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vendredi 5 janvier 2024

Décès de Niklaus Wirth

Portrait de Niklaus Wirth par Tyomitch sur Wikipedia

L’incroyable Niklaus Wirth vient de mourir. Cet informaticien suisse a eu une énorme influence et j’aurais aimé qu’elle soit plus grande encore. Je m’explique :

NIklaus Wirth a fait ses études à Zurich puis Berkeley et a enseigné à Stanford. Il a inventé le langage Pascal et remporté le prix Turing (aka le prix Nobel d’informatique). Et bien plus encore.

Il est l’auteur, dès 1995, un article intitulé “A plea for lean software” / « un plaidoyer pour du logiciel sans gras ».

Il y écrivait ceci :

Il est clair que deux facteurs contribuent à l’acceptation de la croissance effrénée du logiciel :

1 - la performance croissante et sans arrêt du matériel (NdT : voir ce que j’explique dans mes travaux sur la loi de Moore)

2 - l’incapacité des utilisateurs à faire la différence entre les fonctionnalités essentielles et celles qui sont juste sympas.

Mais qu’est-ce qui mène à la complexité du logiciel ? La première des causes est que les fournisseurs de logiciels acceptent de développer quasiment toutes les fonctionnalités demandées par les utilisateurs. Toute incompatibilité avec le concept de départ est ignorée, ce qui rend le design plus compliqué et l’utilisation plus compliquée. Quand l’attrait d’un système est mesuré par le nombre de nouveautés, la quantité devient plus importante que la qualité. Chaque nouvelle version doit apporter de nouvelles choses, même si certaines n’améliorent pas la fonctionnalité.

Cette démarche des industries du matériel et du logiciel, Wirth la résumait ainsi : « le logiciel ralentit plus vite que le matériel n’accélère ». On l’a aussi transposée à la bureautique de cette façon : « Ce qu’Intel vous donne, Microsoft vous le reprend ». Bref, le numérique court toujours plus vite… pour finir par faire du sur-place.

Tout cela a mené le numérique au gaspillage et à la pollution qu’on lui connait depuis 50 ans : une nouvelle génération de matériel permet de faire tourner une nouvelle génération de logiciels, alors l’ancienne génération — qui fonctionne encore parfaitement — est alors vue comme obsolète et se retrouve dans une décharge à ciel ouvert en Afrique.

À l’heure où nous prenons de plus en plus conscience des problématiques d’effondrement de la biodiversité et de notre empreinte carbone, nous ferions bien d’écouter un peu plus Niklaus Wirth et tâcher de revenir à plus de simplicité, de discernement et surtout d’optimisation de nos logiciels. Car à nous focaliser sur la création de nouvelles fonctionnalités “sexy” plutôt que de faire du logiciel qui tourne vite et bien, nous avons écrit du logiciel pas optimisé qui pourrait tourner considérablement plus vite si on s’en donnait la peine.

Seulement voilà, il faut savoir que les trois quarts de l’empreinte carbone du numérique provient de la fabrication du matériel. Si on prenait le temps de faire cette optimisation sur laquelle nous avons collectivement procrastiné, nous pourrions faire durer nos matériels considérablement plus longtemps et ainsi réduire massivement l’empreinte du numérique… et utiliser les ressources libérées par l’optimisation pour continuer à innover et inventer de nouveaux usages.

Mes collègues d’OCTO et moi travaillons sur ces sujets. Cela débouche sur une série de conférences et d’épisodes de podcasts ! (Oui, l’Octet Vert va reprendre du service, sous un autre format).

samedi 16 septembre 2023

Non, la nouvelle Apple Watch n'est pas neutre en carbone

Copie d'écran du site Apple montrant une Apple Watch prétendument neutre en carbone

Copie d’écran du site Apple montrant une Apple Watch prétendument neutre en carbone

Non, la nouvelle Apple Watch n’est pas neutre en carbone.

Apple crie sur tous les toits que sa nouvelle gamme d’Apple Watch est neutre en carbone. Sous-entendu : vous pouvez vous l’offrir sans mettre en danger ni le climat ni la planète.

C’est faux, et c’est compliqué.

Je m’explique : je salue vraiment les efforts d’Apple pour réduire leur empreinte carbone et énergétique, et pour communiquer sur le sujet. J’aimerais que d’autres constructeurs en fassent autant voire plus.

Mais voilà, on ne peut pas dire qu’un produit (ni une entreprise) est neutre en carbone et l’ADEME explique pourquoi en détail.

Voici ce qu’Apple dit sur son site :

Notre stratégie exigeante de décarbonation des produits se concentre sur différents aspects : la transition vers de l’électricité propre, la fabrication à base de matériaux recyclés et renouvelables, et le choix prioritaire de modes de transport à plus faible empreinte carbone pour nos produits, comme le fret maritime. Ce n’est qu’une fois que nous avons réduit nos émissions de façon substantielle que nous appliquons les crédits carbone issus de projets de haute qualité pour atteindre la neutralité carbone.

