Un apparté sur le sujet : je dois rajouter que Microsoft s'est attaqué à Netscape parce que c'était une entité commerciale, et donc facile à attaquer financièrement en la ruinant en supprimant son marché. Le Web lui-même a été attaqué, mais d'une autre façon, beaucoup plus subtile. Il a "suffi" de l'aliéner en obtenant le monopole des navigateurs, puis de le laisser pourrir en arrêtant son évolution, alors que la technologie n'était pas mûre. Je reviendrais sur ce sujet. En attendans, revenons à nos moutons :

Ian Hickson (Contributeur Mozilla, Expert invité au W3C et maintenant employé Opera), enfonce le clou dans son article State of the What. Il relit Spolsky et en fait un résumé complémentaire :

Joel Spolsky a écrit un article intéressant expliquant pourquoi Microsoft a arreté subitement le développement d'Internet Explorer il y a plusieurs années, malgré un nombre incroyable de bogues. Voilà le résumé rapide : ils ont réalisé que IE était en concurrence avec leur système d'exploitation en tant que plate-forme préféré pour le déploiement d'applications. Compte tenu qu'ils gagnent de l'argent avec leur système d'exploitation, et que cela n'est pas le cas avec IE, le choix était clair.

Les choses sont donc claires : Microsoft redoute le Web comme la peste, car il menace, en 2004 comme en 1996, sa plate-forme applicative Windows. Seulement voilà, tout le monde n'a pas forcément les moyens de déployer du Windows partout, ni la possibilité de déployer des applications lourdes (avec installation), là où les applications Web sont utilisables de suite et de partout, comme un Webmail, par exemple.

Tout le monde s'accorde à dire que les applications Web n'offrent pas (encore) le niveau d'ergonomie d'une application lourde. Pour un certain nombre d'applications, le plus souvent textuelles, ça n'est pas gênant. Par exemple, DotClear et Gmail sont très efficaces à l'utilisation. (J'utilise beaucoup DotClear, et presque exclusivement au clavier). Par contre, pour du graphisme ou d'autres usages, l'application Web est très nettement derrière l'application dite lourde.

Qui donc peut proposer une alternative à l'application sur client lourd ? Faisons un peu le tour de la question et des candidats éventuels :

  • Flash. C'est Dave Shea (Mezzoblue, CSS Zen Garden), dans son article Web apps are hot, qui parle de Flash : plus de 90% des utilisateurs Web ont un plug-in Flash installé, et Flash s'affiche de façon identique sur les différentes plates-formes. Souvenons-nous de ce que Joel nous rappelle : Tout est une question de développeurs.
  • Java. Oui, je sais, je sais. J'entends le cliquetis des couteaux à cran d'arrêt. Merci de les ranger et de me laisser terminer mon paragraphe... Java n'a pas eu le succès que le marketing de Sun voulait nous faire croire, du moins dans le cadre du navigateur. Coté Serveur, ça marche beaucoup mieux (cf xWiki), et finalement coté application installée sur un client lourd, j'aurais mauvaise grâce à en dire du mal : j'utilise en ce moment même jEdit pour écrire ce texte (et j'en suis ravi). Quoi qu'il en soit, Java dans le navigateur, c'est globalement Out.
  • XUL. Un savant mélange de XML, JS, CSS et HTML, utilisé par les navigateurs issus de Mozilla. A dire vrai, les interfaces utilisateur de Mozilla 1.x et de Firefox sont écrites en XUL. On obtient une ergonomie comparable à celle de l'application installée, en bénéficiant de la flexibilité de l'application Web. Voir le Mozilla Amazon Browser pour une démo et des explications, ou encore l'incontournable XUL FR. Inconvénient majeur : il faut avoir installé Mozilla ou Firefox pour déployer du XUL. Notons qu'en rajoutant la technologie SVG, on doit pouvoir offrir aux applications XUL des fonctionnalités inatteignables par les applications Web.
  • les technologies du W3C, sur la base de XML. SVG, SMIL, etc... Mais on en est encore trop loin en terme d'implémentation, et surtout Microsoft n'a pas du tout l'air d'aller dans cette voie là.
  • une version améliorée de HTML. C'est toute la démarche du WHAT Working Group. (Plus de détails sur le site du W3C). Il s'agit là d'une démarche practico-pragmatique, qui pourrait assurer la compatibilité avec Internet Explorer. C'est là son principal intérêt : permettre l'évolution des applications Web, sans pour autant avoir à déployer de nouveaux clients Web. Le développement est rapide et assez informel, et vise à être standardisé par la suite auprès du W3C. Une telle approche n'aura pas le panache ni les fonctionnalités apportées par XUL, mais elle a l'immense intérêt d'être incrémentale, et d'être rapidement disponible et sans déploiement de client Web à l'échelle du globe.

Voilà donc où nous en sommes. D'un coté figure Microsoft, avec sa volonté farouche de conserver son monopole sur Windows (et la valeur commerciale de cette plate-forme), veut à tout prix brider le Web, qu'il considère à juste titre comme une menace, tout comme Linux et le Logiciel Libre. De l'autre coté, on trouve un certain nombre d'acteurs, commerciaux ou non, et d'utilisateurs, qui considèrent que le Web est un outil formidable (humainement, commercialement), même s'il n'en est qu'à ses premiers balbutiements.

Les deux logiques s'affrontent. Connaissant Microsoft et ses méthodes (7 ans chez Netscape, ça vous forge une expérience dans le domaine), je prédis une guerre sanglante et quantité de coups bas.

Il ne s'agit pas d'attaquer Microsoft, mais bien de défendre le Web, Internet et la diversité de l'informatique.

Ca n'est pas une guerre contre Microsoft, mais bien une guerre pour l'avenir et pour Internet.

Et Firefox, je le souhaite, sera la première victoire pour se ré-approprier le Web. Mais la nouvelle guerre des navigateurs n'est en fait qu'un début dans une épopé qui va s'avêrer captivante, pour qui n'est pas massacré sur le champ de bataille...