Les infatigables bénévoles de Framalang viennent de publier un article Le socialisme nouveau est arrivé, dont j'ai parlé en anglais par le passé.
J'y expliquais qu'il est difficile de comparer le "socialisme du monde réel" avec le partage qui existe dans le monde virtuel, et ce pour une raison très simple, liée à la différence fondamentale entre le monde réel et le monde des idées :
Dans le monde réel, quand on partage, on divise. Dans le monde des idées, quand on partage, on multiplie.[1]
Autrement dit, c'est beaucoup plus facile de donner dans le monde des idées, tout simplement parce qu'on est pas privé de de ce que l'on donne.
Par contre, et c'est quelque chose qu'il convient de ne pas oublier, quand on donne, même si on garde une copie, ça n'est pas neutre... On diminue la rareté de ce que l'on donne (information, donnée, logiciel) et donc ça diminue son prix.
Une autre variable dans l'équation de la valeur, dont je parlerai plus tard, c'est la notion de temps, de variation de la valeur au cours du temps. (Par exemple, une info fraîche, ça vaut beaucoup plus cher qu'une info pas fraîche).
Notes
[1] La phrase n'est pas de moi, mais j'ai oublié le nom de l'auteur. Ah, que j'aurais aimé l'inventer !
15 réactions
1 De Morne Butor - 03/07/2009, 12:01
Dire "On diminue la rareté de ce que l'on donne (information, donnée, logiciel) et donc ça diminue son prix" ne me semble pas correct, sauf à préciser ce que vous entendez par "prix". Il faut d'abord vendre à un acheteur pour pouvoir donner un prix à quelque chose, non ?
De plus, si donner largement un logiciel comme Linux n'a pas changé son prix de départ qui reste gratuit, par contre, cela a fortement augmenté la valeur des services qui sont proposés autour de Linux. Plus le logiciel est répandu, plus les sociétés qui l'utilisent sont rassurées, plus les services associés prennent de valeur, jusqu'à un seuil maximal en principe liè à la loi de l'offre et de la demande.
Autre exemple, les informations diffusées par les satellites GPS (Galileo où es-tu ?) sont des données "fraîches" diffusées très largement et gratuitement. Cela a permis de créer des services nombreux et forts lucratifs. Que valent les données elles-mêmes ? Le "prix" serait-il alors ce que seraient prêtes à payer les entreprises et utilisateurs s'il y avait menace de retrait de ces données ?
S'il est impossible de retirer l'accès au code source de Linux, il est par contre tout a fait possible que Américains coupent le flux GPS du jour au lendemain et réclament contributions sonnantes et trébuchantes pour ouvrir à nouveau le robinet. Mais dans ce cas, c'est la création artificielle de la rareté qui donne de la valeur aux données. Et donc en fait donner plus créée de la dépendance, et donc une valeur (un "prix") potentielle...
Par contre, la notion de temps est effectivement très importante. Disposer de certaines choses avant ses concurrents porte une valeur intrinsèque dans un marché compétitif, valeur qui peut se monétiser ensuite.
2 De Bouture - 03/07/2009, 14:27
Pas très d'accord sur le "donc ça diminue son prix". En fait, je crois que ça dépend de plein de choses, de plein de critères, de paramètres...
En particulier pour l'exemple du logiciel... Ça peut faire passer un logiciel de inconnu à incontournable, et qui n'aurait même pas de prix (tellement il aurait de la valeur) !
Si on prend l'exemple de Windows, et qu'on considère qu'ils ont laissé pirater pour "partager" et donc "multiplier"... on peut considérer que ça leur a permis d'arriver à un monopole, quand même !
3 De Leon - 03/07/2009, 14:53
Arf, la pression occasionnee par la sortie de FF3.5 fait qu'il y a certainement eu confusion entre "prix" et "valeur".
/Leon-Vitesse-et-precipitation...
4 De Benjamin G. - 03/07/2009, 16:21
> Par contre, et c'est quelque chose qu'il convient de ne pas oublier,
> quand on donne, même si on garde une copie, ça n'est pas neutre...
> On diminue la rareté de ce que l'on donne (information, donnée, logiciel)
> et donc ça diminue son prix.
Tristan, ce qui me dérange avec ton analyse, c'est que c'est le même discours ou conclusion que les ayant-droits ont toujours avancé: « Si on vous donne le contenu ««gratuitement»» (sans MG) ou qu'on permette à plusieurs acteurs de diffuser le contenu, cela va diminuer sa valeur ».
Or, on s'aperçoit des dérives de ce système: peu de diffusion de contenu audiovisuel, un réseau parallèle non-officiel (bien entendu), des prix exorbitants, etc....
Finalement, la rareté ne crée pas de la valeur.
5 De seb - 03/07/2009, 16:52
Pour la phrase, c'est un proverbe chinois un peu déformé.
