Vendredi soir, je participais à un débat à la mairie du 13° arrondissement initulé Monétisation des cultures libres, entre éthique et modèle économique ?. C'était passionnant. Voici quelques notes prises à cette occasion. C'est sans queue ni tête, je le reconnais bien volontiers, mais j'avais tout de même envie de partager.
- Internet change radicalement les règles du jeu de la diffusion de l'information et des oeuvres :
- Internet est une formidable machine à dupliquer à coût quasiment nul (quand vous demandez à consulter une page Wikipedia, on vous envoie une copie. Instantanément. Gratuitement ou presque[1]).
- Ca donne une économie de l'abondance, là où on était avant dans une économie de la rareté
- Nous sommes à une période charnière, là où les anciens s'accrochent à leurs fauteuils et n'arrivent pas (ou ne veulent pas) comprendre les changements apportés par le réseau.
- Les anciens ont l'argent, le pouvoir, l'oreille des politiques (et une façon de voir qui est chaque jour plus challengée) :
- Ils tentent de rétablir dans le monde des idées la rareté qu'ils ont connue dans le monde ancien
- Les anciens, l'industrie des divertissements de masse n'ont pas vocation à faire vivre la culture. Ils ont vocation à choisir la poignée d'artiste qui vont rapporter beaucoup et surtout ne rien donner à tous les autres.
- Les artistes doivent pouvoir vivre de leur art. Devenir millionnaire sera bien plus dur dans le monde de l'abondance numérique.
- La licence globale est une piste.
- Le revenue de vie et/ou l'allocation universelle sont-ils une piste ?
- Voir les deux livres de Philippe Aigrain, Cause Commune et Internet et Création.
- La technologie aidant, associée à l'augmentation du temps dédié aux hobbies donne naissance au mouvement Pro Am (les amateurs de niveau professionnel) qui peuvent produire gratuitement des œuvres de niveau professionnel
- logiciels libres
- photographie
- œuvres musicales (home studio) ou autres (cinéma, courts métrages… l'exemple du moment, c'est Paranormal activity, tourné pour 15'000$ US et qui en a rapporté 100 millions)
- La reconnaissance et la réputation sont le moteur des Pro-Ams (amateurs qui ont une production de niveau professionnel). Ils veulent partager, et peuvent le faire gratuitement, à condition de trouver de la reconnaissance.
- Les licences Creative Commons redonnent le pouvoir aux artistes en leur permettant simplement de distribuer les œuvres suivant leurs conditions, sans avoir à faire à des juristes.
- La clause "Non-Commerciale" permet de jouer sur les deux tableaux. Gratuité pour permettre le partage, mais possibilité de toucher une rémunération dans un cadre commercial (publicité, par exemple).
- L'artiste a une palette de solutions juridiques pour décider comment partager, depuis le copyright intégral jusqu'à la licence CC-Attribution.
- La valeur d'un bien culturel n'est pas que financière, mais surtout sociale (au grand dam de l'industrie des biens culturels qui voudrait nous faire croire que si ça ne rapporte pas énormément d'argent, ça ne vaut rien).
- La musique, les histoires, l'art en général ont une fonction sociale essentielle.
- Les produits dérivés (concerts) en tant que rémunération d'œuvres distribuées gratuitement.
- Mais attention : ça rémunère les interprètes, pas les auteurs et compositeurs !
- Idée de service payant, mise en œuvre par Jamendo : faciliter l'accès à du contenu gratuit sans prendre de risques juridiques.
Voilà, c'est très en vrac, je le reconnais. Peut-on faire quelque chose de tout cela ? C'est sûrement la base pour un paquet de billets futurs !
Notes
[1] Cout d'hébergement coté serveur réduit mais à couvrir par des dons et coût d'acheminement couvert par l'abonnement ADSL.
15 réactions
1 De Goofy - 21/12/2009, 09:50
"Les anciens ont l'argent, le pouvoir, l'oreille des politiques"
Je ne sais pas si c'est une question de génération (admettons) en revanche je suis persuadé que c'est une question de choix politique. Je sais que pour beaucoup ici c'est un gros mot mais je persiste. Tant que les partisans militants et enthousiastes de la culture libre n'auront pas porté leur projet/modèle sur le terrain politique, ils s'exposeront à de cruelles désillusions. On l'a vu avec Hadopi, on risque de le voir bientôt avec des tentatives de musellement d'Internet en France. Je vois d'ici les Mégaoctets de pétitions (en ligne) et le paquet de votes UMP (dans la vraie vie) qui leur feront un bras d'honneur. Alors les geeks revenus de tout sans y être jamais allés, combien de temps allez-vous avoir une conscience politique proche de rien et déserter les bureaux de vote ? Quand allez-vous vous imposer un débat citoyen en faisant pression sur ceux que vous avez laissé élire en vous abstenant courageusement ou en votant pour leur clique ?
