Comme à chaque élection, en particulier lorsque l’abstention est forte comme dimanche dernier, l’idée du vote électronique refait surface, comme si ça allait être la solution miracle pour remobiliser les citoyens[1]. Il n’y a aucun doute que leur simplifier la vie peut aider, et pourtant, je pense que le vote électronique n’est pas une bonne idée (ce que j’ai cru à une époque).
J’ai fait une brève apparition sur BFM Business pour en parler :
émission le débriefing de Tech&Co de BFM Business
Pourquoi est-ce une fausse bonne idée ?
Repartons des grands principes du vote par exemple pour l’élection présidentielle en France :
- Le vote doit être secret (pour éviter la coercition, que quelqu’un torde le bras à l’électeur pour voter dans une direction bien précise)
- Le citoyen doit avoir confiance dans le fait que son bulletin est correctement comptabilisé une fois et une seule fois (pour lui et tous les autres votants)
Autre chose ?
Bien sûr, on peut avoir envie d’un décompte plus rapide, moins coûteux en effort, ne nécessitant pas un déplacement du citoyen pour voter. Mais ce sont des objectifs secondaires, et ils ne doivent pas compromettre les deux grands principes que sont le secret et la confiance.
En fait, il y a vraiment deux problèmes qu’on peut essayer d’adresser en numérisant le vote :
- La rapidité du décomptage des voix
- Le vote à distance
Ce sont deux problèmes très différents, nous allons donc les séparer et nous focaliser sur le vote électronique à distance.
Le vote papier
Pour résoudre le problème en tenant des deux grands principes, on a mis en place en France le processus suivant :
- Le citoyen est listé sur une liste électorale (et une seule, normalement)
- Il s’identifie avec une pièce d’identité
- Il prend plusieurs bulletins de vote et une enveloppe
- Il va s’isoler (seul, donc) dans un isoloir, met un seul bulletin dans l’enveloppe qu’il referme, avant de jeter les autres bulletins dans une corbeille à la sortie de l’isoloir[2]
- Il met l’enveloppe fermée dans une urne transparente
- Il signe la liste
- On lui propose de venir dépouiller les bulletins de vote (la plupart des gens refusent, mais je vous encourage à le faire au moins une fois, c’est très instructif et moins barbant qu’on pourrait le croire).
Ce qui est intéressant dans ce processus qui peut sembler très compliqué pour finalement un truc simple, c’est qu’on s’assure de l’identité de la personne (étapes 1 et 2) et qu’il ne vote qu’une seule fois. En prenant plusieurs bulletins (n’en prendre qu’un n’est pas autorisé) et une enveloppe, en le faisant passer dans un isoloir, en lui permettant de jeter les bulletins non utilisés (étapes 3 et 4), on s’assure que son choix est secret et non contraint.
L’urne transparente (étape 5) permet de rassurer l’électeur que son bulletin va rejoindre les autres, et qu’il n’y a pas de double fond ou d’embrouille de ce genre, ou de bulletin déjà mis dedans en début de scrutin.
En le faisant signer en face de son nom dans le registre (étape 6), on s’assure qu’il ne viendra pas voter plusieurs fois (sauf erreur ou malversation, il ne figure que sur une seule liste)
L’étape 7, au dela de permettre de trouver de la main d’œuvre pour le dépouillement, permet de s’impliquer et de vérifier que le décompte des voix n’est pas truqué.
Et coté numérique, à distance ?
- On ne peut pas s’assurer que c’est bien la bonne personne qui vote (quelqu’un qui aurait votre mot de passe ou aurait enregistré son empreinte digitale ou son visage dans votre téléphone par le passé) ;
- On ne peut pas s’assurer que vous ne subissez pas de pression pour voter dans un sens ou un autre ;
- On ne peut pas facilement s’assurer que votre terminal n’est pas victime d’une cyber-attaque qui permettrait la modification de votre vote ;
- Le citoyen n’a pas de moyen de valider que son vote est bien pris en compte (et si quelqu’un a piraté le serveur et fait pencher la balance d’un coté de façon artificielle ?) ;
- Il n’est pas techniquement trivial d’empêcher le logiciel serveur de faire le lien entre une personne et son vote (auquel cas le vote ne serait plus secret) tout en permettant la traçabilité ;
Bref, c’est possible de voter à distance de façon électronique, mais on perd beaucoup en confiance et en secret.
