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Le nouveau CNNum[1] étant nommé, il est peut-être temps de faire le bilan. Justement, l’ancien président Benoît Thieulin vient de donner une interview à ce sujet en compagnie de Mounir Mahjoubi, le nouveau président. Je suis très proche des propos de Benoit quand il déclare :

Je pense, j’espère, que nous avons fait le job. Nous avons pu couvrir un spectre assez large, qui correspond à la vision du numérique que je voulais porter, celle d’un phénomène de transformation globale de la société. Nous avons commencé avec des sujets en apparence très techniques, en réalité très politiques, comme la neutralité du Net ou la «loyauté» des plateformes. Nous avons travaillé sur la fiscalité, le financement des start-up, l’éducation… L’objectif était de construire un corps de doctrine qui constitue la base d’une réflexion pour une vraie politique européenne et française. Nous avons fait valoir que nous avions besoin d’une loi globale sur le numérique et qu’il fallait se donner les moyens de réfléchir en consultant très largement. Ce n’est pas la loi telle que je l’aurais rêvée à 100 %, mais ce serait injuste de dire que je ne m’y retrouve pas. De grands principes, comme la neutralité du Net, vont entrer dans le droit français, et je m’en réjouis.

Du concret

Rapport sur la neutralité du Net

La neutralité du Net a été le premier dossier sur lequel le CNNum 2.0 a travaillé, et je me suis jeté dans le grand bain en me proposant pour ce premier rapport porté par Christine Balagué. C’était un dossier technique mais aussi un dossier qui était important par les valeurs qu’il fait résonner, celles d’un Internet accessible à tous, où chacun peut participer en lecture et en écriture, et qui favorise l’innovation et le progrès. Le bon coté de la chose, c’est que, comme le dit Benoît Thieulin, la Neutralité du Net va entrer dans le droit français, et c’est très positif. Ce rapport fut aussi l’occasion d’apprendre les règles du jeu. Je souhaitais initialement que le groupe de travail se concentre sur la neutralité du Net, mais mes collègues ont vivement souhaité y adjoindre la neutralité des plateformes, ce qui a du sens, mais pour lequel j’avais un avis moins tranché que pour le sujet initial.

Rapport Ambition Numérique

Un autre sujet très intéressant a été le rapport Ambition Numérique, genre de doctrine du CNNum qui aborde le numérique sous toutes ses facettes, qui a servi à nourrir la loi numérique d’Axelle Lemaire. J’ai un souvenir ému de l’atelier participatif du 9 janvier 2015 à Strasbourg, qui se tenait au Palais de l’Europe (lieu où se tient le Conseil de l’Europe), essayant de rester concentré sur l’animation de l’atelier tout en surveillant sur mon smartphone la lourde actualité de la journée (les assauts de Dammartin en Goële et de la porte de Vincennes).

Ce rapport Ambition Numérique a surtout été l’occasion de cranter la position du CNNum sur des sujets qui me tiennent à coeur : communs, logiciels libres, chiffrement, portabilité des données, neutralité du net et des plateformes au sein d’un document complet et aussi cohérent que possible. Il en est de même pour des sujets dont je suis moins proche, mais qui sont tout autant importants et ont été l’objets de travaux et de recommandations: la fiscalité (comment s’assurer que les GAFAs s’acquittent de l’impôt en France, par exemple), l’inclusion, l’éducation, la santé, le travail et l’emploi, le TTIP etc.

Projet de loi Numérique porté par Axelle Lemaire

C’est probablement la grande contribution du CNNum à ce jour, qui dépasse de loin le CNNum en tant que tel. Elle est aussi importante sur le fond que sur la forme :

  1. Sur le fond, c’est une loi positive, bien éloignée des différentes lois qui, non centrée sur le numérique, l’égratignait et le rognait à chaque fois que c’était possible, souvent sous un angle sécuritaire ou de protection des ayants droits. Cette fois-ci, nous sommes partis du numérique, pour le numérique. Et ça change (presque) tout !
  2. Sur la forme, c’était la première fois qu’un projet de loi était discuté avec les citoyens lors de cette grande consultation, et pour une première édition, on peut dire sans rougir que cela a été un succès. Un immense bravo à Axelle Lemaire qui a tenu bon face aux ténors du gouvernement et a mené la barque de cette loi et de la consultation (et ceci d’autant plus que c’était pendant sa grossesse !).