La valeur économique du libre ? Selon moi, elle existe bel et bien (elle est même potentiellement considérable), mais seulement dans une logique libérale. Des alternatives intelligentes sont disponibles, comme le mentionnent les notes de Tristan, mais au fond est-ce qu'elles ne reviennent pas à faire rentrer la culture du libre dans le rang : un produit culturel s'achète et se vend, voilà.
2 De mat - 21/12/2009, 11:25
J'ai toujours du mal à accepter l'idée qu'un concert est un "produit dérivé". Certes, ça ne rémunère que l'interprète (encore que la distribution des revenus d'un concert est un peu plus complexe que ça), mais pour moi c'est la base du métier d'un interprète. A mon sens c'est l'album qui est ou devrait être un élément de promotion des concerts, pas l'inverse.
Enfin c'est juste un avis de musicien "Pro-am". Je trouve l'idée de passer 2 semaines dans un studio et gagner de l'argent à vie dérangeante.
Pour le reste ce sont des idées intéressantes en effet
3 De web'ink - 21/12/2009, 11:59
intéressante comme idées,
4 De Docthib - 21/12/2009, 11:59
Pour suivre les propos de mat ("Je trouve l'idée de passer 2 semaines dans un studio et gagner de l'argent à vie dérangeante"), je pense qu'il y a un problème sur le positionnement du droit. On pourrait rajouter "je trouve que gagner de l'argent à vie parce qu'on est le petit-fils d'un artiste, c'est une idée dérangeante". La question est donc de s'interroger sur les sources de la valeur, et les moyens de rémunérer les créateurs : la question des produits dérivés ou des produits d'appel est centrale, à mon avis. Plus globalement : qu'est-ce qui est vendu ? qu'est-ce qui a de la valeur ? Une chose est sûre pour moi : les verrous légaux ou technologiques ont toujours un train de retard et ils se trompent de cible.
5 De Jefaispeuralafoule - 21/12/2009, 12:16
L'analyse du système actuel est problématique, au titrer que nombre d'acteurs du marché se cramponnent à des mécanismes ancestraux (la dîme du copiste), et espèrent les préserver coûte que coûte. Les DRM, les anticopies sur les CD, les protections débiles sur les logiciels (Starforce par exemple) ne sont que des signes de leur entêtement.
Là où cela devient plus délicat, c'est que, bien que la copie soit en tant que telle peu onéreuse (coût uniquement du "tuyau"), elle n'en demeure pas moins inintéressante économiquement si rien n'est prélevé dessus. "Offrir" la copie gratuite rend le modèle bancal, d'autant plus s'il n'y a pas de rétribution tierce (pub comme suggéré).
Les majors s'adossent au principe de "l'Investissement rentable". Ils misent une somme donnée sur un artiste, et comptent avoir un retour sur investissement non négligeable. Cette logique a torpillé plus d'un artiste quand les quotas attendus par la production n'étaient pas pleinement atteints. Dans ces conditions, le Web offre l'alternative du marketing viral (espace très peu chers en regard d'un coût d'espace télé par exemple), et en plus une faculté de distribution à coût très réduit. Seulement, ça ne colle pas dans le modèle du "moine copiste" (merci Benjamin Bayart pour l'expression).
Les autres types de licence protègent la propriété de l'auteur (creative commons), mais pour autant ne proposent pas totalement un modèle économique viable. A aujourd'hui, aucune solution n'est réellement pérenne dans le monde numérique, car tous s'appuient sur l'idée que le consommateur sera honnête et fera la démarche non pas uniquement de distribuer, mais également de rétribuer sous une forme ou une autre les artistes qu'ils distribuent.
Des idées?
- Un abonnement de type P2P payant? Pourquoi pas, mais délicat à contrôler, difficile à faire admettre à certains qui estimeront toujours le coût comme étant trop élevé... et puis nécessitant une véritable entente de tous les acteurs. Difficile de rendre viable un P2P payant de ce genre si tous les catalogues ne sont pas présents... Ou alors de les voir mourir puisque chaque major vendra son catalogue sur SON p2p. Inacceptable.
- Le gratuit et paiement à l'envi? Encore moins crédible, excepté par la détermination de vrais fans. (je parle uniquement de la musique)
- Le passage par l'étape publicité? Nombre d'utilisateurs de la toile usent (et même abusent) d'add-ons pour s'épargner la publicité. ils contournent donc le système permettant justement (dans l'idée) de faire vivre la création.
