Il y a quelques jours passait sur digg.com un article indiquant que Firefox avait rapporté 72 millions de dollars. C'était présenté comme une certitude. On cliquait sur le lien, et on arrivait sur un billet sur le blog Technoogle qui présentait cela comme un fait. Heureusement, il indiquait sa source, et on pouvait alors arriver sur un Billet de Jason Calacanis qui expliquait qu'il ne s'agissait là que d'une rumeur. Bref, en deux hyperliens, on était passé d'un "on dit" à une certitude absolue. Juste un aparté : les blogs et le Web 2.0 prouvent bien là leurs limites par rapport au journalisme professionnel. Ainsi, on notera que Slashdot, qui n'est pourtant pas un modèle de journalisme haut de gamme, n'a pas relayé l'info : comme quoi, un comité de rédaction, c'est réellement utile.

Mais qu'en est il vraiment ? Je n'ai pas l'information moi même, mais dès que j'ai eu vent de la rumeur, j'ai posé la question à mes interlocuteurs de Mozilla Corporation et Foundation. Le fait est que le chiffre est faux, mais l'ordre de grandeur est correct.

Christopher Blizzard, membre du board de Mozilla Corp., a publié un billet très intéressant sur le sujet et en profite pour rappeler trois points :

  1. Mozilla Corp. est la propriété à 100% de Mozilla Foundation, fondation à but non lucratif. Il n'y a aucun autre actionnaire, et il n'est pas prévu qu'il y en ai d'autres. Non, il n'y aura pas d'entrée en bourse, avec tous les excès qui pourraient aller de pair.
  2. L'argent n'est qu'un outil. Voilà qui tombe pile avec mon billet récent qui expliquait en quoi l'argent est un moyen, pas un but, billet dont la lecture est recommandée pour mieux comprendre l'approche du projet. Voir aussi toute la série Firefox, les standards, et l'avenir du Web.
  3. L'argent est nécessaire pour la viabilité du projet, mais la priorité, c'est 1 - la satisfaction de l'utilisateur ; 2 - les parts de marché et 3 - assurer la viabilité du projet. Autrement dit, nous refusons des opportunités d'augmenter le revenu quand elles compromettent la satisfaction de l'utilisateur. De même, Chris Blizzard explique qu'on pourrait accepter des accords de distribution même s'ils sont peu générateurs de revenu. Pour comprendre pourquoi la distribution et donc les parts de marché sont essentiels pour le succès de Firefox, je vous encourage à lire L'importance des parts de marché, paru récemment.

Chris Blizzard conclut sur le fait que cet argent a surtout pour intérêt de nous ouvrir des opportunités.

Il y a toutefois un point que j'aurais aimé que Chris aborde, c'est ce qui va être fait de cet argent. Je sais que Frank Hecker, de Mozilla Foundation, travaille d'arrache-pied sur le sujet. Mon seul regret, c'est qu'il n'est pas encore prêt à présenter un plan. Mais je sais qu'il a prévu de bloguer sur le sujet dès que possible. La grande difficulté rencontrée par Frank, c'est de savoir comment dépenser intelligemment et efficacement cet argent. On peut bien donner quelques millions par ci ou par là, mais qu'est-ce qui indique qu'il vont être bien utilisés ? pas grand chose ! [1]

Quoiqu'il en soit, l'argent du projet Mozilla a déjà été mis à profit pour des actions qui visent à améliorer le projet. Je me suis demandé en quoi. Voici ce qui m'est revenu au moment où j'écris ce billet :

  • L'embauche de développeurs jusqu'à présent bénévoles, de membres de l'encadrement aux USA, au Canada, au Royaume Uni, en Allemagne et en France ;
  • Plus modestement, mais tout aussi indispensable, la réunion des principaux développeurs en décembre aux USA a été très bénéfique (et un déplacement en Silicon Valley, avec hébergement, ça coûte cher !)
  • Il y a 10 jours, cela a été la réunion des localiseurs à Bruxelles, qui se sont vu offrir le transport pour un émissaire de chaque équipe, ainsi que le diner du samedi soir.

Il y a un petit détail que personne n'a remarqué au sujet de cette dernière réunion, c'est que Mozilla Foundation a bien voulu payer le diner, mais pas la boisson. Comme l'expliquait Gerv Markahm, de Mozilla foundation, "it's because we're not stupid ;-)". En effet, la soirée Open-Bar pour les contributeurs aurait pu tourner à l'orgie, et on va dire pudiquement que ça n'était pas l'objectif de la Foundation :-D. Pour ma part, j'ai estimé que vouloir offri un diner convivial à Bruxelles sans payer une bière aux invités ressemblait bigrement à une grosse faute de goût. Aussi, Mozilla Europe, dont les ressources ne sont pas celles de Mozilla Corp. a offert une boisson à chacun des présents, sous prétexte qu'il ne faut pas sous-estimer l'apport convivial de la bière en milieu geekesque :-).

Mais revenons à ce que Mozilla Foundation pourrait faire avec ses revenus. Lors de la réunion européenne des développeurs et localiseurs à Bruxelles pendant le FOSDEM, Gerv a animé une longue discussion sur le sujet et a écouté les suggestions des développeurs assemblés à cette occasion. Pour ma part, j'ai suggéré de développer une version Libre du vieil outil Talkback dont Mozilla a hérité de Netscape, dans l'espoir de voir cet outil être mis à disposition de tous les projets Libres et ainsi améliorer la qualité du logiciel Libre sur le poste client.

Pour conclure, le projet Mozilla dispose de fonds que l'on avait pas imaginé au départ (lire mon billet Comment gagner de l'argent avec un navigateur ? à ce propos[2]), et c'est une excellente nouvelle, pour deux raisons :

  • Cela est très rassurant pour l'avenir du projet. Si, en 2003, j'ai décidé de monter Mozilla Europe, c'est bien parce que j'étais extrêmement pessimiste pour l'avenir du projet Mozilla. Presque trois ans après, c'est bien d'avoir une certaine sérénité sur ce sujet ;
  • D'après les rumeurs qui courent, Microsoft a prévu un budget marketing de 400 millions de dollars pour lancer Vista et IE7. Il va falloir faire face à cette déferlante médiatique. Ce qui s'annonce est tout sauf anodin, foi d'ancien Netscapien.

Notes

[1] Mark Shuttleworth, le milliardaire sud-africain qui sponsorise Ubuntu, en a déjà fait l'expérience sur un autre projet qu'il a finalement dû tuer compte tenu de l'absence de résultats. Mise à jour : Voici le lien vers le projet lancé puis arreté par Mark Shuttleworth : Funding free software projects, my experience with SchoolTool v1.

[2] billet qui démontre que je peux avoir tort, et dans le cas présent, j'en suis ravi.