Sur le Standblog, à ce sujet :

Bien sûr, à ouvrir le processus, en consultant le peuple comme jamais auparavant, on est obligé de faire le tri dans les propositions, ce qui crée nécessairement des mécontents. C’est probablement le prix à payer pour un tel exercice, mais ce prix est finalement très raisonnable. On regrettera par exemple la disparition des points concernant le droit de panorama et tout ce qui touche aux communs informationnels, grâce au tir de barrage des ayant-droits soutenus par le ministère de la Culture[2]. Les débats à l’assemblée sur le logiciel libre a aussi eu un goût amer, des organisations comme l’AFDEL, accueillant pourtant des entreprises faisant du logiciel libre, prenant clairement position en faveur du logiciel propriétaire…

Les échecs

Tout n’a pas été rose lors de ces trois ans de mandat. Le pire fut certainement autour de la loi Renseignement. J’y reviendrai dans un prochain billet. Malgré cette immense frustration, qui m’a fait penser à démissionner à plusieurs reprises, j’ai tenu bon, car la loi numérique était en ligne de mire. J’ai même postulé pour un second mandat, et ma candidature a été reçue avec surprise, du genre “ah bon, après ce que tu as enduré avec la loi renseignement ?”. Et puis finalement l’arbitrage, forcément un peu opaque, m’a été défavorable.

Le bon coté

Il y a finalement eu plein de choses de positives au CNNum, à commencer par des bonnes surprises :

  • Un président qui s’est dépensé sans compter. Benoît Thieulin a donné énormément d’énergie au CNNum, en faisant du Conseil quelque chose de bien plus influent que ce qui était attendu. Chapeau Benoît, tu m’as soufflé !
  • Des rencontres avec les membres. Je peux tirer mon chapeau à JB Soufron, qui a assemblé un cocktail de personnalités étonnamment sympathiques avec qui ça a été un honneur de travailler et de se confronter (non, nous n’étions pas toujours d’accord !)
  • Le Secrétariat Général, dirigés d’abord par JB Soufron puis Yann Bonnet, a vraiment été super, toujours en soutien. Une bien belle équipe !
  • En tant qu’ingénieur, entrepreneur, libriste, vétéran des batailles de plateformes et “vieux natif du numérique”, c’était intéressant d’apporter un éclairage différent pour aider mon pays à aborder le défi que représente le numérique, dans des sujets aussi divers que la neutralité du Net, la loyauté des plateformes, la privacy, la lisibilité des CGU, l’interopérabilité, la protection des lanceurs d’alerte, le chiffrement, le libre par et pour les administrations, les communs numériques.
  • En tant que citoyen, c’était intéressant de voir les institutions et leurs rouages et fonctionner de mes propres yeux, et d’y rencontrer des acteurs authentiquement engagés et compétents (Axelle Lemaire, Thierry Mandon, par exemple).
  • La fierté d’avoir tenu tête, pas toujours avec succès, quand le gouvernement faisait fausse route (tablettes pour tous à l’école ou surveillance de masse).

Je ne regrette pas de n’avoir pas été reconduit dans mes fonctions au CNNum. J’étais prêt à rempiler, mais la charge de travail bénévole et les montagnes russes émotionnelles font que je suis en fait soulagé de n’avoir pas été invité à revenir pour un mandat de trois ans. Mes seules inquiétudes portent sur les sujets qui me tiennent à cœur : la lutte contre la surveillance de masse, la promotion du libre et des communs seront-ils bien portés par le nouveau CNNum de Mounir Mahjoubi ? Seule l’histoire le dira.

Notes

[1] prononcer “cénume”.

[2] Comble de l’ironie, celui-ci était alors tenu par Fleur Pellerin, qui était au numérique lors des débuts du CNNum 2.0 !