Je n'ai pas de solution miracle... sinon je l'aurais déjà vendue (humour bien entendu). Mais j'ai bon espoir que l'économie d'abondance va inciter les artistes à faire du chantage aux majors, de sorte à les forcer à se mettre à la page. Certains artistes (nine inch nails par exemple) l'ont compris et ont permis le téléchargement... tout en vendant leur dernier album. Ce fut un succès, car, au fond, ceux qui croient en la culture consomment et achètent. Ceux qui ne consommaient pas avant ne consommeront pas plus dans l'avenir je pense. Ceux qui s'accrochent au modèle du "Je pirate donc je suis" sont tout autant attachés à leur petit égoïsme que les majors s'accrochant à leur "taxe sur la culture". Car... dans le fond,qu'est-ce donc qu'une major, si ce n'est un percepteur sur la culture?
6 De NicoP - 21/12/2009, 12:49
Historiquement, la K7, le CD, ... sont des supports de promotion pour le concert. Pas l'inverse. Certains artistes fonctionnent toujours ainsi et gagnent bien leur vie. Moins que d'autres qui ne savent faire que du studio, il est vrai.
Ayant bosser dans une petite structure qui proposait la répétition, puis l'enregistrement et enfin la scène. Nous mettions en avant (et financions) cet ordre d'évolution. Le but est de jouer de la musique avec le public. Le CD était distribué gratuitement. Mais son contenu ne reflétait que palement toute l'énergie que déployait le groupe sur scène. Au final le public revenait les voirs en Live. Il faut vivre la musique. Et que la scène apporte un plus à l'album.
7 De v_atekor - 21/12/2009, 13:15
j'espère bien que ces notes sont très incomplètes.
Car dans la culture libre, LL comme WP , le problème est d'atteindre une qualité homogène, ce qui n'a rien d'évident par un mouvement pro-am seul.
Le mouvement de reflux des contributeurs sur WP est également significatif : il existe peu d'articles manquant en tant que tel, mais le nombre d'articles de qualité ou de bons articles est ridicule par rapport à la taille de l'encyclopédie. Il sera très intéressant de voir comment se fait la progression des bons articles sur WP, mais j'ai peur que sans professionnaliser (même à minima) ces tâches ennuyeuses, la progression reste beaucoup plus lente, et qu'il faille bien plus que 5 ans pour couvrir une part significative de l'encyclopédie. On verra bien quelle sera l'évolution de WP, mais je paries sur une professionnalisation partielle.
Dans le domaine que je connais de beaucoup plus près, la qualité de linux a fait des bons début 2000 lorsque IBM y a investit son milliard de $, c'est à dire, lorsque les pro-am sont devenus pro-pro. Comme pour wikipedia, la qualité est essentielle, et est rébarbative. L'industrialisation du test d'un OS, ce n'est franchement pas drôle, ni même passionnant. Peu de monde croit encore à la fable des millions eux pour corriger le code : même si la quantité de re-lecteurs restent un plus indéniable, on n'arrive pas au niveau de qualité et de fiabilité de linux sans sortir l'artillerie lourde en matière de tests. Et là, force est de constater qu'il y a moins de bonnes volontés pour faire ce boulot franchement ingrat, de dédier des machines à des tests des nuits durant.
Je suppose que si Mozzila emploie autant de développeur, c'est que vous vous êtes aperçus de la même chose : le mouvement pro-am a ses limites, et vous êtes bien dans la même démarche : même en utilisant les pro-am, il vous est nécessaire d'avoir une démarche pro-pro.
8 De Laurent Claessens - 21/12/2009, 13:26
@NicoP
Les CD n'ont pas toujours été de la promotion pour les concerts. Par exemple Jean-Michel Jarre a fait des concerts gratuits pour la promotion de ses CD.
Me trompe-je, ou bien des événéments concerts comme les francofolies ou Couleur Café sont essentiellement non rentables pour les artistes ?
Au final, l'internet ne change rien du tout à la donne. Nous vivons dans un monde où l'abondance est la règle depuis l'imprimerie. Cela fait très longtemps que le prix à la caisse n'est absolument plus lié au prix physique de la copie et du transport.
Autant suivre sur internet les mêmes règles que dans la vie réelle : chacun fait ce qu'il veut de sa création, la distribue et la vend selon ses désirs. Que chacun respecte les choix des autres.
9 De Laurentj - 21/12/2009, 15:02
>Peu de monde croit encore à la fable des millions eux pour corriger le code
Pourtant, c'est comme ça que fonctionne la plupart des projets libre, et j'en reste persuadés (je le vis avec mes propres projets open source).
Et si Mozilla emploie des développeurs, c'est plus une question de ressources en terme de temps, que de problème de "pairs d'yeux". Embaucher un pro-am, c'est de permettre à ce pro de travailler à temps *plein*, et donc de faire avancer plus vite le projet, en plus d'avoir une certaine assurance de garder les développeurs "piliers" du projet.
D'ailleurs, tu l'as constaté avec IBM, mais en a tirer à mon avis les mauvaises conclusions.
