Après un introduction sur l'économie, le livre se divise en quatre grandes parties, expliquant successivement :

  • Principes de scolastique économique (en gros, la philosophie de l'économie, et les limites de cette dernière)
  • La guerre économique
    • Marchés et concurrence
    • Mondialisation et commerce international
    • Enron et les sept familles (passage fascinant)
  • Le nerf de la guerre
    • L'argent
    • La bourse et les marchés financiers (et leur inefficacité)
  • Le butin
    • Le partage
    • Qu'est-ce que la richesse ? (La réponse est bien moins triviale que la question)
    • L'autre économie (un bon début, mais qui tourne trop court)

L'Antimanuel d'économie est en fait un outil à démonter les théories simplistes avancées par les partisans de l'économie ultra-libérale. A ce titre, il faut le prendre avec des pincettes. De toute évidence, l'auteur (professeur et auteur de nombreux ouvrages sur l'économie, qui anime par ailleurs la page économie de Charlie-Hebdo), est franchement anti-libéral et semble fournir au lecteur des munitions pour démolir la pensée unique du libéralisme... Ca n'est pas pour cela que j'ai lu ce livre. A de nombreuses reprises, j'y ai trouvé de fréquentes allusions à la gratuité du partage du savoir, à des pistes pour une amélioration du système économique.

On trouve même un court passage sur le logiciel Libre, avec des imprécisions qui en disent long sur les faiblesses de l'auteur sur ce sujet :

Internet a permis la progression de phénomènes (...) comme le logiciel libre, totalement inadmissibles et incompréhensibles par l'économie capitaliste. Les défenses du logiciel libre (comme Linux) sont dans l'autre économie. Au départ, des informaticiens passionnés, des geeks, lancent un projet sur le Net, pour échapper au diktat de Microsoft qui fonctionne selon la vieille économie : rareté et péage. L'amélioration du logiciel est menée par une communauté d'utilisateurs potentiels éparpillés dans le monde, qui fonctionne selon le principe du plaisir et du don. Chacun apporte sa pierre au logiciel. Au total, celui-ci se révèle bien plus efficace que le logiciel concocté dans le secret et protégé par un brevet, Microsoft (sic : l'auteur voulait sûrement dire Windows), à tel point que certains grands groupes comme IBM l'ont adopté. Le logiciel libre retrouve une vieille lune de l'anticapitalisme : la société coopérative. Des ouvriers, des artisans, unissent leurs efforts pour produire un bien en se redistribuant les profits. L'information semble être un "bien", une dimension de l'humanité, inépuisable, non polluante et susceptible de croître à l'infini. Elle peut être fournie par les uns sans qu'ils s'appauvrissent, chose qui est inadmissible pour l'économie de parché, fondée sur la rareté et l'exclusion. Elle recèle l'abondance et la propriété collective...

Sur les quelques 350 pages de l'ouvrage, j'espérais trouver plus de matière sur le sujet. Certes, j'ai très logiquement trouvé un réquisitoire d'une rare violence contre l'économie capitaliste :

Le productivisme acharné de l'économie capitaliste entraîne des pollutions grandissantes, accroît l'effet de serre, perturbe les climats, transforme la terre en vaste bidonville, favorise la diffusion des virus, des épidémies. Les inégalités s'accroissent de façon monstrueuse. Pauvreté et chômage de masse cohabitent avec une richesse extrême. La compétition et la marchandisation de tous les rapports humains, de la famille, de l'éducation, du sport, de la culture détruisent tout lien social. Les individus manipulés par la publicité, soumis à l'abrutissement médiatique, aliénés dans le stress et l'alcoolisme du travail pour les plus heureux, passent à coté de leur vie. La corruption généralisée s'installe, les mafias et les tribunes dominent, les vieilles figures de l'honneur, du désintéressement, de la noblesse disparaissent au profit de la cupidité et de la vénalité généralisées.

