Revenons au valeurs fondatrices du capitalisme : une entreprise a pour objectif principal de générer de la valeur pour ses actionnaires (via la valeur de l'action ou les dividendes reversés). Pour cela, elle doit être bien gérée, et augmenter sans cesse sa profitabilité, conquérir de nouveaux marchés. Tout le reste, c'est du folklore. La notion de service client, de qualité du produit, d'image de marque, ne sont que des moyens pour augmenter la valeur apportée aux actionnaires. A l'aune de ces critères. on peut même dire que Microsoft est une excellente entreprise. Sa gestion est remarquable, son efficacité démontrée, sa croissance perpétuelle, ses marges superbes (+ de 85% !), sa stratégie claire et bien exécutée : obtenir un monopole après l'autre dans des marchés connexes (OS, suites bureautiques, navigateurs Web, affichage de contenu multimédia, organisateurs personnels, consoles de jeux vidéos, téléphonie mobile, etc.).

Donc, voila, je l'ai dit, d'un point de vue strictement capitaliste, Microsoft est une excellente société. Aimerais-je y travailler ? Non, c'est une certitude. Voilà qui est paradoxal, compte tenu de la phrase précédente. Il faut que je vous l'avoue, contenter (donc enrichir) l'actionnaire n'est pas mon but dans la vie. M'enrichir non plus. Pour moi, des valeurs considérées comme obsolètes par beaucoup de gens, comme la qualité, la pérennité, la sécurité, le respect et le développement de la personne (autant comme client que comme employé), la partage du savoir, (et même, allons-y franco, le respect de l'environnement), sont essentielles. L'argent n'est ici qu'un outil pour atteindre la réalisation de ces valeurs. L'argent est un moyen, pas un but.

De ce point de vue là, Microsoft arrive dans les bons derniers au classement des entreprises les plus enviables, quelque part en dessous de Monsanto, et au dessus de Shell (en tant que fournisseur officiel de l'apartheid et bourreau nigerian). Félicitons tout de même Microsoft pour n'avoir pas de sang sur les mains (contrairement à Shell) et de ne pas prendre la santé du public à la légère, comme Monsanto. De fait, si Microsoft est néfaste, c'est à une moindre échelle, après tout, laisser des trous de sécurité qui permettent l'infection de 68% des grandes entreprises par le virus Nimda, ça n'est finalement pas grand chose. Qu'est-ce que c'est que quelques millions de disques durs à reformatter, après tout... Que Microsoft dépense 180 millions de dollars par an pour empêcher les informaticiens de partager leurs connaissances, ça n'est pas glorieux, mais au moins il n'y a pas mort d'homme.

Il n'en reste pas moins que plus Microsoft aura du pouvoir, des monopoles, plus la pression qu'il fera subir à son éventuelle concurrence sera forte et la hausse des prix qui s'ensuivra pour les clients sera d'autant plus importante. Il convient donc de conserver une alternative à Microsoft, encore plus sur Internet, outil de partage, de communication et d'ouverture par excellence. Parce que si nous ne sommes pas vigilants, Microsoft poursuivra plus encore son rôle de bonne entreprise : pressurer les clients pour donner plus d'argent à l'actionnaire.

Cela m'amène à plusieurs conclusions. La première, c'est que même si Microsoft est une bonne entreprise, il convient de maintenir la pression pour qu'elle améliore ses logiciels. Ainsi, 7 nouveaux trous de sécurité ont été révélés cette semaine. Faut-il en parler ? Oui ! Laissez des centaines de millions d'internautes en danger de perdre leurs données dans l'ignorance de ces problèmes serait criminel.

La seconde conclusion, c'est que si j'avais à monter une structure juridique pour faire du logiciel, ça ne serait pas une Société Anonyme. Je n'ai rien contre l'actionnaire, mais le servir n'est pas mon objectif. Et la structure juridique se devrait de refleter ces valeurs. Pour moi, un client n'est pas un consommateur juste bon à être tondu. C'est un utilisateur. Toute la différence est là.