(Adaptation d'un article en anglais publié sur mon blog officiel Mozilla, Beyond the Code, sous le titre Freedom to tinker is the missing feature in tablets and smartphones).
J'ai eu une conversation intéressante hier avec un journaliste. Nous discutions de tablettes et de smartphones, et dans quelle mesure ils pouvaient remplacer le PC. C'est vrai que de plus en plus souvent, une tablette peut remplacer un PC. Il m'a ensuite demandé "Qu'est-ce qu'il manque aux tablettes". Ma réponse ne fut pas celle qu'il attendait. Je lui ai répondu que les tablettes manquent de liberté. La liberté de bidouiller, de hacker, de bricoler. D'expérimenter avec du code.
Le journaliste, fort sympathique par ailleurs, ne se laissa pas faire : d'après lui, "monsieur Toulemonde et madame Michu ne veulent pas coder, n'ont pas besoin de coder". C'est sûrement vrai. A court terme, ils s'en fichent. Pourtant, à long terme, la société dans son ensemble a un besoin essentiel de pouvoir coder. Je m'explique : de façon croissante, les ordinateurs sont l'interface entre nous et le reste du monde, y compris pour des besoins aussi essentiels que la communication, l'apprentissage, l'accès à l'information et aux divertissements et ainsi de suite.
Mais les tablettes et les smartphones ne permettent pas aux gens de programmer. Pourtant, ils vont remplacer la plupart des PC. Dans un futur proche, la plupart des enfants vont utiliser l'informatique via une tablette ou un smartphone qui sont des machines qui ne peuvent pas être programmée facilement.
Cela signifie deux choses :
- les gens vont grandir dans un monde où nous sommes des consommateurs d'applications, sans la possibilité pour eux de contrôler leur façon d'utiliser l'informatique
- l'innovation devient beaucoup plus rare si les enfants ne peuvent pas bricoler en grandissant.
Ce n'est pas le monde que je souhaite pour mes enfants.
On me demande souvent comment je vois le futur. Je réponds toujours de la même manière : "Je ne vois pas le futur. Je ne sais pas le prédire. Mais je sais ce que je veux, et je travaille d'arrache-pied pour que ce futur existe." C'est pour cette raison que je suis impliqué dans Mozilla depuis bientôt 15 ans : je veux inventer le futur numérique dans lequel nous allons vivre.
Peut-être est-ce aussi votre cas. Mais pour que ce futur existe, nous devons créer une génération de "faiseurs de Web" (Web Makers, en anglais). C'est une priorité essentielle pour Mozilla. Permettez-moi de citer mon collègue Mark Surman sur ce que ça signifie :
Dans 100 ans, nous pourrions avoir un monde où coder en ligne serait un loisir courant. On aurait toujours des codeurs professionnels, bien sûr. Il y en aura toujours. Mais un grand nombre de gens fabriquant leur propres applications, bricolant des robots et écrivant du code le feront pour le plaisir.
Ceci garantira la liberté pour les utilisateurs et l'innovation pour la société, comme nous l'avions à l'époque du PC et du Web.
Ceci n'est pas qu'un rêve. C'est bien plus que cela : c'est un objectif. Pour atteindre cet objectif, nous avons des programmes comme Mozilla WebMaker, des outils comme Thimble, Popcorn Maker, X-Ray Goggles et des événements comme le Mozilla Festival.
Le Mozilla Festival va se tenir à Londres, du 9 au 11 novembre 2012. J'y serai, et il reste encore quelques places. Inscrivez-vous vite, si vous voulez construire le monde numérique que vous désirez, plutôt que de finir dans celui qu'on voudra bien vous laisser.
15 réactions
1 De steph - 25/10/2012, 20:13
Pour moi cet article confond deux choses : codé pour la tablette, et codé sur la tablette.
Il n'est pas aujourd'hui possible de coder sur une tablette. Mais beaucoup d'autres activités créatives ne sont pas encore possible sur tablette. En revanche ce n'est pas encore un problème car on a tous un ordinateur a domicile.
Les tablettes remplaceront les ordinateurs dans les foyers lorsqu'elles permettront ces activités créatrices.
Il ne faut pas oublier que ces devices sont jeunes et que les interfaces hommes/machines doivent être entièrement repensées. C'est un travail énorme qui va mobilisé l'industrie pendant un certain temps.
2 De christophe - 25/10/2012, 21:22
Si les tablettes remplacent les PC, c'est que la grande majorité des utilisateurs n'ont _pas_ besoin d'un ordinateur.
