Le temps me manque, mais je ne peux pas laisser passer un fil Twitter de Gilles Babinet sur la 5G et l’écologie qui me parait manquer — disons pudiquement — d’objectivité et de précision.

Allez, c’est parti pour un debunk express, forcément critiquable, mais nécessaire.

Gilles Babinet, entrepreneur du numérique et conseiller du très libéral Institut Montaigne, qui nous parle d’écologie, chouette alors ! Et, surprise, il s’oppose aux experts du climat du Haut Conseil pour le Climat qui vient justement de publier un rapport sur la 5G.

Les hypothèses à propos des externalités de la 5G véhiculés dans l’étude du @hc_climat et préalablement du @theShiftPR0JECT sont largement contestables sur plusieurs points fondamentaux.

Contestables ? Allons donc. Mais encore ?

Il faudrait expliquer pourquoi, alors que la croissance du nombre d’usager de l’internet ralentit en FR, on aurait une accélération de la consommation.

Pourquoi le volume de données par utilisateur augmente ? C’est une excellente question, mais je m’étonne que Gilles la pose, tellement la réponse est évidente : les débits augmentent, les usages nouveaux apparaissent avec ces nouveaux débits, et ils touchent une population de plus en plus large qui adopte ces nouveaux usages plus consommateurs. Donc les volumes par utilisateurs explosent. Pour le comprendre, il suffit de voir dans la rue les gens faire de la visio juste parce qu’ils le peuvent, à la place d’un simple appel téléphonique. À titre d’exemple, je mesurais hier un call vidéo avec Jitsi, j’étais à 1200 kO/s. Un appel vocal, c’est 8 kO/s, soit 150 fois moins. Voilà comment, pour un service comparable (permettre à deux personnes de se parler), on multiplie la consommation par 150.

depuis vingt ans, le cycle de vie des terminaux mobiles se rallonge inexorablement. De 14 mois en 1997, il est désormais de 34 mois.

Oui, c’est vrai que la durée de vie des terminaux s’allonge. Dans un sens, c’est une excellente nouvelle. Et en même temps, et c’est une véritable catastrophe que ça ne change pas plus vite que ça. La vraie raison est que les constructeurs ont bien compris que les gens changent de mobile soit parce qu’ils l’abiment (mais avec les smartphones étanches et les housses de protection qui se généralisent, c’est moins fréquent) soit parce qu’il est démodé. Et la 5G, c’est ce qui justement démode les smartphones… et permet d’en vendre des nouveaux en remplacement. C’est bien pour cela que c’est utilisé comme argument de vente par tout le monde dans le secteur… alors que le réseau 5G débute à peine son déploiement et peine à convaincre.

Les pages d'accueils des 4 principaux opérateurs mobiles français font toutes la promotion du passage à la 5G

Les pages d’accueils des 4 principaux opérateurs mobiles français font toutes la promotion du passage à la 5G

Soyons clairs : le marché du smartphone est en plein ralentissement, et c’est une très mauvaise nouvelle pour les constructeurs, mais une excellente nouvelle… pour l’environnement.

En effet, si on regarde l’empreinte carbone d’un smartphone, on se rend compte que 90% de l’énergie dépensée sur son cycle de vie provient de sa construction, et seulement 10% lors de son utilisation. Cela fait que la meilleure façon de limiter les émissions de gaz à effet de serre dans l’industrie du smartphone, c’est de faire durer le plus possible le terminal. Le législateur l’a bien compris. En effet, si on se réfère à la proposition de loi sur l’impact environnemental du numérique, on voit que tout le chapitre II vise à « limiter le renouvellements des terminaux, principaux responsables de l’empreinte carbone du numérique ».

Et le 5G ne changement pas grand chose à cela car beaucoup de terminaux vendus sont déjà 5G ready (sic[1])

Je n’ai pas les chiffres sur la proportion de smartphones compatibles 5G, mais je doute que la plupart des terminaux déjà vendus et donc dans les mains des consommateurs soient 5G ready. À titre d’exemple, l’iPhone 12, premier iPhone compatible 5G, est disponible depuis 10 semaines seulement. D’autres fabricants comme Xiaomi, ont lancé des smartphones 5G bien avant, mais n’ont pas rencontré leur public vue l’absence totale de réseau 5G déployé en France.

