Hier soir, en tant que parrain de la promo 2011 des mastères spécialisés de l'ESCP Europe, j'ai été invité à prononcer un discours dans le cadre de la cérémonie de remise des diplômes. Le texte ci-dessous est une retranscription des notes que j'ai utilisées pour ce discours.
Remise des diplômes Mastères Spécialisés ESCP Europe
Bonjour, et toutes mes félicitations pour ce grand jour.
C'est un honneur d'être ici. Je suis prêt à prendre le pari que si on avait demandé aux professeurs de mon mastère, en 1989, de choisir dans la promo celui qui ferait le discours de mars 2012, je n'aurais pas été choisi, parce que mon diplôme, je ne l'ai pas eu avec les félicitations du jury, mais plutôt avec la consternation du jury. Et pourtant c'est moi qui suis sur scène ce soir.
En 2010, j'ai donné une conférence dans le cadre de l'ESCP, où j'affirmais dans l'introduction que j'étais un raté. La moitié de la salle a souri, mais l'autre moitié ne semblait pas comprendre. Bien sûr, c'était de la provocation. Je comparais la notion d'école de commerce - qui fait donc des "commerciaux" - au fait que j'ai monté une organisation à but non-lucratif. Apparemment, ça n'a pas suffi à convaincre la direction de l'école pour éviter de m'inviter ici ce soir.
Du coup, j'ai réfléchi à ce dont je voulais vous parler aujourd'hui. J'avais sélectionné trois thèmes à aborder. Et puis j'ai à nouveau regardé cette vidéo de Steve Jobs, un discours qu'il a donné à l'université de Stanford en 2005, alors qu'il vivait une rémission de son cancer. Je vous encourage à aller la voir sur Youtube. C'est là que j'ai réalisé que j'avais à peu de chose près choisi les trois thèmes que Steve Jobs aborde !
Alors là, on peut voir le verre à moitié plein ou à moitié vide. Si j'étais pessimiste, je dirais que l'intervention de Steve Jobs est meilleure que la mienne, qu'il a eu un parcours inouï, que c'est un show man d'exception, et qu'en plus, ça permet de pratiquer son anglais !
Mais je suis un indécrottable optimiste, et du coup je vois que d'une part mon intervention est en français, ce qui rend les choses plus faciles, et d'autre part qu'on est beaucoup mieux ici qu'au cimetière…
Plus sérieusement, revenons au trois thèmes que je voulais aborder avec vous. Trois conseils sur la notion de réussite :
1 - Organisez-vous. Apprenez à vous organiser. On trouve plein de méthodes pour cela, par exemple le livre de David Allen "Getting Things Done" / "S'organiser pour réussir" (chez Amazon). S'il y a une chose qu'on néglige trop souvent en France, c'est l'importance de l'exécution. On a souvent tendance, dans notre beau pays, à valoriser les grandes idées et à négliger les choses concrètes souvent moins valorisantes mais absolument nécessaires pour qu'un projet fonctionne, quel que soit sa taille. Ce sont elles qui font la différence entre un projet qui réussit et un qui échoue.
2 - Choisissez bien votre job. Un job idéal a deux attributs:
- Il vous plaît (tant le contenu que l'environnement)
- Il concerne un domaine où vous excellez vraiment, où vous êtes bien meilleur que la plupart des gens qui font ce métier.
En substance, trouvez ce que vous aimez faire d'une part et trouvez ce en quoi vous excellez. Une fois que vous avez trouvé cela, et que vous avez appris à vous organiser dans la vie, alors vous êtes tirés d'affaire. Non seulement vous avez une valeur sur le marché, mais en plus vous allez vous amuser.
3 - Vivez votre vie à vous. Faites vos propres choix de carrière. Ne cherchez pas à vous couler dans le moule défini par ceux qui vous entourent.
