Non au Minitel 2.0 !

Non au Minitel 2.0 !

Benjamin Bayart, président de French Data Network, un fournisseur d'accès Internet associatif est à nouveau interviewé par Ecrans.fr (avec une suite, intitulée La neutralité du net, un pilier des libertés)[1]. L'interview est longue et porte pour beaucoup sur la crasse faite par SFR à FDN, mais j'ai trouvé cet extrait particulièrement intéressant :

Il faut comprendre l’influence des moyens de communication sur la société. Il n’y a rien de plus fondamental pour un être humain que de communiquer. Un bébé à qui on ne parle pas meurt. Et la façon dont on parle définit la société dans laquelle on vit. L’imprimerie a défini une société qui n’avait rien à voir avec celle des moines copistes. Et ça n’est pas seulement une question de business du livre. Si la société du XXe siècle n’a rien à voir avec celle du XVe siècle, c’est en partie car l’imprimerie a restructuré la société en profondeur.

La télévision et la radio ont eu des effets similaires. La société de la télévision ne vit pas avec les mêmes images, réflexes et modes de relation entre les gens que celle du livre. Et la société du réseau acentré, le village global, Internet, sculpte une société encore radicalement différente. Mieux ou moins bien, je n’en sais rien, mais ça n’est pas le même modèle de société. TF1 en perte d’audience, ça n’est pas surprenant. Que les gens se tournent de plus en plus vers Internet, et de moins en moins vers les canaux centralisés que sont la télévision et la presse traditionnelle, ça n’est pas surprenant. Et c’est entre autres car ils peuvent y contribuer.

Q. - Pourtant, aujourd’hui, dans cette société du réseau, 95% des gens sont passifs...

Ce n’est pas vrai. Oui, 95% des gens qui ont actuellement un abonnement Internet en France sont passifs. Parce qu’ils s’en servent comme d’un minitel et vivent dans la société de la télévision. On ne restructure pas une société en six mois ou dix ans, c’est un process long. La volonté de produire croit au moins autant que celle de consommer. Il y a une vraie courbe d’apprentissage d’Internet.

En 1997, avec l’arrivée du grand public, la plupart étaient là exclusivement en consommateurs passifs. Idem en 2001 avec la grosse vague venue avec le haut débit. Puis, en 2004, cette même foule a commencé à ouvrir des blogs. Et aujourd’hui, c’est d’une banalité affligeante. N’importe quel lycéen a au minimum un skyblog. L’étape d’après, c’est le lycéen qui voudra avoir un blog sans être soumis au diktat de quelqu’un d’autre.

Ca fait jeuniste de dire ça, mais on apprend plus vite à 15 ans qu’à 60. Ceux qui ont 15 ans apprennent très facilement la nouvelle structure de la société du réseau alors que ceux qui en ont 60 ont tendance à se demander ce que font les gamins. C’est normal, ça a toujours été comme ça.

Q - Il reste cependant un public pour un Internet encadré...

Certains sont effectivement demandeurs d’un réseau non-neutre dans lequel ils sont bien encadrés, où on leur propose de la bonne vidéo de chez Disney et où ils ne risquent pas de tomber sur un truc dérangeant. Que ce soit du porno ou simplement de l’art bizarre. Mais il y en a de moins en moins. Alors qu’il y a de plus en plus de gens qui y sont fortement opposés. Et la technique même d’Internet fait qu’on ne pourra pas les contenir. C’est très facile avec n’importe quel accès GSM — tout ce qu’il y a de non neutre — d’obtenir un accès neutre en un quart d’heure . Il suffit d’avoir les bons outils.

Oui, Internet change la société. Mais il faut aussi que l'Internet en question soit ouvert et au service de ses utilisateurs, où ces derniers peuvent créer, innover, bidouiller, et non pas un Internet formaté et bridé, essentiellement au service des actionnaires de quelques sociétés. Ca tombe bien, on y travaille !

Notes

[1] Benjamin Bayart a déjà été mentionné ici en février dernier.