L'organisation du débat au Club-Sénat qui a eu jeudi dernier m'a écrit ceci :

Il serait donc formidable que chacun d'entre vous réussisse, avant le 8 juin, à synthétiser le mieux possible sa vision des 10 années d'internet écoulées, et ce qu'il entrevoit pour les 10 années qui viennent. Rapide (2 min par réponse environ), percutant, voici ce que nous vous proposons comme ton pour vos interventions.

En bon élève consciencieux, je me suis exécuté. Voici donc, en deux parties, ce que je vois sur les 10 dernières années d'Internet. Dans un prochain billet, j'expliquerai ce que je pressens pour les 10 années qui viennent.

Avant tout, un petit rectificatif : Internet est visible en France pour le citoyen depuis 10 ans, mais il existe depuis bien plus longtemps que cela. Ce qu'on voit et ce qu'on utilise, ce sont deux outils en particulier : la messagerie et le Web. Dans les deux cas, ce sont des applications de l'Internet qui reposent sur des standards ouverts : des formats et des protocoles ouverts qui ont été conçus pour que chacun puisse développer un navigateur ou un client de messagerie qui fonctionne avec tous les autres, du moment qu'il respecte les règles du jeu.

C'est un premier point à retenir : Internet a connu l'essor qu'on lui connaît à l'échelle du globe car il repose sur ces standards ouverts, qui permettent à quiconque de participer à l'innovation. On a récemment dépassé le milliard d'internautes, et cela n'a été possible que grâce à ces standards ouverts, qui ont complètement remplacé les visions propriétaires des grandes sociétés américaines de l'époque, à savoir AOL et son service et Microsoft pour MSN, qui visaient à enfermer le client sur un réseau propriétaire, avec un logiciel propriétaire, avec du contenu propriétaire et des partenariats exclusifs. Ainsi, si on était abonné chez AOL, pour faire tirer ses photos, c'était uniquement chez le partenaire officiel Kodak, lequel disposait de marges conséquentes, grâce à l'absence de concurrence.

Le deuxième point que je retiens, c'est que malgré les tentatives désespérées, et dans certains cas illégales, de sociétés établies pour reprendre le contrôle du Web, ça n'a pas bien fonctionné. AOL est en perte de vitesse et Microsoft vient d'annoncer un n-ième relancement de son activité MSN. Les gens qui ont du succès sur le Web aujourd'hui, ce sont ceux qui ont épousé le modèle dès le départ, sans tenter de le pervertir. Je pense en particulier à Amazon.com, eBay et Google.

Il y a toutefois deux choses qui démontrent que le monde ancien a réussi à imposer sa marque :

  1. La première, c'est la notion de média de masse : les sites Web, ces dix dernières années, ressemblent à des journaux, à des télévisions et des radios : on a transposé le modèle classique au Web, celui où peu de gens "causent dans le poste" et le peuple écoute (et absorbe la publicité) ;
  2. La seconde, c'est la messagerie instantanée, où un standard commun n'a pas pu émerger. Du coup, on assiste à une véritable balkanisation des différents réseaux, qui ne peuvent pas communiquer entre eux, faute de standards ouverts utilisés largement. Dans le secteur de la messagerie instantanée, la volonté de contrôle l'a emporté sur la volonté d'ouverture, et c'est l'utilisateur qui en pâtît. C'est indéniablement l'illustration que pour que chacun tire parti de l'outil communiquant, il est impératif de chérir les formats et protocoles ouverts.