Alors c’est foutu ?
En fait, comme vous le constatez, le problème est considérablement plus complexe qu’on ne le pense au premier abord. Néanmoins, des chercheurs en informatique et cryptologie se penchent sur ce sujet depuis plusieurs décennies, et les progrès sont intéressants.
Mon ancien collègue mozillien Ben Adida fait partie de ces chercheurs. Il participe à deux projets en ce sens : Helios Voting (vote électronique à distance) et VotingWorks (vote électronique dans un bureau de vote avec trace papier). Un autre projet fait par le CNRS et INRIA, appelé Belenios, vise comme Helios à permettre le vote électronique à distance.
Mais la FAQ de Belenios est formelle :
aucun des systèmes de vote existants n’offre le même niveau de garantie de sécurité que le vote traditionnel sur papier
A notre avis, aucun des systèmes de vote existants n’offre le même niveau de garantie de sécurité que le vote traditionnel sur papier (tel qu’il est organisé en France par exemple). En effet, les élections à fort enjeu nécessitent des systèmes qui assurent simultanément le secret du vote, la résistance à la coercition et la vérifiabilité, sans avoir à faire confiance aux autorités organisatrices ou au prestataire qui gère l’élection. En outre, un système de vote devrait également protéger contre la corruption de l’ordinateur des électeurs : même si l’ordinateur l’électeur est compromis (par un logiciel malveillant par exemple), il ne devrait toujours pas être possible de changer le vote choisi par l’électeur ni même de divulguer son vote.
Helios dit la même chose dans sa FAQ :
Online elections are appropriate when one does not expect a large attempt at defrauding or coercing voters. For some elections, notably US Federal and State elections, the stakes are too high, and we recommend against capturing votes over the Internet. This has nothing to do with Helios itself: we just don’t trust that people’s home computers are secure enough to withstand significant attacks.
Pourtant, le recours à du logiciel au code ouvert, donc auditable comme Helios et Belenios et à des méthodes cryptographiques avancées permet de résoudre une partie du problème (par exemple chiffrer le vote dans le navigateur, en espérant qu’il n’ai pas été corrompu). On se rapproche d’une solution, mais on n’y est pas encore.
Voilà donc pourquoi je ne pense pas que le vote électronique soit possible actuellement, si on veut protéger les deux principes démocratique que sont le secret du vote et la confiance que peut avoir le citoyen par sa capacité à auditer le processus.
d’autre sources qui complètent le propos
- Bruce Schneier à propos du vote électronique ;
- Un point de vue original sur la blockchain en tant que solution partielle au problème du vote électronique : Blockchain voting is overrated among uninformed people but underrated among informed people.
- Dans un podcast, Ben Adida explique en substance qu’une solution fiable serait possible mais dans l’état actuel des choses, trop peu conviviale pour un déploiement à large échelle car nécessitant des connaissances en cryptographie de la part du citoyen (par exemple gérer des clés de chiffrement).
- Le vote électronique : la pire solution démocratique qui existe ;
- Non, le vote par Internet n’est pas la solution miracle contre l’abstention. La conclusion fait mouche : « L’abstention massive dépasse les simples considérations de confort, cela marque aussi une rupture entre la classe politique d’un pays et sa population. Pour s’en convaincre, il suffit de jeter un coup d’œil à un sondage de l’IFOP du 20 juin 2021 qui liste parmi les premières raisons de l’abstention le fait que « ces élections ne changeront rien à votre situation personnelle » ou « qu’aucune liste ne défend ou ne représente vos idées ». En troisième raison vient la volonté de « manifester votre mécontentement à l’égard des partis politiques ». Le vote par internet ne peut pas faire grand-chose contre ça » ;
- Vote électronique : analyse d’une obstination non scientifique, un article de Chantal Enguehard, maître de conférences en informatique à l’Université de Nantes et membre du LS2N et du laboratoire CNRS d’informatique. J’adore le graphe où on voit qu’il y a entre 3 et 5 fois plus d’erreurs avec l’option numérique qu’avec le vote papier à l’élection présidentielle. Dans l’état de défiance des citoyens par rapport au vote, peut-on se permettre de multiplier par 3 ou 5 les erreurs qui sont peut-être des tricheries ?
22 réactions
1 De Olivier - 22/06/2021, 20:18
Tu passes à côté de l'argument massue : toutes les solutions électroniques, absolument toutes sans exception, ne permettent pas au citoyen lambda de contrôler le bon déroulement des élections. Confier la bonne marche d'un vote à une poignée de spécialistes est totalement anti-démocratique.
