Chacun y va de son anecdote. Peterv raconte cette histoire folle, où le gouvernement britannique a numérisé en 1986 un ouvrage datant de 1086 (oui, 900 ans plus tôt), le fameux Domesday book. Seulement voilà, en utilisant la haute technologie de l'époque pour numériser l'ouvrage et l'archiver pour les génération futures, il devient quasiment impossible de l'utiliser seulement 15 ans plus tard, car il nécessite des lecteurs et des ordinateurs spécifiques. Comme le signale un expert qui travaillait sur le sujet : Il est paradoxal que la version récente soit inutilisable, alors que l'ancienne est toujours accessible. On a de la chance que Shakespeare n'ait pas utilisé un vieux PC pour écrire son oeuvre.

Le père de Peterv renchérit : dans son secteur, il y a eu une bataille entre deux sociétés pour le marché des SIG, des logiciels qui permettent de représenter des données sur des cartes. Les deux systèmes (incompatibles) ont été utilisés pour produire de grandes quantités de données. La bataille terminée, il y a eu un vainqueur et un vaincu, et le vainqueur a maintenant le monopole du marché. Mais les anciennes données générées avec le produit concurrent ne sont pas lisibles avec la solution du seul acteur restant. C'est dramatique, car il est essentiel de pouvoir analyser l'évolution des données au cours du temps. Dans le cas de l'eau (le métier du père de Peterv), c'est vital. Telle ou telle zone est-elle inondable ? Peut-on construire à cet endroit ? Les nappes phréatiques sont-elles en train de se vider au cours du temps, et doit-on mettre en place une solution pour préserver la vie à cet endroit ?

J'enfonce alors le clou en racontant l'histoire des données des missions Apollo et des premiers lancements des navettes spatiales, dont la Nasa, plusieurs années après, à toujours besoin. Mais les bandes magnétiques sont devenues illisible. On a du se tourner vers une version papier, un classeur de 800 pages, qui aurait été retrouvée dans le garage d'un des scientifiques qui avait à l'époque travaillé sur ces projets.

Combien d'entre nous ont encore des données stockées sur des disquette 5"1/4, 3"1/2, voire d'autres supports plus exotiques encore ? Combien de millions de documents stockés au format WordPerfect ? Combien de milliards d'enregistrements de bases de données dans des formats propriétaires et non-documentés ? Sommes-nous prêts à dépenser des fortunes pour les récuperer, ou avons prévu de les laisser devenir obsolètes ? Il est plus probable que nous n'avons rien prévu du tout... Au delà de la problématique du support physique, reste celle du format des données. L'unique solution repose sur la combinaison des standards ouverts et du logiciel Libre, qui garantissent que les spécifications du format sont publiques et que chacun dispose du contrôle sur logiciel qui permet d'accéder au données, indépendemment du business plan d'une entreprise (quelle qu'elle soit), qui a pour principal objectif, non pas de garantir la perennité de vos données, mais de vous faire migrer vers la nouvelle version, seule façon de garantir sa croissance et donc, sa survie.

A l'heure du tout-Internet, du tout numérique (même les photos, les musiques), d'un progrès toujours plus galopant, n'oublions pas notre culture, et sa pérénnité. N'oublions pas que le logiciel libre et les standards numériques sont les seuls garants de notre accès à notre culture sur le long terme. A ce propos, qui peut me garantir que je pourrais, dans 20 ans, lire un CD protégé comme celui de Ben Harper dans ma future chaine Hifi, alors que je n'arrive déjà pas à le lire dans mon autoradio ? Qui me dit que vous arriverez à lire les enregistrements des gazou-gazou de votre petit dernier au format Windows Media ? On en a déjà transpiré pour convertir des films du Super-8 au format VHS, mais qu'en sera-t-il quand il s'agira de formats numériques 1000 fois plus complexes, alors que la récupération de cassettes Betamax est devenue mission impossible ?

Alors je sais, je me répète : standards ouverts et logiciels Libres sont les gages de la pérennité, l'enjeu étant la culture, on peut considérer qu'il est de taille.