Il y a beaucoup de débats autour de la relation complexe entre numérique et climat. L’industrie et ses représentants clament que le numérique fait partie de la solution face au défi climatique. Et c’est vrai ! Mais le numérique fait aussi partie du problème, et comme tout ce qui a une empreinte carbone, il est important, pour éviter la catastrophe climatique, de réduire ses émissions de gaz à effet de serre. D’où cette question essentielle : quelle partie du numérique émet-elle le plus de gaz à effet de serre ? C’est ce que je vous propose de voir (et en plus, comme ça on saura si supprimer ses emails est la chose la plus importante à faire ou pas[1]) !

Terminaux, réseau ou Datacenter ?

Pour faire simple, on va diviser le numérique en trois niveaux :

  1. le data center et ses serveurs et son stockage,
  2. le réseau, et
  3. l’équipement de l’utilisateur, donc PC de bureau, PC portable, smartphone, TV et décodeurs / box associés. On y ajoutera les objets connectés utilisés à la maison, genre montre connectée, thermostat connecté, balance connectée et autres brosses à dents elles aussi connectées.

Au delà de la simple utilisation et du CO2 : analyse multi-critères et cycle de vie

Les gens sérieux qui réfléchissent sur ces sujets ont deux principes essentiels :

  1. Penser multicritères et ne pas se focaliser sur un seul critère (par exemple seulement les Gaz à Effet de Serre — GES). Pour une raison toute simple : si on n’a qu’un seul critère, on a vite fait d’optimiser pour ce seul critère et donc reporter le problème ailleurs, là où on ne fait pas de mesures. Certes, pour lutter contre le changement climatique, mesurer les GES est essentiel, mais n’oublions pas l’utilisation d’eau (qui est une ressource critique : seulement 1 % de l’eau est potable et accessible), sa pollution, l’utilisation de ressources abiotiques[2] (par exemple les minerais dans le sol), qui eux aussi s’épuisent.
  2. penser à l’ensemble du cycle de vie du produit. Logiquement, en tant que consommateurs, on a tendance à regarder ce que consomme un appareil. Mais avant qu’il n’arrive à la maison, il y a eu des tas de choses qui ont été faites en amont : extraire les minerais et différentes matières premières pour le fabriquer, déplacer ces matières premières, assembler l’objet, le livrer au magasin, puis l’amener à la maison. De même, en aval, l’objet peut être réutilisé, réparé, voire recyclé ou dans une décharge (cas le plus fréquent). Chaque étape peut consommer de l’eau, de l’énergie, des ressources abiotiques ou polluer. Il faut le prendre en compte.

Les chiffres !

Une étude, intitulée iNUM : impacts environnementaux du numérique en France est parue en janvier 2021. Elle nous donne les chiffres que nous cherchons. Au début, ça fait un peu peur, mais pas d’inquiétude, ça se lit très bien avec un peu d’explications…

Répartition par tiers des impacts du numérique en France en 2020

Dans le tableau ci-dessus, on voit très bien, dans la colonne « GES » (gaz à effet de serre) qui est la plus importante pour le climat, que c’est du côté des terminaux des utilisateurs que se trouve l’essentiel du problème, avec 84 % des gaz à effet de serre produits. Les centres informatique (datacenters) et le réseau ne génèrent que 6 % et 10 % respectivement des GES. Dans l’idée d’avoir une approche multi-critères, on voit que côté consommation d’eau et de ressources abiotiques, c’est encore du côté des terminaux que se situe l’essentiel du problème.

Mais parce qu’il faut prendre et respecter les bonnes habitudes, voyons voir du côté du cycle de vie. Du coup, ça fait un tableau un peu plus compliqué, puisque pour chaque niveau, on sépare la phase de fabrication (notée FAB) de la phase d’utilisation (notée USE).

Répartition des impacts du numérique en France en 2020

J’ai fais une variante simplifiée du schéma pour qu’il soit plus lisible :

Répartitien par tiers des impacts en GES du numérique en France en 2020

Au niveau des émissions de gaz à effet de serre, toujours par rapport au climat, on constate que c’est la fabrication des terminaux qui domine de très loin (pour 76 %), en terme de production de gaz à effet de serre. À côté, la production de GES par les datacenters (10 %) et le réseau (6 %) sont négligeables[3].

Quelles leçons à retenir ?

La première des solutions face à cette information, c’est que pour réduire l’empreinte carbone du numérique, on dispose d’un levier beaucoup plus efficace que les autres : il faut augmenter la durée de vie des terminaux. L’étude iNum (téléchargeable au format PDF (400 Ko) recense 4 recommandations que je ne vais pas paraphraser ici, et nous verrons dans un prochain billet comment utiliser au mieux le fait que l’immense majorité des gaz à effet de serre du numérique reposent sur la fabrication des terminaux.

Notes

[1] Pour faire simple, non, ça n’est pas la bonne solution, c’est comme croire que faire pipi sous la douche sauve la planète, c’est rassurant, mais pas efficace. Il peut y avoir un cas où c’est bien, c’est quand vos messages email sont stockés en local et que votre appareil est à bout de son “espace disque”, ce qui vous pousse à le changer. À ce moment-là, supprimer des emails peut aider à garder son terminal plus longtemps. Astuce : commencez par ceux ayant de grosses pièces jointes. Et dans la foulée, supprimez les vidéos les plus grosses.

[2] Ressources non vivantes se trouvant naturellement dans l’environnement, non créées ou produites par l’homme ou l’activité humaine.

[3] On notera que ce sont des chiffres pour des équipements réseau et datacenter situés en France, où l’énergie est beaucoup plus décarbonée qu’ailleurs, grâce au nucléaire et à l’hydroélectricité. Pour des datacenters situés à l’étranger, le pourcentage de GES serait un peu plus élevé.