La qualité du noyau linux n'a jamais failli. Par contre, ce qui a beaucoup évolué, ce n'est pas une diminution flagrantes de bugs dû à ces embauche chez IBM, mais l'augmentation du nombre de fonctionnalités du noyau, de ces possibilités techniques, dont les limites ont été repoussée.
10 De v_atekor - 21/12/2009, 15:47
Désolé, j'ai été pendant 10 ans en développement de projets libre et je suis toujours au contact de projets majeurs de l'open-source, dont linux en premier. Personne ne croit plus à ça. Ce qui marche ce sont les procédures qualités pures et dures, tests de non régression, tests au limites et cie. Alors oui on a des Brad Spengler qui découvrent des bugs de SElinux "en amateur" en ayant leur leur boite en sécurité à côté, mais c'est loin d'être la majorité du travail.
Note que plusieurs entreprises qui ne souhaitent pas que leur nom apparaissent utilisent une personne déléguée pour cacher la forêt de tests qu'ils font, et bizarrement tu as "un" développeur qui se retrouve à trouver des quantités de bugs en tant qu'"amateur" ...
Embaucher un pro-am, c'est transformer un pro-amateur en pro tout court.
Dans les années 1990, linux 2.0 et 2.2, c'était pas mal, comparée à un Windows de la même époque, c'était bien ... Comparé aux grands Unix, c'était une blague.
D'ailleurs je relève la contradiction entre "qualité" qui est censée avoir été au rendez vous et la diminution du nombre de bugs.
IBM sous traite une grande partie de ses dev. linux.
11 De Laurentj - 22/12/2009, 11:38
>Ce qui marche ce sont les procédures qualités pures et dures, tests de non régression, tests au limites et cie.
je ne dis pas le contraire, et effectivement c'est mieux. Mais ce ne sont pas des tests qui vont détecter des bugs graphiques (souvent très difficiles à mettre en place), des bugs dans les interfaces utilisateurs. Ce ne sont pas des tests qui vont faire des interfaces utilisateurs plus agréables, qui vont détecter des API mal foutus, des trous de sécurité etc... Donc oui, il en faut des pairs d'yeux pour améliorer toutes ces choses là. Il y a beaucoup de choses qui ne peuvent pas se faire avec des tests unitaires automatiques. C'est le cas dans le noyau linux : on ne peut pas faire des tests automatiques avec tout le matériel existant, avec les milliards de combinaisons de matos que l'on peut faire avec un PC.
12 De Jean - 22/12/2009, 12:38
Historiquement, la K7, le CD, ... sont des supports de promotion pour le concert. Pas l'inverse.
@NicoP > Et si la musique sur support quel qu'il soit, elle aussi évoluait ? Si son rôle évoluait ? Pourquoi limiter le droit à l'évolution aux seuls utilisateurs/consommateurs et aux comportements de ces derniers ?
13 De Ptite fourmi - 22/12/2009, 22:52
Je ne suis pas sûr que ce soit l'augmentation du temps dédié aux hobbies qui nourrit le plus le mouvement "Pro Am". La mise à la retraite anticipée, et surtout le chômage doit très certainement encore plus "nourrir" ce mouvement "Pro Am". Aussi, les entreprises ne doivent pas se rendre compte qu'en licenciant, elles sont en train de créer leur futur concurrent... une redoutable concurrence, qui sera très certainement gratuite !
14 De Jean - 23/12/2009, 09:43
une redoutable concurrence, qui sera très certainement gratuite !
Désolé, mais j'ai beaucoup de mal à imaginer que qui que ce soit puisse sérieusement envisager de vivre d'amour, d'eau fraîche, de l'air du temps et de bonne conscience... Au bout d'un moment il faut une monétisation, sauf bien sûr la bouffe devient gratuite partout. Mais là aussi j'ai comme un léger doute...
15 De Dominique De Vito - 23/12/2009, 13:39
CD ou concert ? Et bien, si le marché des CD est bousculé du fait de la dématérialisation, les concerts mutent aussi.
Depuis qques années, on a droit des concours d'air guitar - http://fr.wikipedia.org/wiki/Air_gu... - voir la prestation du vice-champion du monde francais en 2007 : http://www.youtube.com/watch?v=VX0_...
Et je viens de découvrir un girls band qui joue de l'iphone et IpodTouch avec les différents applications du téléphone à savoir : Ocarina de Smule, DigiDrummer Lite (pour la batterie), retro synth. Encore à parfaire à vrai dire :
http://www.freetux.net/un-girls-ban...
Il y a qques années, le groupe Kraftwerk, à la villette, est sorti de scène au complet en laissant jouer leurs synthés tout seuls pendant qques minutes.
Bref, même pour les concerts, les pro-am vont entrer en "concurrence" avec les "artistes".