6 De Ahmad - 03/07/2009, 17:14
C'est une chose de proposer un service/un produit/une info avant les autres, mais vu comme tout se copie facilement et à une vitesse folle (des netbooks, aux baladeurs, aux "infos", etc.), cela finit par se ressembler un peu partout.
Du coup un autre facteur absolument capital est la qualité! Car dans ce monde de l'abondance, on perd un temps fou à chercher, se renseigner, comparer et finalement choisir. Le critère déterminant de différentiation est l'expertise mise en oeuvre pour proposer un produit ou une info de qualité (détaillée, sourcée, analysée, recoupée). On construit ainsi sa réputation.
En résumé, dans ce monde de l'abondance, il ne faut pas perdre de vu ce cheminement gagnant:
l'expertise -> la qualité -> la réputation -> succès !!
7 De Pierre Col - 03/07/2009, 18:38
En effet il ne faut surtout pas confondre "prix" et "valeur" : il y a tellement de choses qui ont un prix, bien défini, sans pour autant avoir de valeur, subjective, précise, car leur valeur est élevée pour certains et nulle pour d'autres...
En ce qui concerne le temps, son "équivalent en valeur" est une composante essentielle de la finance, via les produits dérivés de types "futures" : http://fr.wikipedia.org/wiki/Future...
8 De Laurent Claessens - 03/07/2009, 20:30
Je ne crois pas qu'il y ait confusion entre "prix" et "valeur". Le prix est la quantité d'argent que quelqu'un est prêt à débourser pour acquérir quelque chose. La valeur, je ne sais pas ce que c'est; c'est sans doute très subjectif.
Le partage diminue dons bel et bien le prix. La nuance apporté par Morne Butor n'est rien d'autre que l'effet "publicité" : tous les produits de lessive donnent des échantillons gratuits, les radios offrent des CD, des places de concert, .... Dans le monde de l'immatériel, évidement, les combinaisons sont multipliée par 100.000 ! (c'est d'ailleurs sur cet effet que se basent les gens qui disent que le piratage fait gagner de l'argent, la preuve, j'ai piraté un truc que j'ai donné à un ami qui a acheté ensuite trois CD de l'auteur)
Cela dit, je suis partagé sur cette idée de "rareté" qui produit le prix.
"
"
Un autre paramètre qui fait le prix est l'*envie* de posséder. C'est sur ce paramètre que la possibilité d'échange doit être utilisée subtilement : d'une part quand on donne à une personne, l'envie est détruite, mais la personne peut faire connaitre et créer de l'envie à trois autres personnes. Mais si on donne à ces trois autres personnes, finalement on ne vend pas ... sauf si ces trois donnent envie à 9, etc.
Mais comme tout système pyramidal, l'échange comme créateur d'envie doit avoir une limite à partir de laquelle le créateur initial perd des ventes. Quel est l'optimal ? Nul ne peut honnêtement le dire.
9 De Laurent Claessens - 04/07/2009, 11:20
@Benjamin G.
>Tristan, ce qui me dérange avec ton analyse, c'est que c'est le même discours ou conclusion que les ayant-droits ont >toujours avancé: « Si on vous donne le contenu ««gratuitement»» (sans MG) ou qu'on permette à plusieurs acteurs de >diffuser le contenu, cela va diminuer sa valeur ».
Quand pythagore a prouvé que sqrt(2) n'est pas rationnel, c'est également la conclusion qui a dérangé ses contemporains. Cela n'enlève rien à la véracité de l'argument
Le fait que la conclusion dérange n'implique pas automatiquement que le raisonnement soit faux.
On peut discutailler autant qu'on veut sur les mots "prix, valeur, diffusion, piratage, ... " il n'en reste pas moins, pour parler très pragmatiquement, que la quantité d'argent qu'il est possible d'extraire d'une oeuvre diminue quand on la copie.
(modulo l'effet publicitaire)
10 De Bouture - 04/07/2009, 12:44
Et puis avec le Libre, il y a ce côté potentiel à "multiplier les pains". En partageant, ça donne parfois (pas systématiquement) envie à celui qui "reçoit" d'ajouter une (ou plus !) pierre(s) à l'édifice. Parce qu'il se sent redevable, parce qu'il trouve que ça devrait être disponible dans d'autres langues (dans le cas des traductions), parce qu'il trouve qu'il manque certaines fonctionnalités (dans le cas de plug-in, de patch), etc.
Vraiment, je crois qu'avec le Libre et Internet, c'est un gigantesque nouveau monde qui a été (re)découvert. Avec tout plein de possibilités...
11 De Pierre - 05/07/2009, 03:49
http://i274.photobucket.com/albums/...
12 De tanguy - 05/07/2009, 19:02
Salut Tristan,
Je vais citer un bouquin que j'étudie actuellement en cours, ça va surement éclairer les débats.
