On a pu le constater, il y a une fossé grandissant entre les consommateurs et les majors du disque. Les consommateurs ne sont pas que consommateurs. Ils sont aussi auteurs ou interprètes. Il peuvent aimer lire les paroles des chansons qu'ils entendent à la radio. Ils peuvent vouloir jouer sur leur guitare les airs de chansons connues. Ils peuvent remixer des chansons existantes ou encore créer les leurs. Le problème est double :

  1. Actuellement, seul les quelques dizaines d'artistes sont dignement représentés sur le marché, comme l'explique très bien la longue traîne ;
  2. Un grand nombre d'artistes ne sont pas du tout représentés sur le marché (la grande majorité d'entre eux, situés dans la partie droite de la longue traîne). Dans une certaine mesure, certains font cela pour le plaisir et n'attende que peu de choses en retour. Du monde dans les salles quand il font un concert. De quoi payer une partie des instruments et des partitions, louer une sono, rembourser les frais de la salle municipale. Changer les pneus de la camionnette qui sert à transporter le matériel. Payer quelques jours de studio pour enregistrer à compte d'auteur.

Mais voilà, deux logiques s'affrontent, entre les majors qui ne vivent que de la rareté organisée des chansons, et les artistes, non représentés en très grande majorité par ces même majors.

Je suis retombé ce matin en rangeant mon bureau d'un extrait de la page 32 de Cause commune, le livre de Philippe Aigrain, qui résonne particulièrement avec l'opposition majors / artistes. Je vous le laisse savourer :

(...) Un nouveau continent apparaît : celui des biens communs informationnels, des créations qui appartiennent à tous parce qu'elles n'appartiennent à personne. (...) Mais dès à présent leurs réalisations esquissent de nouvelles sociétés de l'abondance, économes de leurs ressources physiques, mais riches de toute la créativité des êtres humains. Que peut alors le commerce de la rareté au milieu de la création de l'abondance? Que peut la promotion à un instant donné de 40 titres musicaux au milieu de l'accessibilité de centaines de milliers de créations ? Que peut la propriété au milieu de biens communs qui prennent plus de valeur chaque fois qu'un nouvel être humain se les approprie? Les colosses aux pieds d'argile qui vivent de la capitalisation de la propriété intellectuelle ne peuvent tolérer cette concurrence des biens communs. Ils ont entrepris de tout assècher autour d’eux. Alors qu'ils ne représentent qu'une petite part de l'économie, et une bien plus petite encore de l'univers social et humain, ils entendent qu’on transforme le reste en désert,ou tout au moins en ghetto toujours rétréci, en exception que leurs idéologues décrivent comme anomalie.

Faut-il, pour pouvoir créer, déclarer la guerre au majors, comme le laisse entendre Philippe Aigrin ? Du fond du coeur, j'espère que non.