Je vais vous raconter une petite anecdote à ce sujet, et comme toutes les bonnes anecdotes, elle est embarrassante pour celui qui l'a vécue. Je sortais de mon service militaire, et donc je cherchais un travail. Je faisais les petites annonces, j'envoyais des CV accompagnés de lettres de motivation. C'est là que je suis tombé sur un grand groupe de l'industrie agro-alimentaire. Je suis convoqué à un entretien. Ca se passe très bien. Très très bien. On m'a sorti un discours qui vous entendrez probablement. "Ah, monsieur Nitot, vous avez un très beau CV. Double formation ingénieur / école de commerce, c'est très bon, ça. Le groupe voit en vous un fort potentiel, et donc on voudrait vous traiter comme tel. On vous propose la voie royale chez nous : celle de l'audit. Vous ferez un tour de toutes les filiales, vous comprendrez tous les processus, vous aborderez tous les métiers à cette occasion. C'est le genre de carrière qui mène directement à la Direction Générale." J'étais ravi. C'était très bon pour l'égo, tout ça ! Pour moi, jeune chômeur qui ne savais pas trop quoi faire plus tard, c'était une aubaine. A moi la voiture de fonction et le titre ronflant, et la carrière de manager d'élite ! Mes parents allaient être contents ! Le rendez-vous s'est très bien passé. On arrivait à la fin. Le recruteur était en mode "séduction outrageuse". J'étais sous le charme. On allait se séparer, tous deux des étoiles dans les yeux. Et puis il y a eu ce dernier échange :
- (Le recruteur) - Mais, dites moi monsieur Nitot, sans considération de formation ou de salaire, quels sont les deux métiers que vous auriez choisi, si ça n'avait pas été chez nous ?
- (moi, qui n'avais bêtement pas prévu une telle question) - Bah, j'en sais rien
- le recruteur - Allez, monsieur Nitot, dites moi. N'hésitez pas, je suis sûr que vous avez bien une idée, même folle !
- moi - Ah euh... Bah clown... Ou alors curé…
On s'est séparé la dessus. Curieusement, je n'ai plus eu de nouvelles d'eux ! Pas un coup de fil, pas une carte postale, rien !
Evidemment, je n'ai pas tardé à réaliser que j'avais commis une bourde qui avait brutalement mis fin au processus de recrutement. Mais ce n'est que bien des années après que j'ai réalisé que mon subconscient avait juste tiré le signal d'alarme pour éviter d'aller dans une direction qui ne me convenait pas du tout. La bourde aurait sûrement été d'embrasser une carrière qui ne me convenait pas du tout.
Vingt ans plus tard, j'ai un travail, très souvent public, dont le titre est Principal Evangelist. Je prône le partage du savoir et du code informatique, j'invite les gens à fabriquer un avenir numérique meilleur. Je fais rire, je fais réfléchir mes interlocuteurs. Et ce soir, je me tiens devant vous, dans un rôle qui tient à la fois du clown et du curé !
Je vous remercie de votre attention, et sachez que tous mes voeux de réussite - tant professionnels que personnels - vous accompagnent !
8 réactions
1 De Docthib - 27/03/2012, 10:11
Merci pour ce très joli discours, très fidèle à la prestation "live" à laquelle j'ai eu le plaisir d'assister Quelques remarques pour rebondir sur différents éléments de votre discours :
- j'ai la conviction que deux choses manquent cruellement dans les formations supérieures de gestion (grande école ou MS) : (1) un cours obligatoire d'organisation personnelle (méthode GTD, Steven Covey, gestion des e-mails... À la demande d'un étudiant, j'avais fait une petite liste d'ouvrages ici : http://goo.gl/xTb5e (2) un cours obligatoire de prise de parole en public et/ou de vente directe. Trop d'étudiants sortent de l'école sans ces deux compétences qui, pour moi, sont utiles tout au long de la vie en entreprise.
- à propos du discours de Steve Jobs (dont une excellente traduction en français se trouve là : http://goo.gl/t4jM8 ), il est en effet inspirant, et a l'avantage, comme le vôtre, de tirer une sagesse intemporelle à partir de quelques anecdotes personnelles. Mais il faut souligner que ce type de discours inspirant ne convient pas à tous : c'est un discours extrêmement efficace, et motivant, pour des entrepreneurs. Mais cette attitude entrepreneuriale (ayez faim, soyez fous) peut ne pas être adaptée à certaines situations ou certains métiers. Or on a l'impression d'un discours universel, très vendeur et très américain : "ce que je vous conseille marche pour tous". Je préfère votre approche, plus centrée sur l'humain : "ne vous trompez pas sur le métier que vous voulez faire, et capitalisez sur vos qualités".
Merci encore.
2 De Aurélien - 27/03/2012, 10:19
Merci pour ce texte.