Mais au delà de cela, je souhaitais trouver des pistes pour améliorer le capitalisme. Souvent, elles ont été suggérées, mais c'est en arrivant à la conclusion que la désillusion se révèle : l'auteur a tourné autour du pot pendant 350 pages.

Cela ne fait pas pour autant de cet antimanuel d'économie une mauvaise lecture. La prose est très plaisante, et illustrée de textes choisis, de Houellebecq ou de Georges Orwell en passant par des économistes classiques. C'est un vrai livre d'érudit, mêlant sociologie, philosophie et histoire de l'économie. On y trouve aussi de vrais bons exemples illustrant les limites du système. Par exemple :

Bruno Ventelou, dans un livre passionnant, propose un jeu auquel ont participé des gens très différents. Les premiers sont des élèves d'école de commerce, formatés à la concurrence et au chacun pour soi, rationnels et égoïstes, maximisant chacun sa propre utilité ; les autres, des petits gars de banlieue d'une même équipe de basket, plutôt solidaires. Disons les "Gestionnaires" contre les "basketteurs". Les premiers n'ont pas confiance les uns dans les autres, contrairement aux seconds. On leur fait jouer de l'argent (l'expérience a été réellement réalisée en 1998 avec deux équipes de huit). Ils sont huit dans chaque équipe. On distribue à chacun 4 cartes d'un jeu de 32. A chaque tour, ils gardent deux cartes et en jettent deux dans le pot. Ils gagnent 4 euros par carte rouge conservée (chaque carte rouge a la même valeur, peu importe qu'il s'agisse du roi de coeur ou du sept de carreau), plus un euro par carte rouge dans le pot. Soit je mets mes rouges dans le pot (je joue collectif), soit je les garde. Exemple : si j'ai deux rouges et que je les garde, j'ai gagné huit euros. Si je les ai mises dans le pot et que tout le monde fait comme moi, nous avons gagné chacun huit fois deux egale 16 euros. Dilemme... Faut-il jouer perso ou collectif ? Le résultat est frappant. L'école de commerce joue perso. Les basketteurs jouent collectif. Et bien entendu... les basketteurs gagnent. Mais voilà. Les tours passent et passent. Certains basketteurs commencent à jouer perso en se disant : je joue pour moi, mais comme les autres sont assez bêtes pour jouer collectif, j'empocherai les cartes que je garde en main, plus celles que les autres mettent au pot. Exemple, toujours sur une distribution deux rouges, deux noires : je garde mes deux cartes rouges (8 euros) et les autres mettent leurs cartes dans le pot (14 euros). Total pour moi : 8 plus 14 égale 22 euros ! Encore mieux que que dans le cas où tout le monde joue collectif. Hélas, la trahison a des conséquences terribles. Les autres s'en rendent compte. Que font-ils aux tours suivants ? Ils trahissent eux aussi. Et petit à petit, on se retrouve dans la situation de la concurrence. Tout se passe comme si l'idée concurrentielle, ''selfishness', polluait petit à petit le jeu, jusqu'à ce qu'on se trouve dans la même situation que celle des "gestionnaires", égoïstes, rationnels, calculateurs et peu gagnants. C'est une idée clé de l'économie contemporaine : l'anticipation rationnelle, qui débouche sur un mauvais équilibre. J'anticipe que les autres vont être égoïstes. Et les autres pensent de même. On joue donc tous égoïstes, et on perd tous.

Au final, même si j'ai lu ce livre pour une mauvaise raison, et donc que j'ai été déçu, ce livre est une bonne lecture, à lire avec du recul. Il critique certe l'économie capitaliste et ne propose pas grand chose de tangible à la place, mais au moins, il aide à voir plus clair dans le dogme des ultra-libéraux. En cette époque où la question est d'actualité, avec la réforme des retraites, de l'assurance-maladie et de tout ce qui a fait l'Etat-providence, un autre éclairage est salvateur. Merci, monsieur Maris !