Du coup, ces simples "Terminaux de Consommation de Loisirs Numériques" (c'est ainsi que je les nomme) vont faire des ravages dans le grand public (un Directeur Marketing dirait qu'ils "vont faire un malheur", sans réfléchir au sens littéral du mot "malheur").
Ma plus grande crainte est que, faute de marché suffisant, et poussé par des lobbies nombreux et puissants, les "vrais" ordinateurs, ceux qu'on peut bidouiller finissent par ne plus être fabriqués.
Je m'en inquiétais dans un billet récent, peut-être un peu alarmiste, du moins, je l'espère ...
http://catarina.fr/index.php?post/2...
3 De Samuel - 25/10/2012, 21:39
Bonsoir,
Pour convaincre ce journaliste de l'importance de la bidouillabilité, vous pouvez prendre la métaphore d'un texte qui contiendrait des fautes d'orthographes mais qu'on ne pourrait pas corriger.
/me chuchotte discrètement à l'oreille de Tristan qu'il y a une faute de conjugaison dans son dernier paragraphe..."j'y seraiS" est un conditionnel alors que Tristan souhaite visiblement exprimer un futur donc il aurait du écrire "J'y serai"
4 De p4tr1ck - 25/10/2012, 23:12
Il ne faudrait pas oublier les téléviseurs ,qui sont en train de monter aussi des systèmes d'applications monomarque et fermé 'relier au dites tablettes et phones de même marque (et la ça ratisse beaucoup plus large et tout ages même très jeunes)
5 De antistress - 26/10/2012, 00:00
ça me fait penser à une analogie, ça serait un peu comme remplacer les instruments de musique par des tourne-disques (on dirait lecteurs MP3 aujourd'hui). Mozart n'aurait pu révéler son talent...
6 De Fakir Séditieux - 26/10/2012, 01:52
Dans un monde de brute Mozilla est "vraie satisfaction"... Je suis vraiment heureux que Mozilla s'engage très courageusement et très fermement dans une orientation qui dépasse largement son métier originel le software internet. Inutile de dire que d'autres organisations/associations s'engagent à défendre quelques unes de nos libertés dans le monde numérique mais la place et les initiatives occupées par Mozilla sont originales. J'ignorais tout de Mozilla Festival et de ses initiatives avant que Linux Inside n'en fasse un compte rendu.
J'ai été bluffé. C'est un évènement magnifique et il est dommage qu'il n'existe nulle part son pendant francophone. Itou pour les expériences qui s'y rattachent. Certes Paris est désormais proche de London, mais pourquoi pas à Marseille pour une première dans le cadre de"Marseille 2013 Capitale Européenne de la Culture". Cutlure et Education sont des cousines qui ne demandent qu'à être diffusées pour le bien du plus grand nombre. Les techno Internet et les expériences que proposent de nombreux artistes sont totalement méconnus du grand public. Idem dans le domaine des expériences éducatives qu'elles soient ludiques ou pas. Moziila semble posséder un réel savoir faire. Bon en disant ça... je ne dis rien
Quand à la non-bidouillabilité du matériel cela va commencer à devenir un vrai problème. C'est d'autant plus paradoxal que des expériences comme Raspberry Pi, *board, Arduino, Sen.se, etc encouragent la reprise en main des outils numériques par quiconque voudra bien y investir un peu de son temps. Les applications possibles sont toutes aussi infinies que les objets qui nous entourent. Cet Internet des objets qui peut aussi bien concerner la domotique que des applications à usage unique va se développer parallèlement à celui de la robotique à usage domestique issues des laboratoires des firmes industrielles du secteur.