"La rareté: une explication valable?
Dans le contexte économique contemporain, on peut être porté à considérer la rareté (ou une certaine disproportion entre l'offre et la demande pour un produit) comme un principe explicateur de la valeur (tout du moins la valeur économique) qu'on accorde à une chose. Ainsi, à côté des causes matérielle, formelle, efficiente et finale, on pourrait vouloir rajouter la rareté - voire même la considérer comme plus fondamentale que ces 4 causes.
Ce serait là cependant une erreur. La rareté n'est pas et ne peut jamais être en elle même un facteur explicatif. Autrement, tout objet ou tout événement rare vaudrait cher. Or il y a de fait des raretés auxquelles on attache une grande valeur (marchande ou non), il y en a d'autres qu'on fuit (un cheveu dans la soupe, par exemple, un tremblement de terre, ou l'écrasement d'un avion) et plusieurs autres qui laissent à peu près tout le monde indifférent (par exemple, que l'auteur de ces lignes se soit mis au travail ce matin avant d'avoir bu un café).
Ce qui explique qu'on accorde ou non à divers objets ou événements rares une valeur, c'est dans certains cas le fait qu'ils concernent des gens ou ont été réalisés par des gens qui ont vécu il y a 10 000 ans, ou par une personne qui a ou qui a eu une très grande importance (par exemple une liste d'épicerie rédigée de la main même de Napoléon). Dans chacun de ces cas on se réfère au fond à la cause efficiente.
Ce peut être aussi parce que cet objet a été utilisé par une personne renommé. Ce serait le cas, par exemple, d'un plume très modeste qu'utilisait Napoléon pour écrire. Dans ce cas, la valeur de l'objet serait à relier à sa cause finale (l'objet avait été acheté pour Napoléon et fait pour une fonction accomplie par Napoléon).
Il arrive aussi que la valeur attribuée à la chose rare découle de sa matière - par exemple un métal précieux, et très rare - , et l'on pourrait sans doute imaginer des cas où cette valeur dépend de sa fin.
Quoi qu'il en soit, l'insignifiance de la notion de rareté prise en elle même peut s'illustrer aussi par un sophisme, qui en montre l'absurdité:
"Tout ce qui est rare coûte cher.
Or un objet en bon état et reconnu comme ayant servi à Napoléon, en ventre chez un antiquaire mais à un prix très bas, est une chose rare.
Donc, un objet en bon état et reconnu comme ayant servi à Napoléon en vente chez un antiquaire mais à un prix très bas, coûte cher."
Ce raisonnement aboutit à une absurdité - une chose vendue à bas prix se vend cher! - tout simplement parce que la notion de rareté peut prendre divers sens et être ou non intrinsèquement associée à celle de valeur. Il y a , de fait, des raretés qui ont une valeur et d'autres qui n'en ont pas. Et leur valeur s'expliquera au fond, selon le cas, par leur cause efficiente, finale, formelle ou matérielle."
Cause efficiente: Par qui / par quoi la chose est-elle faite?
Cause matérielle: De quoi la chose est-elle faite? Qu'est ce qui entre dans sa constitution?
Cause finale: En vue de quoi? Pour quoi? Dans quel but?
Cause formelle: comment la chose est-elle organisée? Quelle en est la forme? Le plan?
Thibaudeau, Victor. 2006. Principes de logique. Presses de l'université Laval. Québec.
13 De Bouture - 05/07/2009, 23:15
Pour le "prix lié à la rareté", même pour quelque chose qui ressemble à une information, je trouve que ce n'est pas si évident que ça. En prenant l'exemple d'un film ou d'une vidéo dite "culte", c'est en étant partagé (le plus possible) qu'elle prend de la valeur.
Et puis, c'est vrai qu'il y a une question de temps. Pour les informations "d'actualité" : une sorte de durée de vie, de durée limite de consommation (après "ouverture")...
Ou est-ce que ça ne serait pas plutôt une exclusivité, en fait ? C'est-à-dire une fois exposé publiquement, l'information "d'actualité" se partage, se diffuse naturellement... et plus elle se partage, et moins ça devient une "exclusivité", et donc c'est une "exclusivité" qui perd petit à petit de sa valeur "d'exclusivité" ?
Oui, oui, oui... C'est vraiment un sujet intéressant, je trouve, tout ça...
14 De taille crayon - 06/07/2009, 10:01
la valeur et le prix sont deux choses diffèrentes...
mes 2900 taille-crayons ont pas une immensse valeur de prix et pourtant... leur valeur à mon coeur ets inestimable...
Lorent
15 De Albi - 06/07/2009, 12:09
<pre>
Dans le monde réel, quand on partage, on divise. Dans le monde des idées, quand on partage, on multiplie.</pre>
Belle phrase, elle me plait bien, donne à réfléchir.
Amicalement