Des enjeux colossaux

Les éditeurs de technologies propriétaires ont une trouille bleue du logiciel Libre, si différent de leur modèle. En effet, avec Internet et la possibilité de créer des communautés virtuelles pour développer du logiciel Libre, ce qui était avant la lubie de quelques Geeks isolés est devenu un formidable effort collectif qui a permis de faire des produits largement meilleurs dans certains cas (et gratuits le plus souvent) que leurs équivalents propriétaires. Mozilla n'est là qu'un exemple parmi tant d'autres.

Devant une telle menace sur leurs profits, les entreprises ne peuvent pas rester les bras croisés ; elles se doivent de réagir pour contrer le danger. Il ne reste plus qu'à trouver les parades contre le spectre du Libre. Dans ce jeu, tous les coups sont permis. C'est une guerre. J'ai en tête une description de poste d'évangeliste chez Microsoft qui expliquait que le candidat devait savoir dépasser les bornes et savoir demander pardon s'il se faisait attraper. L'annonce en question avait fait scandale et avait été immédiatement retirée du site où elle était affiché : toute vérité n'est pas bonne à dire, surtout avec des mots aussi francs. Sur une autre page, qui a elle aussi disparu, un ancien évangeliste de Microsoft, James Plamondon, expliquait que l'évangelisme, c'est la guerre, (la page d'origine a été remplacée par celle-ci, très édulcorée). Bref, dans le monde impitoyable du logiciel propriétaire, seul le resultat compte, et la satisfaction du patron suprême, l'actionnaire (donc à peut près tout le monde dans l'entreprise), est le principal objectif.

Des attaques particulièrement perverses


Puisque l'éthique n'est que partie négligeable au regard de l'efficacité de la méthode, voyons voir un court extrait des principales méthodes utilisées au cours du temps :

Debouts les morts !

Commençons par une spécialité qu'on croyait limitée à la Corse et à ses immigrés installés à la mairie du Vème arrondissement de Paris : faire revenir les morts pour qu'ils influencent les affaires publiques. Mais si, souvenez vous, en Corse, une vieille coutume consiste à faire voter les morts pour faire pencher le scrutin du bon coté. Aux USA, où la question politique passe bien après le profit, les morts sont utilisés pour envoyer des faux courriers de soutien à Microsoft, alors dans une passe difficile. Bien sûr, ça n'est pas très honnête de payer une agence de relations publiques pour organiser une une fausse campagne populaire de soutien. Mais quand en plus on voit que les gens qui envoient des lettres de soutien sont morts et enterrés, ça fait tâche. On savait Internet Explorer obsolète, mais à ce point-là, tout de même !

Le procès SCO

J'ai déjà parlé à plusieurs reprises de l'affaire SCO. Cette entreprise vise à déstabiliser IBM, le principal supporter de Linux, en l'attaquant en justice. Qui est derrière ? Pas facile à dire. On sait que Microsoft a donné entre 6 et 11 millions de dollars à SCO et a incité la société Baystar Capital à investir 50 millions dans la même société (un mail interne a été publié et sa véracité a été confirmée). Il faudrait vraiment être completement neuneu pour croire que Microsoft a agit par altruisme envers SCO qui est quand même détenteur des droits sur la marque Unix, un grand concurrent de Microsoft sur le marché des serveurs. Rappelons que SCO a attaqué deux grands utilisateurs de Linux, démontrant par la même que tout utilisateur de Linux est susceptible d'être trainé en justice. A l'heure qu'il est, il est probable que SCO va perdre le proces contre IBM. Mais là n'est pas le problème. Linux aura été trainé dans la boue pendant plusieurs années. Toujours ça de gagné pour ses (son ?) adversaire(s).

Notons que pendant ce temps-là, SCO envoit des lettres aux membres du congrès américain pour discréditer le logiciel Libre, affirmant que ce dernier, compte tenu de la liberté qu'il procure aux utilisateurs, est tout simplement anti-américain : cela empèche les entreprises d'enfermer leurs utilisateurs pour les tondre ! (Voir le fax de la lettre, format PDF.)

