la bulle Internet, ce qui relativise le montant). Ah, des retournements de situation, une pluie de dollars : je vous avais bien dit que ça ressemblait à Dallas, hein ! AOL attaque Microsoft en justice, au nom de sa nouvelle filiale Netscape. Entre temps, le projet Mozilla permet à Netscape de sortir Netscape 6.0. Le produit, bien trop immature, fait un flop. Netscape 6.1 est plus stable. 6.2 confirme cet état de fait. Netscape 7.0 puis 7.1 établissent la supériorité technique de la technologie de Mozilla. Téléchargé près de 30 millions de fois en quelques mois, Netscape 7 est peut-être le logiciel qui aura connu le plus du succès de toute l'histoire, mouvementée, de Netscape. Pendant ce temps là, Microsoft a atteind son objectif, avec plus de 90% de parts de marché. En utilisant sa puissance marketing, en intégrant Internet Explorer dans Windows, en sacrifiant MSN pour un partenariat avec AOL qui sera fatal à Netscape, la position de monopole est atteinte. Le produit a très peu évolué depuis 1999, soit 4 ans. Pourquoi evoluerait-elle ? Il n'y a plus de concurrence commerciale significative, et faire évoluer un produit coûte cher, alors qu'il ne rapporte rien, puisqu'il est gratuit. Alors, subrepticement, Microsoft arrête Internet Explorer pour le Mac et pour Windows. Le marché des navigateurs est mort (voir Comment gagner de l'argent avec un navigateur à ce sujet). Au final, quel bénéfice pour l'utilisateur ? Un produit médiocre, bourré de trous de sécurité, et aucune innovation depuis des années. Voilà le prix à payer pour qui laisse s'installer un monopole Microsoft.

Tout cela serait anectodique s'il ne s'agissait pas du Web, une invention qui n'en est qu'à ses balbutiements, et dont l'envergure est comparable à l'invention de l'imprimerie. Peut-on laisser les clés du savoir électronique à une entreprise monopolistique qui a démontré à moultes reprises qu'elle n'avait aucuns scrupules ? Je vous laisse répondre, et j'imagine que vous connaissez ma réponse. (pour les sous-doués et les mal-informés, je contribue à un projet libre de navigateur alternatif appellé Mozilla.org).

Et même si le Web n'était qu'un gadget de second rang, il faut savoir apprendre des leçons du passé. Microsoft délaisse le marché des navigateurs pour mieux attaquer d'autres marchés, qui promettent d'être juteux. Il faut dire qu'après avoir habitué les actionnaires à disposer de vaches à lait (Office et Windows) donnant 85% de marge, il faut bien palier au vieillissement de ces même vaches à lait par la conquete de nouveaux marchés qui devront rapporter autant. Pour cela, pas le choix, il faut atteindre la position de monopole dans les marchés que l'on attaque.

Alors, quels sont ces marchés que Microsoft attaque ?

  • Les moteurs de recherche, avec MSN-Search, pour détroner Google
  • Les consoles de jeux, avec la XBox, pour détroner Sony et sa PS/2
  • La téléphonie mobile avec le SmartPhone, contre Symbian.
  • Les assistants numérique personnels, avec Windows CE, contre Palm
  • L'accès Internet et les portails, avec MSN, contre Yahoo
  • La vidéo numérique, avec Windows Media Player, contre RealNetworks
  • ... et quantités d'autres, que je ne pas encore nommer.

Quand Microsoft aura atteint le monopole dans ces différents marchés, en tirant parti de ses monopoles existants, il fera toujours 85% de marge. L'absence de concurrence, pour le consommateur, c'est la perte de son choix, et payer beaucoup plus cher pour un même produit. Est-ce ce que vous souhaitez ?

Pour en revenir à Steve Ballmer, je suis bien d'accord avec lui : ça ne peut pas durer comme ça. Mais je ne crois pas une seule seconde que Microsoft soit capable de changer tout seul. Il faut les aider en ne les laissant pas détenir des monopoles sur d'autres marchés. Pour cela, il suffit de choisir un produit autre que Microsoft quand vous avez le choix. A vous de jouer.