Presque tout le monde peut gérer un vote crayon/papier, quasiment personne ne comprend le code informatique.
2 De makosol - 22/06/2021, 20:25
" comme si ça allait être la solution miracle pour démobiliser les citoyens. "
--> mobilier ou remobiliser plutôt
3 De Nico - 22/06/2021, 23:29
Surtout qu'en plus comme on a pu le constater, il y a que les vieux qui votent. On pourrait d'ailleurs voter avec des cailloux ce serait pas mal ils faisaient ça en Grèce avant.
Sinon y'a les algos de zéro knowledge proof... Mais bon moi je dis ça... Je perds pas me clefs.
4 De Camborde - 23/06/2021, 09:42
Regardez "AEC" ici pour comprendre qu'un saut technologique a déjà eu lieu dans la crypto monnaie qui adresse le sujet de l'anonymat : https://www.justice.gov/archives/ag...
5 De Merome - 23/06/2021, 10:57
Et un système hybride mi-physique, mi-virtuel, ça serait pas le meilleur des 2 mondes ? J'explique :
- Les bureaux de vote physiques restent le seul endroit où voter
- Un humain s'assure que l'électeur est bien sur les listes électorales et autorise la personne à entrer dans l'isoloir (et incrémente le nombre de votants pour ce bureau)
- Un PC connecté à internet permet de faire le vote, sans que le système ne sache qui est en train de voter (l'humain qui a vérifié l'identité de l'électeur n'interagit pas avec le système), le système n'a connaissance que du bureau de vote d'origine
- Le système accuse réception du vote en affichant un id unique (charge à l'électeur de le retenir ou le noter s'il veut vérifier son vote après coup)
- La publication des résultats à 20h est immédiate et se présente sous la forme d'un tableur où chacun peut retrouver son id, le bureau de vote et le vote qui correspond. On peut donc aussi vérifier le nombre de votes par bureau de vote (ce qui évite le bourrage d'urne électronique)
Vous allez me dire, quel intérêt s'il faut se déplacer quand même et avoir des humains mobilisés pour faire voter les gens ? L'intérêt c'est d'avoir un comptage immédiat, y compris si le mode de scrutin est complexe (classement ordonné de propositions ou de candidats par exemple, avec méthode de Condorcet derrière ou autre truc moderne étudié par des gens qui savent)
Mais tout cela ne doit pas nous faire oublier le fait que le principe de l'élection lui-même est un problème car il est truffé de biais (vote utile, influence des médias, de l'argent de la campagne, impossibilité de révoquer en cas de trahison du programme, choix parmi des candidats non choisis...). Elire, c'est renoncer à voter, et c'est donc l'élection notre principal problème démocratique. Lire à ce sujet Bernard Manin, Yves Sintomer, Francis Dupuis Deri, David Van Reybrook...
6 De Benoît - 23/06/2021, 11:05
Pour rebondir sur le propos d'Olivier du 22 juin, j'ajouterai qu'encore moins de monde comprend à la fois les méthodes algorithmiques / mathématiques / cryptographiques employées pour assurer la traçabilité, vérifiabilité, ... ET le code informatique qui sert à les implémenter. On parle je pense en général de l'ordre de dizaines de personnes sur Terre qui ont les compétences et le temps pour se pencher là dessus pour un système donné. Et même eux ont généralement toujours des doutes qu'il n'y a pas une faille qui leur passe inaperçu ...
Un bel exemple où le numérique n'est probablement pas tellement la solution selon moi, surtout vu la tendance actuelle aux théories du complot et autres doutes ...
7 De ran - 23/06/2021, 11:07
Pratiquant exclusivement le vote électronique depuis près de trente ans, il est aussi pratique qu’aberrant. Au delà des contraintes de sécurité (authentification, confidentialité, intégrité), le vote à distance serait surtout un moyen de dématérialiser la politique, de lui faire perdre toute substance : on est passé des idées aux slogans, des arguments aux petites phrases, de l’information au ramdam et voilà qu’on pourrait voter instantanément, sans la moindre réflexion.