Si dans quelques années ces outils seront exclusivement proposés par des firmes qui ne connaissent que l'univers des produits fermés et des éco-systèmes propriétaires nous seront obligés de faire le deuil d'une partie de nos libertés. Déja dans le domaine des OS pour Desktop les OS libres ne représent que moins d'1% des systèmes installés. Et si Android, qui est loin d'être entièrement libre n'existait pas, les LL seraient aussi abscents du secteur des OS mobiles, et ce malgré la présence d'Open WebOS et Tyzen (émanation de Maemo à la sauce Intel et Samsung ce dernier remplaçant Nokia en totale perdition et pas seulement au niveau commercial). Et pour rappel la ROM Cyanogen n'est pas plus libre que son original Android. Seul Replicant l'est. Mais combien d'applications dans le Store dédié à Replicant ? Est ce que Firefox OS - je n'aime vraiment pas cette déclinaison nominale - arrivera à créer les conditions d'un éco-système viable qui ne sera pas soumis aux conditions des opérateurs dans un modèle comparable à celui que connaissent les stores actuels ? L'échec des différents OVI de Nokia dont l'OVI store qui n'était pas aussi restrictif que celui de ses concurents déjà trop bien installés m'incite à rester prudent sur les initiatives qui pourraient déboucher autour des initiatives d'Open WebOS et de Firefox OS. Mais ne vous trompez pas sur mes intentions : je souhaite vraiment leur succès et si l'éco-système de Firefox OS atteingnait les mêmes pourcentage que ceux du navigateur web Firefox ce serait vraiment génial.
Et actuellement au niveau de la liberté c'est là que le bas blesse. Les stores d'applications d'Apple, de Google et d'Amazon sont totalement contrôlés par ses firmes qui décident en toute impunité - c'est à dire en dehors de la loi commune habituellement gérée par les tribunaux - les conditions d'insertion aux développeurs pour qu'ils puissent y déposer leurs applications et aux éditeurs/auteurs pour y rendre disponibles leurs oeuvres. Sans parler de la suppression à postériori sur les terminaux des usagers de telle ou telle application (au fait que fait Paris ou Bruxelle ?). Je ne parle évidemment pas des ponctions prélevées pour être visibles sur ces stores numériques. Chez Apple c'est 30% !
C'est par la diffusion et la multiplication d'évènements comme le MozFest que l'on pourra montrer, en dehors des cercles d'initiés, qu'un autre monde est possible et accessible...
7 De pgrange - 26/10/2012, 08:35
Sur Android on peut bidouiller :
https://play.google.com/store/apps/...
8 De Pierre-Luc Paour - 26/10/2012, 09:34
Je pense que tu pourrais différencier trois catégories de téléphones et tablettes :
- ceux qui sont prévus pour être "bidouillables", où chacun peut sans matériel supplémentaire développer des applis et éventuellement modifier le logiciel intégré
- ceux qui sont complètement fermés
- ceux qui ne sont pas explicitement prévus pour être bidouillables mais qui sont suffisamment ouverts pour être bidouillés, et sur lesquels le développement d'applications est possible sans matériel supplémentaire
Des projets comme AIDE (https://play.google.com/store/apps/... , gratuit et téléchargé à plus de 500 000 exemplaires) permettent à un possesseur de tablette Android (à la limite de téléphone) de développer une appli Android native complète, exécutable immédiatement et publiable (il faut alors acheter la version pro d'AIDE, et éventuellement payer les 25$ pour l'accès au Play Store).
Je ne veux pas diminuer le mérite des projets Mozilla en la matière, juste nuancer un peu.
9 De jakatak - 26/10/2012, 09:38
Bonjour Tristan,
Et merci pour cet article, les outils cités en bas, je ne les connaissais pas, et je compte bien les faire découvrir aux collégiens.
La "bidouillabilité" comme tu le défends me semble bien en lien à la pédagogie Montessori.
Cordialement,
10 De Grégoire Colbert - 26/10/2012, 14:58
Il y a d'une part la nécessité de pouvoir mettre les mains dans le cambouis afin d'apprendre à se servir des ordinateurs (beaucoup d'informaticiens professionnels sont, à la base, des autodidactes, et il faut maintenir cela), d'autre part la nécessité de pouvoir contrôler nos outils de traitement de l'information. Il me semble que ce sont deux objectifs différents, le premier étant plutôt tourné vers l'apprentissage de l'informatique, l'autre vers l'utilisation avancée des machines à notre disposition.
Le fait que les tablettes et smartphones ne donnent pas accès au code n'est pas un problème pour moi car ce que l'on appelle "le code" n'est pas d'un assez haut niveau d'abstraction (du moins le code Java, Objective-C ou JavaScript).
Ce qui est un vrai problème, par contre, c'est que les applications pour smartphones ou tablettes sont conçues exactement comme les applications pour PC du début des années 90, sans séparation back-end/front-end, sans interface d'accès aux données autre que l'IHM, avec des données stockées souvent en binaire, avec des interfaces graphiques peu ou pas configurables, et que les systèmes d'exploitation n'autorisent que le copier/coller pour échanger des données entre applications (il faut dire que même sur ordinateur, il n'y a pas grand chose d'autre, les tubes Unix et les scripts shell étant une affaire de spécialistes).
