C'est au bord de la piscine que j'ai découvert cette tribune parue dans Libération, Il n'a de Libre que le nom, d'un certain Jean-Dominique Giuliani. Pour être très franc, j'ai refermé précipitamment le journal pour préserver mes trois jours de vacances en famille. Bénédicte ne m'aurait pas pardonné si j'avais dégainé le Powerbook pour pondre une réponse à chaud.

Depuis, je suis rentré sur Paris, l'article soigneusement découpé dans mon cartable. Ma boite aux lettre déborde de messages demandant une réponse publique à cette tribune. Mais voilà. Je rentre de vacances, et je n'ai guère envie de perdre mon énergie à répondre à cela. Pire encore, j'ai réalisé avec le recul que cette longue diatribe contre le logiciel Libre avait tout du troll. Mais attention, hein, du troll de grande envergure, celui pondu par un ancien de Sciences-Po et publié dans un grand quotidien. Bref, du lourd, du très lourd, même.

On le sait, un troll ne grossit que si on le nourrit. Il me faudrait donc éviter de répondre pour cela. Pourtant, il est quelques vérités qu'il est bon d'énoncer pour éviter de tomber dans le piège dudit troll. Accrochez vos ceintures, c'est parti :

  • Ne pas confondre Libre et Gratuit (ce que fait le troll en question avec un entrain désarmant) ;
  • Si un logiciel Libre est souvent (mais pas nécessairement) gratuit, cela n'empêche pas qu'on puisse payer des services autour, dont la maintenance. C'est quelque chose que François Elie, Président de l'ADULLACT, explique avec une limpidité qui n'appartient qu'à lui : "le logiciel Libre, c'est un logiciel dont on ne paye que la valeur ajoutée". A méditer (du même auteur : "le logiciel Libre est gratuit une fois qu'il a été payé") ;
  • Le logiciel Libre s'insère dans l'économie, et il existe aussi en dehors de l'économie. L'un n'exclut pas l'autre.
  • Il vaut mieux pour la France que les grands utilisateurs de logiciels Libres achètent du service localement (en l'occurrence de la tierce maintenance applicative) que des licences à un éditeur américain ;
    • Il convient de préciser un fait trop peu connu : quand on achète une licence Office, on est facturé par Microsoft Irlande, société qui bénéficie des largesses fiscales de ce pays. En substance, quasiment tout l'argent file aux USA en laissant très peu en Europe. A l'inverse, quand on achète du temps d'ingénieur pour supporter un logiciel en France, on paye de la TVA, des charges sur les salaires, on enrichit une société française qui va payer des impôts sur les bénéfices et on paye le salaire de l'ingénieur. En substance, avec le Libre, on finance la France, alors qu'en achetant des logiciels Microsoft, on finance l'état de Washington, les fonds de pension américains et l'homme le plus riche de monde (et sa clique).
    • L'industrie du logiciel en France, pour moi c'est Paul Rouget, David Bitton, Daniel Glazman, Ludovic Dubost et tous ceux qui font avancer les choses en Open-Source et/ou logiciel Libre[1] en France et dont j'ai la flemme de citer le nom...
  • On est plus indépendant d'une société de service que d'un éditeur de logiciels propriétaires, mais il ne faut pas lâcher une servitude pour une autre : même en logiciel Libre, il faut être très vigilant vis-à-vis de ses fournisseurs, mais c'est le b.a.-ba du business, quel qu'il soit.
  • En terme de sécurité informatique, aucun logiciel n'est parfait, qu'il soit Libre ou pas. Pourtant, la transparence liée au code source force l'éditeur à plus de réactivité et d'honnêteté. Cela mérite un billet à part tellement le sujet est complexe.
  • Sans logiciel Libre, Internet n'existerait pas. Pas de Google, pas de DNS, pas de Mail, pas de serveurs Web, pas de sites dynamiques, pas de blogs... Pas de site pour Jean-Dominique Giuliani, dont le système de publication repose sur des logiciels Libres. Pas de start-ups non plus, comme le démontre l'exemple Cityvox
  • Sans logiciels Libres, pas de démocratisation d'Internet et de technologie logicielle à une telle échelle ;
  • A titre personnel, et je l'ai dit et écrit à plusieurs reprises, je pense que le logiciel Libre ne va pas remplacer totalement le logiciel propriétaire. Mais s'il pousse les éditeurs en position de monopole à pratiquer des tarifs plus honnêtes en re-dynamisant le marché, alors tous le monde va en bénéficier.

Bref, la tribune en question est un troll de haute qualité. Rondement mené, et à grande échelle. Monsieur Giuliani, en publiant un tel torchon, vous êtes passé pour un crétin ou un escroc. Dans tous les cas, votre réputation vient de prendre un coup dont elle aura bien du mal à se remettre... Comme l'écrit très justement Maester, "Si nous examinons l'intérieur d'un troll, après dissection, nous ne trouvons rien... à part du caca".

Notes

[1] Utilisez la terminologie qui vous plaît, pour ma part j'ai suffisamment soupé des guerres de religion.