Il y a peu près deux ans, commençait la préparation d'un changement important dans la gamme Mozilla, à savoir le passage d'un logiciel monolithique (la suite Mozilla 1.x, nom de code Seamonkey) à un ensemble de logiciels modulaires qui offraient plus de choix à l'utilisateur (Firefox, Thunderbird...).

L'expérience a très largement démontré le bienfait de cette démarche. Le lancement de Firefox a été tonitruant et le nombre de téléchargements absolument fabuleux, du jamais vu ni dans le monde des navigateurs ni dans le monde du Libre. Avec 10% de parts de marché en France et près de 15% en Allemagne, c'est incontestablement beaucoup plus que si nous étions restés avec une application monolithique; et ce, pour une raison toute simple : il est possible d'adopter Firefox sans avoir à migrer ses archives de mail. Il est donc possible de faire demi-tour et de revenir à IE. Et ça, c'est essentiel, pour le succès de Firefox. La qualité, le design des logiciels, le fait qu'ils sont simples d'approche est aussi très important.

Permettez-moi une analogie gourmande : j'adore la saucisse sèche, mais il ne me viendrait pas à l'idée d'en gober une. Par contre, une fois coupée en tranche, je suis capable d'en manger une quantité déraisonnable. Dans notre cas, la saucisse sèche, c'est Seamonkey, et les tranches, ce sont les applications comme Firefox et Thunderbird. L'utilisateur peut goûter une première tranche (Firefox) sans s'engager à adopter tous les logiciels. A ce titre, et en référence à la mission de Mozilla Foundation et Mozilla Europe (rétablir la concurrence et l'innovation sur Internet), Firefox est très largement supérieur à Seamonkey car il a une reconnaissance très supérieure du public.

Or, compte tenu de la taille de la Mozilla Foundation, il n'est pas possible de gérer un trop grand nombre de projets. Pour être en contact avec eux très régulièrement, je peux vous promettre que ce ne sont pas des feignants. Mais à vouloir trop en faire, on fait tout mal. Il leur faut se concentrer sur l'essentiel et choisir ses priorités.

Les voici :

  1. Continuer à améliorer Firefox, sortir la 1.1, la 1.5 et la 2.0 (coûteux en énergie) ;
  2. Continuer à améliorer Thunderbird (coûteux en énergie) ;
  3. Continuer à améliorer XULRunner et toutes les technologies sous-jacentes nécessaires aux produits Firefox et Thunderbird (Extrêmement coûteux en énergie) ;
  4. continuer à fournir des rustines à Mozilla 1.7.x, version stable largement déployée dans les entreprises (peu coûteux en énergie) ;

En fait, ce qui est difficile, c'est d'imposer aux développeurs de porter leurs modifications de Firefox et Thunderbird sur Seamonkey : ça augmente très sensiblement la charge de travail sur beaucoup de bugs et ralentit donc le développement de Firefox et Thunderbird, ce qui est un luxe qu'on ne peut pas se permettre.

Cette situation a été envisagée depuis longtemps. Ceux qui sont impliqués dans le projet depuis quelque temps savent bien qu'on a cru pendant un moment qu'il n'y aurait pas de Mozilla 1.7, qui est finalement devenue la branche stable, comme la 1.0 et la 1.4 en leur temps.

Est-ce que cela veut dire que Seamonkey est abandonné ? Non, cela veut juste dire que son évolution n'est plus gérée par la Mozilla Foundation. Je laisse la parole à Mitchell Baker, dans son récent article

La Mozilla Foundation va cesser le développement de nouvelles fonctionnalités du produit Seamonkey. (Nous continuerons à fournir des mises à jour de maintenance et de sécurité aux utilisateurs de la 1.7.x). Cette décision a été discutée très largement, et je ne rentrerais pas dans les détails de notre raisonnement : nous croyons que c'est la bonne décision pour préserver la santé du projet Mozilla. Il y a une base d'utilisateurs et de développeurs qui restent intéressés par Seamonkey. Dans le monde traditionnel propriétaire, ces utilisateurs et développeurs auraient à faire leur deuil du produit, coincés pour toujours avec la dernière version distribuée par le fournisseur, ou bien forcés à faire une mise à jour non désirée. Dans le monde de l'Open Source, ça n'est pas le cas, et Seamonkey en est la démonstration.

En effet, les développeurs pourront continuer à travailler sur Seamonkey, car le code est Libre. Mais Mozilla Foundation veut allez plus loin. Ainsi, Boris Zbarsky, qui est un type formidable dont on parle trop peu, a addressé une lettre ouverte à la Mozilla Foundation, avec un plan d'action. Ce plan d'action est en cours de validation. En substance, Mozilla Foundation offrirait un soutien logistique au projet, en hébergeant le project sur son CVS, en offrant (à confirmer) les machines de compilation nocturne etc... Seamonkey continuera à vivre en tant que projet (comme Minimo ou Camino), mais pas en tant que produit (en tout cas, pas au delà des versions 1.7.x). Il faudra donc lui trouver un nom autre que Mozilla 1.x, pour ne pas laisser croire aux utilisateurs que c'est un produit officiel de Mozilla Foundation.

Pour moi, la situation est un excellent compromis. Dans un monde idéal, Mozilla Foundation n'aurait pas de contingence matérielle et pourrait poursuivre tout de front. Mais nous ne sommes pas dans un monde idéal, sinon tous les navigateurs respecteraient les standards, il n'y aurait pas de trous de sécurité et j'aurais un boulot. ;-)

Encore une fois, cette situation est attendue depuis environ deux ans, comme l'indiquait la roadmap. Elle aurait même du arriver plus tôt, et Mozilla Foundation l'a fait durer le plus longtemps possible pour ne brusquer personne. S'il y avait un reproche à leur faire, c'est de n'avoir pas été plus efficace en terme de communication. J'espère que la leçon est apprise et que ce modeste article va aider à disperser l'incompréhension.

Quelques références :