En fait, la 5G change beaucoup de choses pour les fabricants avant tout ! Constructeurs de smartphones qui voyaient jusqu’à présent leur marché ralentir et espèrent le voir redémarrer, fabricants d’équipements réseaux qui voient ici l’occasion de relancer leurs ventes aux pays occidentaux déjà équipés en 4G. Pour eux, la 5G est une aubaine incroyable.

Les études sur les externalités sont peu nombreuses, 2021 devrait voir plusieurs publications de référence s’effectuer (MIT, ZTH, Instituts Fraunhofer…) à ce propos.

Oui, là je suis vraiment d’accord avec Gilles : il faut plus d’études sur les externalités, positives et négatives, du numérique… à condition qu’elles soient objectives. Et c’est là que le bât blesse…

Gilles enchaîne alors sur une étude :

Une attachée (étude ?) de Carbon Trust / GSMA

Le problème des trop rares études disponibles, c’est qui les finance. Par exemple, celle citée ci-dessus l’est par la GSMA. Qui est GSMA (à part être l’organisateur du Mobile World Congress, le plus gros salon de promotion du mobile à Barcelone) ? C’est marqué page 4 de l’étude : ce sont les gens qui « représentent les intérêts des opérateurs dans le monde, ainsi que l’écosystème mobile, fabricants de terminaux, fournisseurs d’équipement, éditeurs de logiciels et entreprises de l’Internet ». Cela change-t-il quelque chose ? Oui, bien sûr, dans la mesure où ces cabinets, qui commercialisent leur travaux à prix d’or, s’assurent que les conclusions n’iront pas à l’encontre des intérêts de leurs commanditaires…

je suis indépendant de tout intérêt économique dans ce domaine. Je pense par ailleurs pouvoir affirmer avoir une sensibilité écologique forte.

Oui, alors en fait c’est compliqué. Entendons-nous bien : je ne dis pas que Gilles Babinet ment ou qu’il a des actions chez les fabricants de terminaux ou les opérateurs. Je l’ignore et je lui fais confiance sur le sujet. Par contre, comme indiqué dans l’article qu’il mentionne, Gilles Babinet est entrepreneur et conseiller de l’Institut Montaigne, lequel est bien connu pour ses positions économiquement très libérales[2], c’est à dire empreint d’une certaine vision du monde.

Cette vision cornucopienne, qui estime que les innovations technologiques permettront à l’humanité de subvenir éternellement à ses besoins matériels, j’ai pu la partager en partie par le passé. Malheureusement, elle n’est pas compatible avec le changement climatique qui, comme je l’écrivais hier change tout. En effet, Gilles — comme beaucoup de gens de son âge et de son milieu professionnel — est encore ancré dans l’ancien paradigme où la croissance et le solutionnisme technologique nous sauverons.

D’autres, dont je fais partie, comme Jean-Marc Jancovici du Shift Project et probablement les autres membres du Haut Conseil pour le Climat, ont dépassé cette croyance et réalisé qu’elle n’était pas compatible avec l’impératif de réduire massivement (diviser par 6 !) nos émissions de gaz à effet de serre de façon à laisser une planète habitable à nos enfants.

À ce titre, ils sont en droit de questionner l’idée comme quoi en renouvelant toutes les infrastructures mobiles et tous les terminaux mobiles, en faisant exploser les usages et la bande passante, on va diviser par 6 l’empreinte carbone du numérique des français. Car c’est bien l’enjeu principal auquel nous devons faire face, en préférant les concepts de résilience et de frugalité à la croissance et au solutionnisme technologique.

Notes

[1] Je pars du principe qu’il a voulu écrire “le passage à la 5G ne changera pas grand chose à cela car beaucoup de terminaux son déjà 5G ready”.

[2] Cela lui a valu quelques controverses.