Voilà, c'est la fin de 36 heures intenses. Je suis dans le TGV qui me ramène à Paris depuis Berne, où j'ai donné une conférence sur le projet Mozilla, Firefox et les standards. Nous sommes vendredi, et je suis fatigué. Il faut bien dire que la semaine a été plutôt chargée. Il y a toujours en tâche de fond la nécessité de trouver un boulot. Je ne m'étendrais pas sur le sujet. J'espère juste que je vais trouver prochainement un job qui me convienne et qui soit compatible avec mon implication dans le projet Mozilla. J'ai encore plein de temps devant moi coté Assedic, mais il n'empêche... Ces derniers jours, les conférences téléphoniques se sont multipliées avec la Mozilla Foundation. Passer 90 minutes au téléphone à parler anglais tard le soir, ça n'est pas pour me reposer, sachant que le matin, il faut se lever tôt pour préparer les enfants et les accompagner à l'école. Il faut ajouter à cela que Philippine et Bénédicte ont été malades. Cette semaine, on a appris qu'il y aurait une beta d'IE7 séparée de Longhorn. Certains d'entre nous pensaient qu'elle arriverait en avril, mais finalement on dirait bien que c'est pour août. Coté relations presse, c'est une occasion unique de démontrer que le navigateur que Microsoft rêve de livrer en 2006 est déjà là, et il marche aussi sur Windows 2000 et XP (sans service Pack 2). Il n'en reste pas moins que cela prend du temps d'expliquer cela aux journalistes. Pendant ce temps-là, les autres dossiers n'avancent pas.

Mercredi, nouvelle conférence téléphonique avec Mozilla Foundation. On travaille à finaliser une nouvelle initiative marketing que j'ai l'honneur de piloter. J'espère qu'elle va faire du bruit (oui, c'est du teasing !).

Jeudi matin, départ pour Berne en TGV. Les billets que j'ai commandé sur le Web ne sont toujours pas dans ma boite aux lettres. De la poste ou de la SNCF, je ne sais pas quel est le monopole d'état qui a foiré son coup, mais je sais que c'est moi qui trinque... Je monte dans le train, je signale le problème au contrôleur qui me demande de payer une seconde fois. J'ouvre les yeux comme des soucoupes. Il me répond que plaie d'argent n'est pas mortelle. Surtout pour celui qui touche le pognon deux fois ! L'envie de lui foutre mon battoir droit dans la tronche et de le finir à grands coups de talon rageurs me traverse l'esprit, mais je en suis pas sûr que cela serve ma cause. Il me reste à me faire rembourser par la SNCF les billets, dont deux (sur les trois) sont libellés en francs suisses. Tout cela promet des moments de qualité au guichet SNCF après avoir fait la queue, chose que je cherchais justement à éviter en prenant un billet sur le Web. Bill Gates aurait dit en 1994, alors qu'il préparait MSN, son service en ligne propriétaire, Le Web ? Ce truc-là ne marchera jamais. Grâce aux efforts conjugués de la Poste et de la SNCF, je finirais presque par croire qu'il avait raison ;-)

Arrivée à Berne malgré tout, je retrouve Andreas, l'un des organisateurs de LOTS.ch, et Brian King, COO de MozGevGroup. Brian est l'un des artisans de XUL et développeurs d'applications sur la plateforme Mozilla. Irlandais basé en Slovénie, il dirige une société américaine. On passe à l'hotel déposer le sac à dos et on retrouve Stefano Mazzocchi, chercheur au MIT et membre du board de l'Apache Foundation, initiateur du projet Apache Cocoon. Direction le Papa Joe's, un Tex-Mex australien qu'on ne trouve qu'en Suisse : toute la mondialisation dans son assiette ! Il faut dire qu'autour de la table, on trouve un italien basé aux USA (Stefano), un allemand (Erik, contributeur Apache), un irlandais basé en Slovénie (Brian) et un auvergnat (moi). Dîner d'une brochette de kangourou accompagnée de fajitas suisses est finalement une évidence...

La discussion tourne autour du Libre, de la technologie et du Web (sémantique ou pas). Il faut dire qu'entre les gars d'Apache et ceux de Mozilla, c'était difficile de faire autrement. Stefano est un garçon brillant, et il me balance quelques phrases qui font chaud au coeur à propos de la réussite du projet Mozilla, même si ne nous sommes pas toujours d'accord. Ainsi, quand Netscape/AOL a lâché Mozilla.org, il a pensé que l'affaire était gagnée. Si j'avais pensé la même chose, je serais probablement en train de me morfondre chez un éditeur de logiciels propriétaires, avec un salaire de ministre et une berline allemande de fonction, en calculant combien on pris mes stock-options pendant la nuit, et comment je vais bien pouvoir les dépenser en futilités. Au lieu de ça... enfin, vous connaissez l'histoire...

La discussion avec Stefano continue, et c'est sympa d'avoir une vision de Mozilla depuis l'extérieur, de la part de quelqu'un d'aussi brillant et aussi impliqué dans le Web et le Libre. Quelques bribes me reviennent à l'esprit : Microsoft can't be less expensive than free ; et aussi le fait que Microsoft ne puisse pas combattre un produit commoditized sur le long terme, de la même façon qu'ils n'ont jamais réussi à s'imposer face à Apache dans le domaine des serveurs Web, même en le livrant par défaut avec Windows. Je ne demande qu'à le croire. Il ne faut jamais sous-estimer son concurrent, surtout quand c'est Microsoft.

Dehors, le paysage suisse défile sous la neige. C'est magnifique. On se croirait dans une image codée en 4 niveaux de gris. La terre est noire, la neige blanche, le lac Léman gris moyen et le ciel gris foncé. L'air est très pur et tout apparaît de façon étonnament nette. Les arbres, noirs aussi, pointent vers le ciel comme pour l'implorer. Les vignes, en bordure du Léman, ajoutent une dimension graphique au paysage. Dans l'iPod, Francis Cabrel chante un blues fascinant tu pars, j'te vois v'nir. Quelques notes de guitare, une contrebasse et l'orgue Hammond me filent le blues. C'est la fatigue, le train, peut-être. La musique sûrement. J'ai un doute... Allons-nous laisser le Web à Microsoft, lui qui le trouve franchement embarrassant, car n'ayant pas trouvé un moyen de le rentabiliser ? Ou au contraire, allons-nous réussir à fournir une technologie qui permette à tous de bénéficier du plein potentiel du Web ? Je pense qu'il y a une opportunité unique de fédérer les énergies de tous les acteurs autour de ce projet. Gouvernements occidentaux, portails, sites marchands, blogueurs, développeurs, utilisateurs, éditeurs de logiciels, entrepreneurs, partisans du Libre, pays émergents, tout le monde, en bref, à part Microsoft[1], a intérêt à disposer d'une gamme d'outils intéropérables[2] pour tirer profit du Web. A nous, Mozilliens, de porter le projet clé, de fédérer l'énergie de chacun des acteurs sans nous compromettre avec les uns ou les autres. Les difficultés qui nous attendent sont de taille, mais l'enjeu est plus important encore. Tiens, Cabrel a cessé son blues. Il chante maintenant quelque chose de bien plus entraînant, la vie me donne ce que j'attend d'elle, bonne nouvelle. Bonne nouvelle, en effet. A moi d'aider ce projet à aboutir, à moi de continuer à prendre un plaisir immense en faisant ce qui me passionne : améliorer un tout petit peu ce monde, à ma très modeste échelle, en tapotant sur mon clavier...

Notes

[1] et les crétins qui prennent Bill Gates pour un messie.

[2] navigateurs Libres ou non, mais conformes aux standards.