Les rapports foireux de l'Alexis de Tocqueville Institute

C'est le dernier fait en date, et il ne vaut pas mieux que les autres. Puisque Linux remporte les faveurs du marché, il faut le discréditer. Pour cela, on peut traiter son concepteur de pirate ou laisser entendre que l'utilisation de logiciel Libre est dangereuse, car cela pourrait être utilisé par des terroristes. Que croyez-vous que les adversaires de Linux ont choisi ? Oui, les deux, bien sûr. Un organisme de lobbying, appelé le Alexis de Tocqueville Institute a d'abord, en juin 2002, publié un rapport indiquant que l'utilisation par le gouvernement de logiciels Libres pourrait faciliter le travail des terroristes. Le problème c'est que même si ce prétendu institut est très discret sur ses clients, Microsoft a finalement avoué qu'il le finançait.

Deux ans plus tard, en mai dernier, le même ADTI annonce qu'il détient la preuve que Linus Torvalds, initiateur et principal développeur noyau Linux, a piraté du code de différents systèmes d'exploitation pré-existants, dont Minix. C'est hilarant quand on sait que l'auteur de Minix (Andrew S. Tanenbaum) avait une approche technique radicalement opposée à celle de Linus Torvalds (micro-noyau contre noyau monolithique). La base du raisonnement de l'ADTI : c'est impossible pour un homme seul d'écrire le noyau Linux en si peu de temps. Tanenbaum explique sur son site pourquoi il ne doute pas de la capacité de Linus Torvalds à l'avoir fait. On apprend aussi qu'ADTI a demandé à un expert indépendant de vérifier si l'on trouve bien du code en commun entre Linux et Minix. Réponse formelle : (l')analyse démontre formellement l'absence de preuve que quelque partie de code que soit ait été copié dans un sens comme dans un autre. Voilà qui semble avoir frustré l'auteur du rapport, mais n'empêche pas sa publication prochaine.

Et les brevets logiciels dans tout cela ?

Vous me direz qu'effectivement, de telles pratiques ne sont guère glorieuses. Mais de traces d'attaques sur les brevets logiciels, point ! Et pourtant : vous vous souvenez du scandale du brevet FAT ? Cette façon de stocker de l'information sur des disquettes, disques durs et maintenant des cartes mémoires a été inventée en 1976. Et brevetée. 28 ans plus tard, Microsoft annonce qu'il veut faire payer 0,25$ par utilisateur recourrant à ce format. Est bien sûr impacté le projet Libre Samba, qui offre le partage de fichier et d'imprimantes entre Linux et Windows. Comment Samba, qui est gratuit, peut-il payer un quart de dollar pour chaque utilisateur ? Pour l'instant, l'espoir vient de l'association Public Patent Foundation (PPF), qui a demandé au bureau américain des brevets de réexaminer le dossier. Sachant que dans 70% des cas, les brevets sont annulés ou leur champ est restreint, on peut garder le moral.

Par ailleurs, comme l'indique le Wall Street Journal Europe du 4 juin 2004 (édition papier), Microsoft passe à l'offensive sur les brevets, après avoir subi 30 procès pour violation de brevets au cours des années. Cela se traduit de la façon suivante :

  • Création d'une Intellectual Property Unit chez Microsoft par Marshall Phelps, l'ancien de la division équivalente chez IBM, qui avait augmenté les revenus des licences de brevets pour sa précedente entreprise.
  • Parmi les 4.500 brevets détenus (dont l'infâme brevet sur le clic, le double clic et le clic-long, délivré le 27 avril 2004), Microsoft annonce qu'il y aurait plus d'une centaine de négociations en cours autour des brevets.
  • Lors d'un récent séminaire pour les investisseurs de capital-risque, le même Marshall Phelps se serait plaint que des logiciels Open-Source violeraient actuellement des brevets Microsoft. Qu'on se rassure, des dizaines de brevets aussi absurdes que dangereux ont été déposés de façon indue.
Conclusion

Pour conclure, je pense qu'il ne reste plus, même auprès des sceptiques de nature, le moindre doute sur le fait que pour tuer les logiciels Libres, toutes les occasions sont bonnes. A ce titre, les brevets logiciels sont une arme qui n'a pas été encore utilisée. Mais cela ne signifie en rien qu'elle ne le sera pas à terme. Pour tout dire, les évolutions du coté de coté de Microsoft et du marché en général (avec une évolution des litiges pour brevets en pleine explosion) nous annonce des moments difficiles si ces brevets logiciels sont autorisés en Europe.