Une chose est sûre : s’il faut, pour retrouver le contrôle de l’informatique et de nos données personnelles, tendre vers plus de logiciel libre, de cryptographie et d’auto-hébergement, il est un modèle d’affaire qu’il faut fuir : celui de la publicité ciblée.

En effet, la publicité ciblée est ce qui fait que les géants de l’Internet chercher à tout savoir sur chacun de nous : pour connaître nos centres d’intérêts, nos goûts, nos habitudes, notre pouvoir d’achat et vendre à des annonceurs des publicités sur lesquelles il y a plus de chance que nous cliquions.

Le souci, c’est que cette concentration de données personnelles et ce profilage rendent économiquement possible la surveillance de masse par les services de renseignement : au lieu d’avoir à pirater des millions de PC pour surveiller tout le monde, il leur suffit de faire des demandes à une poignée de grands acteurs du numérique qui ont déjà fait tout le travail pour eux.

Une solution toute simple (en apparence) existe : payer pour des services qui ne surveillent pas les utilisateurs. Comme expliqué au chapitre 15, opérer un service comme Facebook (développement, maintenance, équipements, plus le coût des commerciaux et marketeurs chargés de vendre la publicité) revient à moins de cinq euros par personne et par an, ce qui est moins cher qu’une place de cinéma ou 3 cafés. Par an.

La tentation de la gratuité

Curieusement, la gratuité a un attrait disproportionné sur le public, même si cela représente au fond une très mauvaise affaire. Cela tient à un trait de caractère très répandu chez l’humain, décrit par l’économiste comportemental Dan Ariely dans son livre C’est (vraiment ?) moi qui décide :

Quand c’est gratuit, ça fait toujours plaisir. De fait, zéro n’est pas un prix comme les autres, c’est un déclencheur d’émotion — une source d’excitation irrationnelle.

Pourtant, si on veut disposer d’un service respectueux de la vie privée et donc évitant la publicité ciblée, payer ce service avec de l’argent reste la meilleure des méthodes.

Mais la publicité ciblée m’est plus utile que la publicité normale

Il y a une objection fréquemment rencontrée sur la publicité ciblée : certains préfèrent la publicité ciblée à la publicité non ciblée. Pour ma part, je préfère l’absence de publicité, surtout si c’est pour économiser des sommes aussi réduites.

Il faut savoir qu’il y a des méthodes de personnalisation de la publicité qui ne passent pas par la collecte de données par les grands acteurs d’Internet. Il existe par exemple la notion de « Gestion de la relation vendeur » (en anglais « Vendor Relationship Management » (VRM) telle que pensée par Doc Searls dans son projet à l’université d’Harvard, Project VRM. Le principe consiste à donner aux consommateurs des outils qui font deux choses :

  1. donner de l’indépendance aux individus face aux grandes entreprise qui les pistes et les enferment dans leurs services.
  2. offrir aux consommateurs de meilleurs moyens pour qu’ils communiquent aux vendeurs ce qu’ils recherchent.

Suivant le principe du VRM, un consommateur peut décider ce qu’il l’intéresse. Si j’envisage d’acheter une moto à court ou moyen terme et que je m’intéresse à la musique Rock et au Rugby, je devrais pouvoir l’indiquer quelque part (probablement mon navigateur Web) pour que les publicités s’adaptent en fonction de mes goûts et besoins, sans avoir à être traqué pour autant.

En attendant que le principe du VRM permette une publicité respectueuse de l’utilisateur, il va nous falloir réapprendre à payer les services que l’on utilise au lieu d’échanger bêtement nos données personnelles contre des outils qui ne coûtent presque rien. À ce propos, je laisse la conclusion à un article du journal anglais The Guardian :

Quand viendra le temps où l’on écrira l’histoire de l’époque actuelle, nos arrière-petits enfants s’étonneront d’apprendre que des milliards de gens apparemment sains d’esprit ont accepté passivement ce marché lamentablement déséquilibré. (Ils se demanderont aussi sûrement pourquoi nos gouvernements n’ont porté à cette histoire qu’un intérêt très limité).