En outre, cela ne constituerait aucunement un frein à l’abstention : en quoi la société actuelle rendrait-elle le déplacement vers un bureau de vote plus difficile que naguère ou jadis ? C’est la pratique et la communication politiques qui sont en cause. La technologie peut proposer des solutions à tous les problèmes, elles ne sont pas pour autant pertinentes, souhaitables ou éthiquement défendables.
8 De cdg - 23/06/2021, 15:54
le probleme de l abstention ne se resoudra pas avec une solution technique. j ai lu qu un pays balte a permit de voter sur smatphone. ca a booste la participation mais sur une courte periode. apres c est revenu a l etiage precedent
Si les gens ne vont pas voter c est surtout car les gens n en voient pas l interet (que fait une region ou un departement ?) ou que les candidats ne sucite aucune adhesion (comment croire Muselier qui etait pret a s allier avec LREM pour garder son siege ou son challenger qui etait il y a peu du meme parti !)
Si on veut augmenter la participation il faut elager le mille feuille afin que chaque niveau a des responsabilités claires (bye bye les departements et la sinecure qui va avec), empecher le cumul des mandats (qui nous donne des dinosaures comme Gaudin) voire comptabiliser le vote blanc (si le vote blanc est le premier, l election est consideree comme non conclusive (dans la cas d un depute -> pas de deputé, dans le cas d un executif regional, c est le prefet qui prend la main)
Pour le reste, on peut s inspirer des suisses qui font des votations regulieres sur differents sujets. Ca nous evitera d avoir des flambees de colere comme les gilets jaunes
9 De Wawet - 23/06/2021, 18:03
Pour ceux qui ne comprennent pas l'importance de pouvoir facilement vérifier le processus de vote sans devoir faire confiance à qui que ce soit, on peut rappeler le bazar des dernières présidentielles américaines.
10 De stéphane - 24/06/2021, 01:41
Le vote papier est sans doute sûr, mais il faut rajouter "en France". Ce n'est pas le cas dans d'autres pays : terroriser les votants, bourrage d'urnes, disparition de bulletins, etc. etc.
11 De QuentinC - 24/06/2021, 08:04
Bonjour,
Malheureusement, même en Suisse où on a l'habitude du vote au moins 4 fois par an, le mode électronique n'a pas la cote. Plusieurs systèmes ont déjà été essayés puis abandonnés.
C'est dommage, car le vote électronique est très important pour l'accessibilité, i.e. lorsqu'on n'est pas capable de remplir seul son bulletin.
Pour pouvoir voter sur papier, il faut nécessairement avoir recours à un tiers de confiance dans ce cas. C'est une entrave à l'auto-détermination, i.e. l'exercice de ses droits civiques en toute autonomie.
Après, effectivement, le vote électronique ne changera rien au taux d'abstention. Là c'est un autre problème beaucoup plus profond que ça touche, celui de démontrer à monsieur et madame tout le monde que la politique a une utilité dans la vie de tous les jours.
Pour cela, peut-être que la solution serait la démocracie de masse, où chacun serait invité à constamment prendre des micro-décisions aux impacts plus locaux, où le vote blanc aurait une vraie signification, et où l'absentéisme ne serait pas un bon choix pour personne à long terme. Une sorte de Landsgemeinde 2.0 en somme.
Quant à l'argument du système électronique difficilement auditable, c'est un faux problème.
Est-ce que quelqu'un s'est déjà réellement posé la question de savoir si le système physique actuel était sûr du début jusqu'à la fin ? Il repose aussi sur des tonnes d'éléments implicitement supposés authentiques et infalsifiables.
La crainte est en fait beaucoup plus primaire, c'est celle qui donne l'impression à notre cerveau d'humain fondamentalement animal que ce qui est dématérialisé nous échappe.
C'est elle qui nous fait instinctivement penser que ce qui est palpable est nécessairement plus sûr que du numérique. Objectivement, on ne sait pas en fait.
12 De Dersou - 25/06/2021, 09:28
Certes, un tiers est nécessaire pour les personnes en situation de handicap qui ne peuvent voter sans assistance. Mais avec le vote électronique c'est à l'ensemble des citoyens que des tiers sont imposés, à savoir les concepteurs et les opérateurs du système de vote. De deux maux je choisis le moindre.
