... telle est la mission du projet Mozilla.

Promouvoir le choix et l'innovation

Je le redis et le re-redis. Si ce projet fédère autant de gens, d'énergie, de bonnes volontés, c'est bien grâce à cette mission. Qu'on arrive à avoir des ingénieurs payés à plein temps par IBM, Novell, Google, Red Hat, Sun et bien d'autres, à coté de bénévoles de tous ages[1] est très révélateur.

De l'importance des parts de marché

Comme je le disais dans mon billet précédent, le choix n'existe vraiment que si beaucoup d'utilisateurs connaissent l'existence ce choix et font ce choix. C'est tout particulièrement vrai dans le domaine du Web, où si on ne dispose pas d'une part de marché très significative, on n'est pas pris en compte par les développeurs Web et les sites sont incompatibles avec le navigateur alternatif. C'est pour ça que je me bats pour les standards depuis plus de 4 ans. Mais on beau expliquer l'importance des standards aux développeurs, la nature humaine étant ce qu'elle est, ils s'en contre-foutent tant qu'ils ne sont pas obligés de les supporter, compte tenu des parts de marché des navigateurs alternatifs. C'est un fait que j'ai eu l'occasion de vérifier quotidiennement depuis avant même la création du Standblog. Combien de fois m'a-t-on ri au nez quand j'ai expliqué l'importance des standards et qu'on m'a répondu Opera, c'est un demi pourcent et votre Mozilla, c'est à peine plus. Mes pages s'affichent bien dans IE, c'est tout ce que je demande.

Donc il faut des parts de marché pour atteindre notre objectif de rétablir le choix : à quoi sert un navigateur s'il ne peut pas afficher les sites Web ?

Notons au passage que ça n'est pas un aveuglement de la part de Mozilla pour les standards. Certains disent que "si Firefox ne cherchait pas tant à supporter les standards, il pourrait être compatible avec plus de pages Web". Rien n'est plus faux. Firefox utilise plusieurs modes de rendus (dont Quirks et Strict/Standards). Autrement dit, nous avons repris les bogues de rendu d'IE et des vieux navigateurs pour des raisons de compatibilité... Openweb a plus d'info sur ce sujet.

Et l'innovation, dans tout ça ?

L'innovation est là aussi. Firefox apporte un certain nombre d'innovations au grand public. Vous les connaissez. La recherche dans la page (Ctrl-F), l'intégration des moteurs de recherche, la navigation par onglets, les extensions. Coté développeur, le support des standards est un véritable bond en avant. Mais la bonne nouvelle, c'est que parce que Firefox innove et gagne des parts de marché, cela force Microsoft à faire de même. IE7 sortira avant VISTA, sera disponible sur XP Service Pack 2, et il intégrera des amélioration significatives en terme de support des standards (transparence Alpha pour les PNG, moins de bogues coté positionnement CSS). Il devrait supporter la navigation par onglets et l'intégration des moteurs de recherche.

Mission accomplie ?

Dans une certaine mesure, Firefox a déjà réussi partiellement sa mission :

  1. le choix existe, et 10 à 15% des utilisateurs l'ont fait ;
  2. Microsoft a été obligé de répondre à cela et va répandre les innovations (ergonomiques et techniques) auprès de ses utilisateurs.

Bon, on a gagné, et on rentre à la maison ?

A la limite, pourquoi pas. Je pense que je pourrais trouver un boulot assez facilement en ce moment. D'ailleurs, c'est pas con, tiens, je vais mettre à jour mon CV. Il parait qu'il y a des moteurs de recherche qui embauchent ces jours-ci :-)

Le problème, c'est que Firefox n'est pas encore installé de façon assez significative. Si le marché était stable, ça irait. On pourrait se contenter des 15% européens. Mais n'oublions pas que Microsoft va réaliser une campagne sans précédent pour le lancement d'abord d'IE7, puis de VISTA. Et si on ne fait rien, progressivement, IE7 va se retrouver à grignoter des parts de marché, avec le renouvellement des machines sous VISTA. C'est exactement ce qui s'est passé pour Netscape. Entre un bon produit qu'il faut installer manuellement et un produit comparable, peut-être un peu moins bien, mais installé par défaut, c'est le deuxième qui gagne.

La seule parade contre cela, c'est de se faire connaître, et de toujours avoir une supériorité technologique de Firefox par rapport à Internet Explorer.

Alors, c'est la guerre ?

Tout est relatif. Personne ne devrait perdre la vie dans cette histoire. A ce titre, le vocabulaire guerrier employé dans mon dernier billet peut paraître exagéré.

Mais voilà, à vouloir faire mieux que Microsoft, à s'interposer entre Redmond et cet énorme tas d'or qu'est redevenu le Web, il faut s'attendre à des moments parfois difficiles.

Soyons clairs : Microsoft, après avoir pensé pendant des années que le Web n'avait pas d'importance (2000-2004), après avoir soutenu à bouts de bras sa division MSN largement déficitaire, réalise enfin que le marché de la publicité en ligne est un magot à la hauteur de ses ambitions. Manque de bol, Google et Yahoo sont sur le coup. Heureusement, Microsoft a un levier immense dans cette bataille : pour aller sur Google et Yahoo, tout le monde utilise Windows et Internet Explorer. Sauf que justement, il y a des utilisateurs de Mac (environ 5%) et des utilisateurs de Firefox. Donc qu'on le veuille ou non, nous sommes dans une guerre. Ou plus précisément, Google et Microsoft sont en guerre, et nous, bêtement, nous sommes en train de traverser le champ de bataille.

Franchement, si j'avais su, j'aurais pas venu, comme on dit dans les campagnes. Une guerre contre Microsoft, j'ai déjà donné, ce sais ce que ça donne (j'ai passé 7 ans chez Netscape). Et comme je fais de l'informatique depuis plus de 25 ans, j'ai eu le temps de voir les adversaires de Microsoft mordre la poussière. Quelques exemples qui me passent pas la tête (parmi des dizaines) :

  • Borland et les environnements de développement ;
  • Wordperfect sur les traitements de texte ;
  • Digital Research sur le DOS ;
  • Lotus 123 pour les tableurs ;
  • Palm sur les PDA ;
  • Novell sur les OS réseaux ;
  • IBM sur les interfaces graphiques ;
  • Real sur les Media Players ;
  • Netscape sur les navigateurs et les serveurs Intranet ;

Et actuellement sur nos écrans :

  • Symantec sur les anti-virus ;
  • Nokia et Symbian sur les OS pour téléphones mobiles ;
  • Google et Yahoo/Overture sur les moteurs de recherche et la pub en ligne ;
  • Sony sur les consoles de jeux ;
  • Apple sur la musique en ligne ;

Moi qui ai vu Netscape se faire tuer par Microsoft (avec un coup de main d'AOL), moi qui ai perdu mon boulot à la suite de cela en juillet 2003, est-ce que j'ai envie de défier Microsoft du haut des trois permanents de Mozilla Europe (plus les 40 ou 50 employés de Mozilla US) ? Probablement pas (notez l'euphémisme). Mais c'est le prix à payer pour que le Web continue d'avancer et tienne les promesses qui m'enchantent, alors je le ferais.

Notes

[1] à commencer par moi : faut-il rappeler que j'ai travaillé sur Mozilla bénévolement pendant presque deux ans, ce qui m'a couté plusieurs mois de salaire ?