Je l'ai trouvé dans une certaine mesure, assez émouvant.
3 De Nico - 27/03/2012, 11:19
Héhé, ça me rappelle quelques souvenirs : lors de mon changement de job, j'avais deux propositions fermes, une très plaisante (là où je suis actuellement d'ailleurs), et une encore flottante.
Je sentais pas le gars qui m'avait fait passer l'entretien et qui voulait me faire passer un essai (ceci dit, la boîte avait l'air sérieuse).
Du genre, "vous aurez totale liberté"... et 5 mn plus tard, "... mais j'ai un droit de regard sur tout ce que vous faites".
Bref, arrive l'essai, malencontreusement, j'arrive en étant persuadé être à l'heure (1/4 d'heure en avance, j'étais attendu à 9H), et l'autre me pète un scandale car j'étais en retard (selon lui, c'était à 8H). Je tente d'apaiser son énervement.
S'en suit une explication assez musclée où ce monsieur décide de m'engueuler et de m'humilier devant tout le monde en plein accueil de la société. J'en ai pris pour mon grade : clown, pas sérieux, amateur, etc.
Après s'être bien déchainé, il conclut par "bon, bin on va reprendre un rendez-vous pour un AUTRE essai". Du tac au tac, je lui sors, très calmement et poliment :
- Non, nous allons en rester là. Visiblement, nous ne nous sommes pas compris, je le regrette et je m'en excuse des plus platement si j'ai commis une erreur sur l'horaire. Je prends mes responsabilités sur mes erreurs et si je me suis effectivement trompé, je ne peux pas vous reprocher une seconde de m'en vouloir. Ceci dit, ça ne vous donne pas le droit de me recevoir ainsi dans l'accueil de votre société.
- Il faut pas le prendre comme ça...
- Et donc, je dois le prendre comment ? Vous étiez dispo pour moi toute la matinée, mais vous ne l'êtes pas de 8H45 à 12H ? Si l'idée était de me tester, ça ne me gênait absolument pas de partir avec un handicap de 45 minutes pour tenter de vous prouver ma valeur.
- Mais...
- Votre patron prône le Savoir-Être, j'ai bien raison, c'est ce dont vous parliez dans l'entretien collectif ? Le - je vous cite - clown amateur a bonne mémoire, rassurez-moi ?
- Oui mais...
- Et bien c'est une étrange conception du Savoir-Être dont vous faites preuve.
- Mais...
- J'ai accepté une autre offre. Au revoir Monsieur.
Finalement, être peut-être arrivé en retard, c'est sûrement la meilleure chose qui me soit arrivée à cet entretien.
4 De Emmanuel - 27/03/2012, 17:39
Il est bien ce discours Tristan. Pour ma part j'ajouterais qu'il n'est jamais trop tard, même vieux, même très vieux, même très très vieux et que parfois, se tromper est aussi un raccourci.
5 De Tristan - 27/03/2012, 18:41
Cher @DocThib,
Ca fait plaisir de se retrouver sur des thèmes comme GTD et MBTI !
Je viens de passer commande de deux livres de votre liste (dont 7 habits).
--Tristan
6 De Badjawe - 29/03/2012, 10:10
Merci M.Nitot pour ce billet ! J'avais déjà entendu parler de GTD, mais le fait que vous le recommandiez vous-même m'a fait franchir le pas. Vous ne manquerez pas de toucher votre commission je présume Blague à part, j'ai toujours eu du mal à m'organiser efficacement, et une vraie méthode m'aiderait fortement à assumer mes envies de changement de cap dans ma carrière...
A ce sujet, merci aussi à Nico pour son témoignage de ce qu'il faut *surtout* faire dans des cas pareils au sien. Exploser comme ça dès le premier jour, ce n'était pas très futé de la part de ce petit adjudant. C'est plus dur de se rebiffer après plusieurs mois, voire années passées à supporter des choses de moins en moins supportables, alors pensez à vous et à votre santé. Si quelque chose cloche avec votre boulot, préparez votre porte de sortie, n'attendez pas qu'on vous la montre après une énième scène de ce genre...
7 De alhammed - 29/03/2012, 23:45
Lire c’est écouter, écouter c’est apprendre, apprendre c’est exceller !
merci à tous
8 De Imprim Pub - 02/04/2012, 17:19
Beau discourt!