Quant à savoir si le système de vote classique est sûr de bout en bout dans un pays comme la France (ou la Suisse), la réponse est entre les mains des citoyens. Je peux assister et vérifier la totalité du scrutin, de l'ouverture du bureau de vote à la fin du dépouillement et à la transmission des résultats (bien sûr, à plusieurs c'est plus facile, et de nombreux partis s'organisent pour surveiller ainsi le déroulement des élections). Je peux ensuite contrôler lors de l'annonce des résultats que ceux de mon bureau de vote sont bien conformes. Rien de tel n'est possible ni ne sera jamais possible avec le vote électronique à distance.
On peut aimer la technologie et en attendre de nombreux bienfaits mais il est important de mesurer précisément ce que l'on gagne et ce que l'on perd. Avec le vote électronique on gagne très peu (quelques facilités ici ou là et quelques heures de dépouillement) et on perd considérablement, rien moins que la sincérité et la confidentialité du scrutin. La démocratie, en quelque sorte.
13 De Mijosé - 25/06/2021, 13:43
Je suis contre le vote électronique pour toutes les raisons ci dessus. Mais...
"Le vote électronique ne changera rien à l'abstention".
Alors, ou bien tout le monde est parfait ici et n'a jamais de sa vie raté d'élections pour cause de déplacement ou maladie impromptue ou pas de procuration dispo, ou alors vous oubliez le poids non négligeable des sorties de nos villes ruches pendant les week-end.
Je ne suis pas parfait, et si je suis honnête, j'ai raté environ 20% des scrutins des 10 dernières années. Et ce n'était pas du vote blanc.
D'ailleurs j'en connais qui ne vote pas parce que pour eux la démocratie est une aberration et préfère un pouvoir fort à la chinoise (et quand je vois que les mouvements bien pensant type woke se comportent comme nos extrémistes, je me dis parfois qu'ils n'ont pas tort). Si on veut comprendre l'abstention, il ne faut pas, à mon sens, rester sur des clichés que sont les gens ont perdu confiance dans un tel ou une telle.
Enfin heureusement que le système proposé ci-dessus concernant la transmission du pouvoir au préfet n'est pas mis en place, sinon ce serait vite du grand n'importe quoi (les préfets sont choisis par le gouvernement en place : au moins ca liquiderait l'opposition et France Info, BFM et compagnie n'aurait ENFIN plus grand chose à polémiquer).
14 De Elessar - 25/06/2021, 14:59
@Merome, votre idée est originale, mais n'a malheureusement aucun intérêt substantiel. Avoir les résultats immédiatement ? Ça ne sert à rien, à part satisfaire une envie d'immédiateté qui n'est pas un critère sérieux. En revanche, votre idée de contrôle est intéressante, mais insuffisante. Pas mal de gens ont déjà dû réfléchir à la question, et avec ce que vous proposez, la fraude possible et indétectable, c'est le bourrage. Vous pouvez vérifier que votre vote a bien été pris en compte en vérifiant qu'il figure bien dans le décompte intégral, mais vous ne pouvez pas vérifier qu'il n'a a pas des votes qui ne correspondent à personne sur les listes électorales.
S'il s'agit de se déplacer en bureau de vote, le mieux, c'est encore de s'en tenir au seul système connu qui garantit à la fois l'anonymat, l'absence de contrainte, un contrôle intégral par les citoyens et la possibilité de détecter tout type de fraude : l'utilisation d'un isoloir, de bulletins en papier, d'enveloppes opaques, d'urnes transparentes, et d'un dépouillement manuel.
@stéphane, le vote papier est sûr partout où il est suffisamment vérifié. C'est son intérêt, la fraude y est toujours détectable. Pas toujours détectée, évidemment, parce que pour la détecter, il faut être assez attentif.
@QentinC, il est très facile de vérifier la sûreté d'une élection en France. Restez dans le bureau de vote pendant toute la durée du vote, et observez. Vous pourrez vérifier :
- que personne ne vote sous contrainte : chaque électeur rentre seul dans l'isoloir ;
- que le vote est anonyme : les bulletins se mélangent bien dans l'urne ;
- qu'il n'y a pas de bourrage : personne ne met plusieurs enveloppes dans l'urne ;
- que seuls les personnes enregistrées sur les listes électorales votent ;
- qu'il n'y a pas de modification des votes : l'enveloppe tombe bien dans l'urne, et les enveloppes sont ensuite regroupées dans de grandes enveloppes dont vous pouvez observer le devenir ;
- que le comptage est exact : ça, c'est trivial, observez simplement le dépouillement ;
- que le comptage est bien transmis et pris en compte sans modification : vérifiez la publication des résultats sur le site du ministère de l'intérieur le lendemain.
