L'histoire semble se passer dans un futur assez proche. Les réserves de pétrole sont quasiment épuisées, ou sont devenues si chères à exploiter que le prix du brut est passé à plus de 100 dollars le baril (contre une trentaine actuellement). Première impactée, l'industrie automobile : les voitures ne se vendent plus, faute de carburant. Même le GPL est devenu rare, devant la demande croissante. Avoir une voiture qui roule est redevenu un privilège limité à moins d'un quart de la population, et seulement pour de courts trajets. Renault, Peugeot et Citroën ont dernièrement tenté de vendre leurs modèles avec l'option GPL en standard, mais beaucoup d'ouvriers, après des mois de chomage technique, ont été licenciés, rejoignant des cohortes de chomeurs. Il faut dire que les transports aériens ont été très touchés, eux aussi, avec le transport routier et le tourisme. Pour se déplacer, il reste le vélo, le roller et, pour les grandes distances, le train nucléaire. Le transport fluvial connait un léger regain, grâce à sa moindre consommation du précieux liquide noirâtre.

La vie quotidienne a été bouleversée sur bien d'autres aspects. Le plastique, auparavant utilisé dans toutes sortes d'emballage et réalisé à partir du pétrole, est devenu rare. Finies, les bouteilles d'eau en plastique, enrobées de film plastique, dont on servait parfois le contenu dans des verres en plastique ! Le plastique se raréfiant, le recyclage tend à devenir plus courant, les sacs dans cette matière ne sont plus jetés, et les sacs IKEA, solides, sont devenus très recherchés.

Coté nourriture, le changement est très perceptible. L'agriculture productiviste, grande consommatrice de pétrole sous forme d'engrais azotés, est abandonnée. La nourriture coute plus cher, elle est devenue plus rare et surtout moins diversifiée : adieu aux fruits exotiques ou à la production venue d'ailleurs, qui permettait de disposer de tout en toute saison. Chacun tente de cultiver un lopin de terre. Le rutabaga fait son grand retour, au désespoir des anciens qui ont connu la seconde guerre mondiale. Au moins, on peut le cuire au micro-onde ! Il faut dire que le prix de l'electricité a largement augmenté, les centrales au fioul étant arretées. La France, avec son programme nucléaire, est plutot moins touchée que ses voisins européens.

Il n'empêche que la société est largement impactée par la forte augmentation du prix du pétrole. Avec les licenciements massifs récents, le pays compte maintenant 5 millions de chomeurs. Le système d'assurange chomage a implosé sous la surchauffe. L'Assedic dédommage les chercheurs d'emploi à hauteur de 1000 euros par mois pendant 10 mois. Les manifestations monstre contre cette mesure impopulaire n'ont rien changé. Le gouvernement, acculé, a fait donner l'armée pour canaliser les débordements de la foule. La cote du président Sarkozy est au plus bas après les 800 morts parmi les manifestants. La bonne nouvelle, c'est que le cocktail Molotov est devenu hors de prix pour les révolutionnaires, c'est même devenu leur symbole. Les alternatives à base de salpêtre et de désherbant sont bien plus difficiles à fabriquer, mais cela n'empêche pas les agressions envers les conducteurs de 4x4 de se multiplier.

Socialement, c'est une vraie débacle. L'intégration ratée des deuxièmes générations d'immigrés, rajoutée aux masses de chomeurs désabusés est un mélange explosif. Les partis politiques traditionnels sont débordés par leurs extrèmes. Un parti révolutionaire exige l'énergie gratuite pour tous, et clame : Il faut prendre l'essence là où qu'elle est. Une frange qu'on aurait qualifiée d'extrème-droite quelque années avant réclame un état fort et souhaite une répression dans le sang. Il n'est pas question d'élection depuis que l'état d'urgence a été décrété, mais on murmure que ce parti, le Mouvement pour la Milice et l'Ordre, aurait rallié près de 50% des électeurs. Un autre parti, écologiste celui-là, est divisé en deux tendance : les verts qui pronent une approche respecteuse de la nature, et l'autre, plus réactionnaire, autour des valeurs de la pêche et de la chasse.

Au milieu de tout cela, une élite a largement spéculé sur les prix du pétrole et s'est enrichie plus sûrement et plus rapidement que certains commerces de beurre, oeufs, fromage en 1942. La bourse aux matières premières fait et défait des carrières et des vies à la faveur des fluctuations du marché pétrolier.