Pour résumer, des outils graphiques comme Yahoo Pipes me semblent bien loin de ce que l'on appelle "le code", et pourtant sont clairement un moyen de traiter l'information.
11 De Philippe - 26/10/2012, 16:27
Article révélateur du monde l’Open Source qui ne comprend toujours pas le monde industriel.
99% des utilisateurs de terminaux mobiles se fichent totalement d’avoir accès au root, à l’OS, et sont très heureux qu’ils en soit ainsi pour justement disposer d’un système stable car protégé, mais 1% est contre au nom de la liberté de bidouiller.
Quant à l’éducation des jeunes, il serait plus pertinent de faire le reproche à l’Éducation nationale de ne pas inscrire aux programmes dès le plus jeune âge, l’enseignement de l’informatique et l’apprentissage du code.
Ouala.
Moi aussi je sais râler.
12 De Dario Spagnolo - 28/10/2012, 12:49
S'il est indéniable que les tablettes et smartphones sont en train de devenir incontournables et quittent peu à peu leur statut de gadget, le PC tel que nous le connaissons n'est pas sur le point de disparaître. Tristan parle d'ailleurs de tablettes qui remplaceront la plupart des PC. Peut-être bien. Mais est-ce que la plupart des PC ne sont pas déjà aujourd'hui relégués par leurs utilisateurs à un rôle de super machine à écrire ou de console de jeux ? Pour un certain nombre de besoins, le PC restera incontournable. La bidouillabilité informatique dans l'absolu n'est donc pas en danger (à partir du moment où les utilisateurs restent actifs en utilisant et soutenant des logiciels libres par exemple).
Ce n'est pas parce que nous avons connu des PC quand nous étions jeunes que nous sommes devenus les bidouilleurs que nous sommes aujourd'hui. Nous connaissons tous des dizaines de personnes dans notre entourage qui ont eu accès au même matériel mais qui en sont restés de "simples" consommateurs (je ne dénigre pas).
Alors oui, il est important de permettre à nos enfants de bidouiller et je pense aussi que c'est important pour la société de demain. Mais si, par malheur, les tablettes / smartphones devaient rester des plateformes fermées ou semi-fermées (ce que je ne souhaite pas et je salue la volonté de Mozilla pour faire en sorte que cela n'arrive pas !), la créativité continuerait de s'exercer sur les plateformes ouvertes avec, bien entendu, de fortes répercussions sur les appareils mobiles.
13 De Nico - 28/10/2012, 20:10
Le gros problème de ces concepts, c'est déjà que le grand public ne sait pas que ça existe (c'est quoi la bidouillabilité ?) et surtout qu'il ne voit pas l'intérêt de ces concepts (bidouillable, mais pourquoi ?).
Le gros souci que j'y vois, c'est comme tu l'as dit que ça nous transforme en consommateur, et cela réduit énormément notre part de créativité : moi-même, j'utilise beaucoup ma tablette (y compris pour créer), mais je reconnais que je suis très vite limité quand il faut affiner cela. Au final, ça reste un support de consultation, de divertissement, et bon pour prendre des notes et en jeter. Mais de là à les amener au bout, c'est une autre paire de manches...
14 De osef - 31/10/2012, 20:37
> Le journaliste, fort sympathique par ailleurs, ne se laissa pas faire : d'après lui, "monsieur Toulemonde et madame Michu ne veulent pas coder, n'ont pas besoin de coder".
Ah non non non, le journaliste qui décide à ma place ce que je veux et/ou ce dont j’ai besoin ne peut être sympathique : il empiète trop sur ma liberté
15 De Yann - 02/11/2012, 12:54
Salut Tristan,
Métaphore pour ta réflexion : a t on envie d'un monde où il n'y aurait que des restau et des plats cuisinés ?
Et bien non, on souhaite aussi faire des plats maison, et faire des diners à partir de recettes déjà pré fabriqués (type picard).
Mais depuis des dizaines d'années, on est tout de même de plus en plus dans le "déjà fait".
L'informatique doit pouvoir rejoindre ce même plaisir de choix personnel :
- pas de temps, pas d'envie, je fais faire.
- envie, du temps, plus de savoir, plus de talent, je fais moi moi même
Merci de savoir préserver nos 'marchés de quartier', nos cuisines maison !
A quand le Master Chef du codeur ?