Lors d'élections dans des pays un peu problématiques, il est courant d'y envoyer des observateurs. Leur travail n'est pas du tout pipeau, c'est très sérieux, la fraude est toujours détectable !
15 De ade - 25/06/2021, 16:12
Il faut distinguer vote et émargement.
Je répète de mon côté aussi depuis des années que le vote par internet ne peut pas garantir simultanément unicité, intégrité et anonymat. Les machines à voter posent également problème du fait de leur manque de transparence.
Par contre, tout en gardant le vote papier, on pourrait au moins numériser l'émargement (i.e. s'enregistrer + voter depuis n'importe quel bureau de vote et/ou donner procuration à n'importe qui en dehors de sa commune). Cela simplifierait beaucoup de choses (par exemple en ce qui me concerne je suis très peu souvent dans ma commune de résidence le week-end et j'aimerais pouvoir voter depuis la ville où je me trouve sur le moment, ou à défaut donner procuration à des amis qui n'habitent pas dans ma commune...).
16 De Sytoka - 25/06/2021, 16:42
Il y a deux soucis avec le système actuel, le scrutin majoritaire à deux tours, peu démocratique (critère d'Arrow) et le dépouillement manuel. Ce type de scrutin a été mis en place pour favoriser la création d'une majorité pour une personne ou un groupe qui serait minoritaire.
Mais personne ne parle des machines à dépouiller, or la machine à dépouiller permet d'autres types de scrutin que le vote majoritaire (par exemple, un vote par classement de Condorcet), ne pas pose de soucis pour le contrôle citoyen. Il y a donc une piste entre le tout manuel papier et le vote électronique !
17 De Dersou - 27/06/2021, 09:02
@Merone : "La publication des résultats à 20h est immédiate et se présente sous la forme d'un tableur où chacun peut retrouver son id, le bureau de vote et le vote qui correspond".
Vous oubliez des détails : si vous pouvez retrouver votre vote dans un tableur public d'autres le peuvent aussi. Adieu la confidentialité du vote et re-bonjour la coercition. Il suffit à un mari violent d'exiger l'identifiant de son épouse (ou de ses enfants majeurs sous son influence) à la sortie du bureau de vote pour s'assurer qu'elle a bien voté comme il l'exigeait. Pour qu'un tel système fonctionne il faudrait le compliquer sérieusement en proposant non pas un identifiant mais plusieurs, dont un véritable et autant de faux qu'il existe de choix de vote. Et que les personnes sous contrainte soient capables de le comprendre et de l'utiliser sans erreur. Il faudrait de plus s'assurer qu'il n'est pas possible de filmer la séquence de vote avec un téléphone ou de photographier l'écran des identifiants. Sinon le même mari violent pourra aussi exiger de sa femme qu'elle le fasse puis consulter la vidéo ou la photo. Il faudra donc supprimer les isoloirs et former les assesseurs à détecter les "smart-watches", les Google-glasses" et autres équipements numériques discrets. Je précise que ce problème des photos ou des vidéos est réduit dans le système actuel parce qu'il est interdit de filmer ou de photographier dans le bureau de vote. Une personne sous contrainte peut donc essayer de modifier le contenu de l'enveloppe après la sortie de l'isoloir. Bien sûr, ce n'est pas parfait mais c'est toujours ça.
Et enfin, vous devrez de toute façon faire confiance aux concepteurs et aux opérateurs du système de vote pour garantir la confidentialité. Il leur suffirait en effet d'enregistrer très précisément les heures d'émargement et de vote (à votre insu, bien sûr) pour savoir ce que vous avez voté.
Bien sûr, vous pouvez douter que dans un état de droit comme la France on en arrive à de telles extrémités de manipulation des scrutins. Mais l'état de droit, hélas, n'est pas éternel par construction. Il n'est pas du tout inenvisageable que la France évolue dans un proche avenir vers un régime "illibéral" ressemblant plus à la Hongrie qu'à la Suisse.
Bref, tous ces renoncements pour quel bénéfice, au juste ? Gagner quelques heures sur l’annonce des résultats ? Sommes-nous devenus tellement accros à l'immédiateté qu'après avoir attendu une dizaine d'heures (durée du scrutin) nous ne puissions patienter encore un peu ? C'est un peu contradictoire avec l'idée répandue que le vote électronique serait un moyen de réduire l'abstention lors d'élections peu intéressantes et motivantes.
