Les Echos nous informent que Microsoft et l'Inria vont créer une laboratoire commun en France[1]. Je suis tout à fait pour qu'il y ait plus de relations entre la recherche et l'industrie. C'est une évidence. L'industrie a des moyens financiers qui manquent cruellement à la recherche, surtout en France.

Avant de sabrer le champagne, réflechissons un peu...

Si l'on en croit les Echos, Le groupe de Redmond devrait investir pour la circonstance plus de 10 millions d'euros. Cela me paraît bien peu, pour trois raisons :

  1. compte tenu de ce que les administrations françaises dépensent en licences Microsoft, 10 millions, c'est négligeable. Rappelons qu'une des raisons de la migration de la Gendarmerie Nationale est le coût des licences : 2 millions d'euros par an, et 20 millions pour tout remettre à niveau, si mes chiffres sont exacts (mais comment savoir ?) ;
  2. Microsoft Research, d'après Les Echos, dispose d'un budget de 6 milliards de dollars (4,6 milliards d'euros environ). 15% de ce budget (donc 700 millions d'euros) vont aux universités. 10 millions d'euros pour l'Inria, par rapport à un budget de 4,6 milliards, c'est 0,2% de son budget. Pire que négligeable, c'est inexistant. Je ne vous fais pas l'affront de comparer ceci avec les bénéfices annuels de la firme (8,2 milliards de dollars ), et encore moins avec ses réserves de cash (plus de 60 milliards la dernière fois que j'ai vérifié).
  3. Passez moi la boutade, mais pour dix millions, t'as plus rien ! (ou trop peu). Au niveau de la recherche, qui s'inscrit par essence dans la durée, on ne va nulle part avec 10 millions d'euros. Microsoft Research emploie 700 chercheurs pour un budget hors universités de 3,9 milliards d'euros. Avec un tel ratio, avec les 10 millions proposés à l'Inria, on financerait... 1,8 chercheurs ! (Cherchez l'erreur).

Aussi, il faut chercher ailleurs les raisons de cette action.

Pour Microsoft, c'est une excellente façon d'améliorer son image en France. Malmenée par les procès successifs, elle en a bien besoin, en effet. L'alliance avec l'Inria vient en renfort de la campagne de publicité On imagine qui se déroule actuellement dans les magazines et à la télévision. Et 10 millions d'euros, c'est bien peu à coté du coût de la campagne.

Pour le gouvernement français, c'est l'occasion de communiquer sur la France qui gagne, qui sait forger des alliances avec les grandes entreprises de ce monde.

Les Echos expliquent cela très bien :

Avec cette initiative, Microsoft espère améliorer son image de marque dans l'Hexagone, l'une des pires dans le monde (« Les Echos » du 4 avril). De son côté, le gouvernement veut démontrer que la France peut attirer des investissements étrangers et créer de l'emploi grâce à la qualité de ses chercheurs.

Bien plus que d'un investissement dans la recherche, nous sommes-là dans le domaine de la communication et du marketing.

Les Echos ajoutent :

Pourtant, une incompréhension règne parmi certains membres de l'Inria. Traditionnellement, l'institut compte de nombreux développeurs et supporters du monde du logiciel libre (voir encadré) qui sont totalement opposés à la création d'un laboratoire commun avec le groupe américain.

Pourquoi donc ? Comme l'explique Albert Cohen (le chargé de recherche à l'Inria, pas l'écrivain), On ne peut pas s'empêcher de penser que Microsoft a des arrière-pensées sur les brevets logiciels. Procès d'intention ? Peut-être, mais il faut se rappeler les méthodes employées par Bill Gates pour voir arriver la brevetabilité des logiciels, il y a tout juste trois mois.

Notes

[1] L'INRIA, pour ceux qui sont allergiques aux acronymes, c'est l'Institut National de Rechehrche en Informatique et en Automatique. L'organisme a longtemps été l'un des trois entités supportant le W3C.