Tout le monde aujourd’hui ou presque a entendu parler du changement climatique. Une infime minorité n’y croit pas, laissons les de coté. Prenons ceux qui savent que le changement climatique est en cours, c’est à dire toi, cher lecteur. Je me permets de te tutoyer parce que nous ne sommes pas si nombreux ici. Alors voilà, tu sais que le climat change. Et tu sais qu’il va falloir changer nos habitudes, nos modes de consommation. Bien !

Mais sais-tu à quel point il va falloir changer et pourquoi ?

Il y a une question que je pose souvent autour de moi (encore cette après-midi à quelqu’un que je rencontrais pour la première fois) :

Sais-tu quelle est ton empreinte carbone ?

La réponse 99 fois sur 100, est négative : on ne connait que rarement son empreinte carbone. Seulement voilà, l’histoire démontre qu’on ne peut bien changer que ce que l’on mesure. Et notre empreinte carbone est probablement la principale chose à changer dans les années à venir. Et pour ça, il faut la mesurer (c’est très compliqué), ou au moins l’estimer (c’est beaucoup plus facile).

Tiens, on va le faire maintenant, tu prends 5 minutes, et tu réponds au questionnaire de l’ADEME. Vas-y, je t’attends ici, ça va te prendre 5 minutes.

Ça y est, c’est fait ? (Je te rassure, même si ça n’est pas le cas, tu peux continuer à lire l’article).

Tu as trouvé un nombre de tonnes d’équivalent CO2 par an qui doit être quelque part entre 3 et 30. La moyenne française est entre 11 et 12 t[1].

Dans tous les cas, c’est trop. Je m’explique.

Le changement climatique en une minute

On sait depuis plusieurs décennies que le climat change et se réchauffe en moyenne. On a pris comme référence de température celle des débuts de la révolution industrielle, autour des années 1850. Pour l’instant, nous sommes à 1°C environ au dessus de cette référence. Idéalement, il faudrait éviter d’aller au delà de 1,5°C pour éviter de trop changer le climat. À 2°C de plus que la moyenne de 1850, on commence à vraiment changer le climat. Au dessus, ça vire à la catastrophe[2].

Par ailleurs, on sait calculer combien on peut émettre de CO2 pour rester en dessous de 1,5°C (ou 2°C). On sait combien on a d’habitants sur la planète, donc on sait combien chacun peut encore produire de CO2 pour rester dans les limites de réchauffement qu’on s’est fixé, entre 1,5°C et 2°C. C’est ce qu’on appelle le budget carbone.

Bref, de 11 à 12 tonnes de CO2 émis par français par an en moyenne, il va falloir passer à 2 t. Oui, il va falloir diviser nos émission de CO2 par 5 ou 6. En quelques décennies ! Voilà pourquoi j’estime que le changement climatique change tout… Cela nécessite de repenser plein de choses, en profondeur !

Voici un graphe qui explique combien on peut encore dépenser pour rester en dessous de 1,5°C :

Graphe 1.5°C

On voit que plus on tarde, plus le changement doit être rapide. C’est un peu comme un virage qu’on doit prendre face à un mur : plus on tarde, plus il faut tourner le volant fort et subir d’autant plus la force centrifuge…

Ainsi, si on avait commencé à prendre le virage en 2000, il aurait suffit réduire nos émission de 4% par an pour rester à 1,5°C. Mais on a attendu 20 ans de plus, et pour y arriver, il faudrait les réduire de 7,6 % par an, ce qui est évidemment beaucoup plus difficile, presque 2 fois plus…

Voici les trajectoires possibles pour rester en dessous de 2,0°C :

Graphe 1.5°C

L’objectif étant moins audacieux (mais le climat sera beaucoup moins clément), le virage sera un peu moins difficile à négocier.

Il n’en reste pas moins que même si on sait cela, et on le sait depuis très longtemps, on tarde à agir.

L’inaction jusqu’à ce jour

Voici par exemple la concentration de CO2 (principal gaz à effet de serre) tel que mesurée à l’Observatoire de Mauna Loa, avec les multiples engagements internationaux pour réduire les gaz à effet de serre.

concentration_CO2_1960-2020.jpg, déc. 2020

On le voit, les engagements des États succèdent aux discours grandiloquents mais la courbe monte comme si de rien n’était.

Parallèlement, les travaux des scientifiques, compilés par le GIEC, sont sans appel : chaque dixième de degré évité compte.

Ce maudit virage, il va bien falloir le prendre, et soit on l’anticipe, on choisit d’y faire face, soit on va le subir, et le choc sera infiniment plus violent. On peut toujours nier les travaux des scientifiques, mais il est très difficile de négocier avec les lois de la physique et de la nature. Autrement dit, on n’échappera pas au changement, et la vraie question est de savoir si on choisit le changement ou si on le subit.

Ce que cela implique dans nos métiers

Alors que nous vivons dans un système capitaliste qui décrète que la croissance est absolument indispensable, on se retrouve avec l’obligation de réduire d’urgence nos émissions de gaz à effet de serre (GES), CO2 en tête.

Cela veut dire que toutes les décisions structurantes que nous prenons actuellement doivent être mises en rapport avec l’absolue nécessité de faire face au changement climatique. Et cela touche toutes les industries et activités humaines. Absolument toutes, soit parce qu’elles sont productrices de beaucoup de GES (logement, agriculture, transport routier), soit parce qu’elles sont en forte croissance et donc leur production de GES est en forte croissance aussi alors qu’il faut la réduire d’urgence.

Pour recourir à une métaphore, je pense à un paquebot dont la coque est pleine de trous, et dont les passagers qui ont des petits trous dans leurs cabine estiment qu’on peut les agrandir, puisqu’ils sont petits, alors que ceux qui ont des gros trous feraient bien de s’activer pour les boucher, sinon on va tous mourir. Bien sûr, une telle attitude est aberrante, inacceptable. Et pourtant, aujourd’hui, de trop nombreuses industries, de l’aviation à la 5G, veulent accélérer et déployer des équipements qui vont à l’inverse de ce dont l’humanité a besoin, à savoir plus de frugalité.

Il convient à chacun de regarder le problème en face, y compris pour son propre métier, et se demander si, face au changement climatique, qui est le plus grand défi auquel l’humanité doit faire face, son métier, son travail, vont dans le sens qui va permettre de prendre le virage ou si au contraire, son action en tant que professionnel mène l’humanité droit dans le mur.

Bien sûr, c’est difficile. C’est bien plus facile de s’énerver, de tomber dans le déni, de s’emporter contre les “khmers verts” et de traiter l’autre camp d’Amishs. C’est crétin mais c’est humain : les émotions ne sont pas toujours compatibles avec la raison. Pourtant, alors que je vois mes concitoyens et mes collègues s’emporter et nier le climat, je me souviens que le déni et la colère sont en fait les deux premières étapes du deuil du monde d’avant, qui permet ensuite l’acceptation du changement en cours, laquelle permet de trouver un nouveau sens au monde qui vient et de se mettre en action et y trouver sa place.

Notes

[1] Au passage, le top 1% des européens est en moyenne à… 55 t d’équivalent CO2 par an !

[2] Il faut que je revienne sur ce sujet dans un prochain billet, mais pour résumer, le changement climatique va amener 4 dangers : des famines, des réfugiés climatiques, donc des conflits armés et donc au final un impact négatif (euphémisme) sur la santé humaine.