Ce billet fait partie d'une suite d'articles sur Firefox, les standards et l'avenir du Web.

  1. Introduction ;
  2. L'importance d'avoir des parts de marché ;
  3. L'historique de la relation avec Google ;
  4. Le soutien des partenaires (le présent billet) ;
  5. L'indépendance du projet Mozilla.

(Avant de continuer la lecture, merci de vous souvenir qu'il s'agit ici de mon analyse personnelle et en aucun cas d'une communication officielle du projet Mozilla).

Le projet Mozilla est un projet Libre qui fait des logiciels pour le grand public : on estime que fin 2005, il y avait déjà plus de 50 millions d'utilisateurs de Firefox (on approche des 150 millions de téléchargement, sans compter ceux faits par le système de mise à jour automatique). A ce titre, c'est un oiseau rare. Beaucoup d'observateur considèrent Firefox sous l'angle d'un projet ordinaire et porté par une entreprise, et c'est logique : la plupart des logiciels ayant beaucoup de succès auprès du public sont des logiciels propriétaires, et on raisonne souvent par analogie. Mais la nature Libre de Firefox, sa mission, "promouvoir le choix et l'innovation pour les navigateurs", en font un logiciel très différent. Voyons comment.

l'argent est un moyen, pas un but

L'argent est un moyen, pas un but, et il ne s'agit pas ici que d'une simple formule qui sonne bien. Dans une démarche commerciale, un logiciel est là pour rapporter de l'argent, ce qui est tout à fait logique dans une économie de marché comme celle qui régente actuellement l'essentiel de la planête. Dans le cas de Firefox, le revenu est utilisé pour faire "tourner la machine", payer la bande passante, les serveurs, l'hébergement, les développeurs clé, et surtout l'encadrement du développement.

Organiser la mutualisation

Le projet Mozilla vise à organiser la mutualisation du développement, plutôt qu'a effectuer 100% de ce développement. C'est là une différence fondamentale entre les projets Libres et les projets propriétaires. Là où une entreprise va investir de l'argent dans un développement pour ensuite vendre le résultat à plusieurs clients, le projet Mozilla fédère les énergies de dizaines de milliers de contributeurs, amateurs ou bénévoles. Voyons cela de plus près :

  • Il y a environ 40 personnes employées par le projet Mozilla
  • 120 contributeurs à temps plein (en comptant les employés)
  • 800 contributeurs au total en terme de code
  • Des localiseurs qui mène la localisation en près de 100 langues, dont 35 sont finalisées actuellement
  • 10.000 testeurs de compilations nocturnes, près de 100.000 testeurs de versions Beta (en très forte croissance) ;
  • Près de 100.000 promoteurs de Firefox via SpreadFirefox ;
  • Environ 1.000 extensions pour Firefox (nombre de développeur non connu).

A titre de comparaison, Opera emploie (de mémoire) 270 personnes. (Pour plus de détails sur l'organisation du projet Mozilla, se reporter à la présentation Mozilla sur Solutions Linux).

Et Google dans tout ça ?

Google emploie plusieurs ingénieurs qui travaillent sur le projet Mozilla. De plus, ils ont lancé des campagnes de promotion de Firefox (associé à la Google Toolbar), ce qui rend leur participation plus visible. Mais il faut savoir lire au delà des apparences et creuser un peu plus. Le projet Mozilla doit beaucoup à AOL, qui l'a soutenu pendant des années (l'effort s'est arrêté en juillet 2003 avec les licenciement des derniers contributeurs Mozilla, dont votre serviteur, mais le soutien en question a été conséquent). Actuellement, sauf erreur de ma part, il y a plus d'ingénieurs IBM travaillant sur le projet Mozilla que d'ingénieurs Google... De même, on trouve des contributeurs à plein temps chez Red Hat, Novell, Sun Microsystems et bien d'autres. Certes, la contribution de Google n'est pas négligeable, mais elle est surtout plus visible que celle des autres, d'autant que tout ce que fait Google subit un effet de loupe, compte tenu de la fascination actuelle des médias pour cette entreprise.

En Asie, Firefox, depuis sa version 1.5, propose Yahoo par défaut comme moteur de recherche et page d'accueil. En effet, dans cette partie du monde, Yahoo est plus populaire et pertinent que Google. C'est d'autant mieux que cela permet de se reposer sur plusieurs partenaires, et de reprendre la notion de mutualisation pour l'étendre à la promotion du logiciel.

Pourquoi Yahoo, Google, IBM, Sun, Red Hat, Novell et des dizaines de milliers de bénévoles aident Firefox ?

C'est sûrement cela la vraie question, la clé de voute des interrogations sur Firefox, et toutes les théories farfelues qu'on entend ici et là.

Si tout le monde aide Firefox, c'est tout simplement que tout le monde a besoin d'un meilleur navigateur.

  • Les portails en ont besoin. Car pour eux, plus un navigateur est efficace, puissant, fiable, plus il leur permet d'offrir des services intéressants. Le développement IE ayant été abandonné par Microsoft pendant plusieurs années était pour ces portails un vrai problème. De plus, dépendre de Microsoft pour pouvoir commercialiser leurs services est d'autant plus inconfortable que Microsoft semble redécouvrir l'intérêt du Web avec MSN, Spaces, Office Live et compagnie.
  • Les grandes sociétés de service (dont IBM) en ont besoin pour pouvoir proposer à leurs grands clients des prestations autour des technologies XML, où excelle le projet Mozilla ;
  • Les distributions Linux (Red Hat, Novell) ont besoin d'un navigateur moderne. A quoi sert un ordinateur sans navigateur aujourd'hui ? (On notera qu'IBM a encore quelques grands clients sous l'antique OS/2, lequel a aussi besoin d'un navigateur...)
  • Les utilisateurs du Web en ont besoin. Depuis qu'IE stagne, Internet a beaucoup changé, et pas en bien. Les attaques de sécurité se sont multipliées, les virus aussi, tout comme le spam, le spyware et les pop-ups. D'un point de vue positif, le support de CSS est un vrai progrès, comme l'arrivée de SVG et des technologies XML. L'absence de progrès du navigateur majoritaire (hors correctifs de sécurité et blocage des pop-ups réservé aux utilisateurs de XPSP2) a donné un vrai coup de frein au Web.

A titre personnel, je sais depuis toujours que la concurrence est indispensable pour que continue l'innovation dans le domaine des navigateurs. C'est pour cela que j'ai choisi de travailler sur ce sujet début 2001, à un moment où le projet Mozilla était déclaré mort-né par une grande majorité de gens. C'est pour cela que j'ai continué à investir beaucoup de mon temps bénévolement pendant ma recherche d'emploi quand j'ai été licencié par AOL suite à l'accord avec Microsoft. Je pense que le Web est un outil formidable de partage, de culture, de création de communauté (sans oublier le commerce) et que laisser son destin à une société monopolistique qui s'en désintéresse était, pour ma part, inadmissible. Pour paraphraser Clémenceau qui affirmait que la guerre est trop importante pour la confier à des militaires, on pourrait dire que le Web est une chose bien trop importante pour la confier à un monopole.