Mon cauchemar s'arrête là. C'est l'inconvénient avec les cauchemars : on ne contrôle ni leur histoire, ni le moment où ils s'arrêtent.

Mais pour parler franchement, je n'ai pas révé. Je n'ai fait qu'imaginer ce futur glauque, mais pas sans raison. Le départ de tout cela, c'est un article d'Yves Cochet, Vers la pétro-apocalypse. Oui, je sais, des visions à la Mad Max, on en a déjà eu dans quantité de mauvaises BD vendues dans des halls de gare. Certes. Mais Yves Cochet, c'est quand même l'ancien ministre de l'environnement et un actuel député ! Et son article est paru dans Le Monde, qui n'est pas particulièrement une lecture folichonne. Lisez plutot :

Dans quelques années, la production mondiale de pétrole conventionnel déclinera tandis que la demande mondiale ne cesse de croître. Le choc résultant de cette famine pétrolière structurelle est inévitable, tant sont importantes la dépendance de nos économies au pétrole bon marché et l'impossibilité concomitante de les en sevrer rapidement.

Ainsi donc, Monsieur Cochet affirme qu'en 2010, on devrait entamer une réduction de la production mondiale de pétrole alors que la consommation ne cesse d'augmenter, au point de provoquer une récession générale, dans la mesure où on ne sait pas se passer de cette source bon marché d'énergie facilement transportable, qui se trouve être aussi une fabuleuse matière première.

On pourrait croire que Yves Cochet lance ce pavé dans la mare avec des arrières pensées électoralistes. Ca n'est pas totalement exclu, après tout, l'homme est inscrit à un parti écologiste. Mais j'ai une mauvaise nouvelle pour vous, ami lecteur, car les experts ont certes des avis divergents sur le sujet. Les pessimistes, comme Yves Cochet, misent sur la date de 2010. Les optimistes penchent pour 2020, ce qui finalement ne change rien ! En prenant cette seconde date, ça nous fait 16 ans de répit. 16 ans, ça n'est pas grand choses. Il y a 16 ans, nous étions déjà en 1988. Mitterrand entamait son second mandat. C'était hier.

J'entends des murmures au deuxième rang. Parlez-plus fort, je n'entends pas bien. Ah, Ca fait 30 ans qu'on prédit qu'il ne reste plus que 30 ans de réserves, il n'y a donc aucun risque, on trouve toujours plus de pétrole !. Ah, que j'aime votre foi en l'avenir. J'aimerais être d'accord avec vous, mais j'ai lui un extraordinaire document qui explique tout cela : Qu'est-ce qu'une réserve de pétrole ? En avons nous pour longtemps ?. Un expert en énergie et changement climatique nous explique tout cela par le menu avec un brio indéniable et une pédagogie impressionnante. Quant à l'impact que cela pourrait avoir sur notre société occidentale, j'avoue que j'ai laissé courir mon imaginantion sur les éléments d'Yves Cochet. Mais il n'est pas seul à penser cela :

Jusqu'à quel point cette situation conduira-t-elle à une récession générale ? Nul ne le sait, mais l'aveuglement des politiques et le panurgisme panique coutumier des marchés peuvent nous laisser craindre le pire. Cette prophétie certaine est universellement ignorée, déniée ou sous-estimée. Rares sont ceux qui mesurent exactement l'imminence et l'ampleur de son avènement. Michael Meacher, ancien ministre de l'environnement du Royaume-Uni (1997-2003), écrivait récemment dans le Financial Time qu'à défaut d'une prise de conscience générale et de décisions planétaires immédiates de changements radicaux en matière d'énergie, la civilisation affrontera le plus aigu et sans doute le plus violent bouleversement de l'histoire récente.

Sur ce, j'ai vidé mon sac, je me sens un peu plus léger. A défaut de vous souhaiter un excellent cauchemar, j'aimerais que vous vous demandiez ce que, très concrètement, vous pouvez faire pour réduire votre consommation de pétrole et de ses dérivés, et comment profiter d'énergies alternatives. N'hésitez pas à utiliser les commentaires de ce blog pour échanger. Je suis preneur de toutes vos idées !