18 De Merome - 27/06/2021, 12:57
@Elessar : vous avez raté dans mon commentaire un intérêt du vote électronique : le fait de pouvoir complexifier le scrutin sans complexifier le dépouillement, typiquement pour tous les votes par classement. L'immédiateté ser(virai)t à ça.
Par ailleurs pour vérifier le non bourrage d'urne, il suffit de se poster au bureau de vote et de compter soi même les votants pour comparer ce nombre à celui de la liste des résultats.
19 De Comme une image - 28/06/2021, 13:04
Pour avoir été de nombreuses fois scrutateurs, et pour être, depuis une quinzaine d'année, systématiquement assesseur à toutes les élections dans une commune où nous avons pratiqué à la fois vote traditionnel et vote sur urne informatique, et pour être moi-même informaticien, quelques remarques qui vont plutôt dans le sens de Tristan :
1/ De fait, tout système où le citoyen n'a pas la possibilité de vérifier la sincérité du scrutin me paraît problématique. L'urne électronique a le grand avantage de permettre un dépouillement quasi-instantané, sans erreurs d'enveloppes à recompter, de bulletins en double, etc. (sans les petits bulletins décorés si pittoresques ) mais comment savoir si l'algorithme de la machine n'opère pas de savantes retouches ?
On est obligé de faire confiance à notre démocratie.
Ce que je fais actuellement, mais quand je vois la facilité à laquelle une démocratie peut se transformer en autocratie, c'est un peu effrayant.
On notera qu'on n'a pas attendu l'électronique pour faire du bourrage d'urne : l'absence de numérique dans une élection ne suffit pas à garantir la sincérité du scrutin, hélas !
2/ On connaît les méthodes bien connues de certains partis d'aller chercher des voix en mobilisant des véhicules pour, par exemple, aider les personnes âgées peu mobiles – et éventuellement plus malléables – à aller voter.
Hormis pour quelques personnes handicapées (déficit visuel, PMR...), il est interdit à une personne majeure d'accompagner un·e électeur·trice dans l'isoloir (il y a généralement une tolérance pour les mineur·e·s, pour favoriser l'éducation au fonctionnement de la démocratie). Nul doute qu'avec un vote à distance, non seulement il sera bien difficile de vérifier que la personne qui doit voter est bien présente devant son écran, mais il sera encore plus impossible de vérifier qu'elle n'est pas sous l'influence directe d'un tiers.
3/ La démocratie est fragile (disais-je !). Quel que soit le mode de vote (électronique ou pas) de votre commune, s'investir comme assesseur·se dans une élection, surtout quand vous êtes dans l'opposition, c'est essentiel. Il y a mille façons de truquer les résultats d'un bureau. Ça m'ampute deux dimanches chaque année électorale, mais je n'ai pas l'impression de perdre mon temps !
20 De Nibel - 28/06/2021, 16:31
"En prenant plusieurs bulletins (n’en prendre qu’un n’est pas autorisé) et une enveloppe"
En réalité il n'y a aucun texte de loi obligeant à prendre plusieurs bulletins (circulaire du 20 décembre 2007, 2.2). Par contre l'enveloppe est obligatoire.
Il est possible que le président du bureau de vote demande à prendre au moins deux bulletins au nom du respect du secret du vote (art L.59). Mais c'est un abus d'interprétation de cet article, il n'a pas ce pouvoir là dans cette situation.
Le conseil constitutionnel a confirmé qu'il n'était pas nécessaire de se munir de plusieurs bulletins lors du vote :
Considérant que si le requérant allègue une méconnaissance du secret du vote au motif que des électeurs n'auraient pris qu'un seul bulletin de vote avant de passer par l'isoloir, aucune disposition du code électoral n'oblige les électeurs à prendre plusieurs bulletins; que, par suite, la circonstance alléguée n'est pas constitutive d'une irrégularité de nature à vicier les résultats du scrutin; » (Décision n° 93-1281 du 1 juillet 1993 , A.N., Val-de-Marne (9ème circ.).
21 De Poujol rost Mathias - 29/06/2021, 09:28
Effectivement, ce n'est pas pour demain.
22 De frv - 08/07/2021, 03:51
Je suis tout à fait d’accord avec les conclusions du billet et j’ajoute quelques remarques ou questions :
Merci pour votre analyse enrichissante.