Une charmante dame du ministère de la culture m'a pisté jusque sur mon mobile hier pour m'inviter à une réunion aujourd'hui à midi dans des locaux du premier ministre à propos de logiciels Libres et de DADVSI. En effet, en tant que président d'une des organisations signataires de la pétition EUCD.info, j'y ai retrouvé un certains nombres d'acteurs du Libre :

  • Jacques Le Marois, Mandriva ;
  • Alexandre Zapolski, Linagora ;
  • Florian Cathala, Ambika ;
  • Christian Chevalier et Eric Mahé, Sun Microsystems ;
  • Olivier Guilbert, IdealX ;
  • Stefane Fermigier, Nuxeo ;
  • votre serviteur, Mozilla Europe.

Pour une invitation à la dernière minute (16 heures à l'avance), c'est plutôt une belle brochette, preuve que chaque dirigeant français du logiciel Libre est très concerné par l'impact négatif que DADVSI peut avoir sur le logiciel Libre en France.

Que retirer de cette réunion ?

Le résultat est très mitigé. Commençons par le coté positif : c'est un honneur d'avoir été invité pour parler de cela. Mais c'est dommage de l'avoir été si tard dans le processus, après le début des débats à l'Assemblée Nationale.

Ensuite, j'ai constaté à quel point il était difficile de se comprendre. D'un coté de la table, quantité de "conseillers techniques" auprès des différents ministères : Industrie, Finances, Culture, spécialistes des arcanes du gouvernement... De l'autre, des passionnés d'informatique Libre (même s'ils sont patrons), souvent loin d'être juristes et n'ayant pas appris par coeur le projet de loi et les dizaines de versions d'amendements qui circulent.

Entre les deux, il est difficile de trouver un terrain commun. Pour le gouvernement, le processus est très engagé, et il n'est pas possible de faire marche arrière. Il faut dire que pour les personnes présentes, au moins pour certaines (du coté du gouvernement), on joue là un moment important de leur carrière. Faire marche arrière, c'est perdre la face, et c'est probablement très mauvais pour leur carrière.

Et puis, voire même surtout, c'est l'incompréhension de l'essence même du logiciel Libre.

A cet égard, la discussion à propos des logiciels Libres avec Marc Hérubel (Ministère de la culture) est édifiante. Il dit avoir regardé le logiciel VLC et ne voit pas en quoi VLC sera géné par DADVSI. Certes, il permet d'ouvrir des fichiers protégés, mais "c'est juste pour les lire, mais pas pour les copier". Par contre, deCSS, bibliothèque permettant de lire les DVD sous Linux (malgré la protection CSS) serait condamnable, car la vocation même de cette bibliothèque est de contourner la protection. Pour ceux qui connaissent un peu l'informatique et le logiciel Libre, ce raisonnement est aberrant et rien n'empêche de piocher dans VLC les bouts de code qui permettent de contourner les DRM pour ensuite s'en servir pour dupliquer le DVD (voire l'envoyer directement sur un réseau peer to peer). Le bout de code est fait par l'équipe VLC et ensuite mal utilisé par d'autres. Faut-il pour autant traîner en justice les auteurs de VLC ? Pour moi la réponse est non. Suivant ce que j'ai pu voir des différents amendements, même récents, la réponse est oui, et c'est grave.

Autre discussion, cette fois-ci autour de la notion d'interopérabilité. La loi stipulerait qu'on peut faire du reverse engineering si ça n'est pas à des fins de piratage, mais seulement à des fins d'interopérabilité. Autrement dit, on a le droit de faire et d'utiliser un logiciel qui retire la protection DRM à condition qu'il la remplace par une autre, équivalente, donnant les même droits au consommateur. En prenant un exemple, on peut retirere la protection Microsoft d'une chanson pour la remplacer par la protection AAC d'Apple pour la mettre sur un iPod. Mais transformer un fichier Microsoft en Ogg Vorbis ou MP3, ça serait illégal. Cette notion-là est incompatible avec le logiciel Libre. Même si on devait faire un logiciel Libre remplaçant un DRM par un autre DRM, rien n'empêcherait quelqu'un de prendre la partie décodage pour l'utiliser dans un autre logiciel Libre, qui lui ne referait pas l'encodage avec un autre DRM. Ou alors on ne livre ce logiciel que sous forme binaire et sans possibilité de regarder comment il fonctionne et sans possibilité de le modifier, et on est là dans la définition même du contraire du logiciel Libre, à savoir le logiciel propriétaire.

Bref, la réunion fut assez peu productive. Mon coté cynique me dit que nous avons peut-être été utilisés comme alibi politique, et qu'on pourrait bien s'attendre à des petites phrases du genre "nous avons communiqué jusqu'au dernier moment avec les entreprises faisant du logiciel Libre en France". Mais je ne veux pas croire à ce scénario. Je crois qu'un certain nombre de progrès ont été faits ces derniers jours sur le texte de loi, et que les amendements, actuellement en cours de discussion, peuvent aboutir à une loi qui ne soit pas trop dommageable à ce qui reste de l'industrie informatique française. Pour ma propre santé mentale, je tente de rester optimiste, et j'attends le résultat du vote. Qui sait, un une victoire comme celle pour les brevets logiciels est peut-être encore possible ?