Soyons clairs :

  1. C’est bien de réutiliser des matériaux recyclés (titane, aluminium, bouteilles plastiques, filets de pêche, etc. dans le cas de la montre) ;
  2. C’est bien d’utiliser de l’électricité décarboné (à base d’éolien, de photovoltaïque ou d’hydraulique) ;
  3. C’est bien de réduire le recours au transport aérien, très polluant par rapport au train et au fret maritime.

Mais dans tous les cas ça produit toujours des gaz à effet de serre. Moins que dans les modèles précédents, certes, mais ça en produit toujours, c’est factuel. Il faut toujours du pétrole pour fabriquer et faire avancer les bateaux, pour produire des éoliennes, des panneaux photovoltaïques, des barrages, des centrales nucléaires[1] etc.

Alors comment Apple arrive-t-il à affirmer que la production et l’utilisation de la montre ne produisent pas de gaz à effet de serre ? Tout simplement en ayant recours à la compensation carbone (en anglais : Carbon Offsets). En gros, ils plantent des arbres ou protègent des forêts contre la déforestation. Et ça ne marche pas, pour des tas de raisons, en voici quelques unes :

  • Les arbres ne vont retenir du carbone que lors qu’ils seront grands, c’est à dire dans des décennies (alors que la production du CO2 est faite cette année) ;
  • Il faut que ces arbres vivent longtemps pour conserver le carbone capturé (et donc que cela soit épargné par les feux de forêt) ;
  • Il faut que la forêt plantée soit utile aux populations locales sinon elle ne sera pas entretenue et sera dommageable aux populations ;
  • Pour des raisons de coûts, on a tendance à planter des arbres de la même essence, ce qui est un drame pour la biodiversité.

Bref, bravo à Apple de montrer l’exemple sur ces sujets de réduction d’empreinte, mais appeler cela de la neutralité carbone en vue de nous faire consommer plus, c’est là que ça ne va pas.

Parce que la seule Apple Watch neutre en carbone, c’est celle qui n’est pas produite et donc pas achetée.

Mise à jour du 27/10/2023 : Apple épinglé pour greenwashing : Mère Nature était corrompue. « Des associations de consommateurs européennes s’attaquent à Apple et à ses arguments de vente écologistes : elles remettent en cause l’utilisation de la marque de la « neutralité carbone », qui tromperait les consommateurs. Apple pourrait même se voit interdire l’utilisation de cette expression. »

Quelques liens complémentaires sur Apple

Pour en savoir plus sur la compensation carbone

Note

[1] Encore faut-il considérer comme « propre » le nucléaire, ce qui est un autre débat. Décarboné, certes, mais propre ? J’ai un doute…

lundi 17 avril 2023

ChatGPT et l'IA générative sont-ils compatibles avec le virage climatique ?

Il y a quelques jours, je posais sur Mastodon la question suivante :

Microsoft a dépensé des centaines de millions de dollars pour construire le supercalculateur sur lequel s’appuie ChatGPT, basé sur plusieurs milliers de GPU. Quels volumes de gaz à effet de serre sont produits, quelles quantités d’eau et de minerais sont consommés pour faire et faire fonctionner ces systèmes. Est-ce compatible avec l’impérieuse nécessité d’atteindre l’accord de Paris pour que survive la civilisation ?

C’était une question réthorique, qui n’appelait pas vraiment de réponse. Et pourtant, c’est l’ami Benoit Petit[1], qui m’a répondu avec une liste de liens. En voici quelques uns, si jamais l’envie me vient de faire un article récapitulatif en français à l’avenir :

Donc, sans vouloir vous spoiler, au doigt mouillé, la réponse est claire : non, ça ne va pas être possible de tenir l’accord de Paris tout en faisant de l’IA générative à grande échelle avec plusieurs milliards d’utilisateurs,

Mise à jour du 18/04 : comme l’explique le premier article de la liste :

large-scale adoption of LLMs would lead to unsustainable increases in ICT CO₂ emissions”

However, improved resource usage efficiency also lowers the relative cost of using a resource, which leads to increased demand 1. This is known as Jevons paradox or the “rebound effect”. Jevons described in 1865 how energy efficiency improvements increased consumption of coal. What this means is that the way to reduce the climate cost of the AI revolution can’t be purely technological. As with any activity that consumes energy, the best way to limit energy consumption is to limit the activity.

As a society we need to treat AI resources as finite and precious, to be utilised only when necessary, and as effectively as possible. We need frugal AI.

Note

[1] À l’initiative de Hubblo et Scaphandre, et membre de Boavizta, invité de l’Octet Vert.

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