Il y a un grand, un immense malentendu quant aux grands services commerciaux du genre Facebook, Google, Twitter et tous les services dits « gratuits ». On entend d’ailleurs souvent l’adage suivant :

Si c’est gratuit, c’est vous le produit.

En effet, si un tel service est gratuit, vous n’êtes pas le client. Le client, par définition, c’est celui qui paye.

Mais qui est le client, alors ?

Si un service commercial, coté en Bourse où il est valorisé à plusieurs milliards de dollars, est gratuit, il y a bien quelqu’un qui paye. Ce quelqu’un, justement parce qu’il paye, mérite d’être appelé le client.

Ce client, c’est l’annonceur publicitaire. C’est lui qui paye le service que vous utilisez. Pourquoi ? Pour pouvoir avant tout mettre de la publicité dans le service. Vous me rétorquerez que c’est comme quand on regarde la télévision, payée en partie par la redevance TV (un genre d’impôt) et en partie ou en totalité par la publicité. Cela avait en particulier poussé l’ancien patron de TF1, Patrick Le Lay, à déclarer :

à la base, le métier de TF1, c’est d’aider Coca-Cola, par exemple, à vendre son produit. (…) Or pour qu’un message publicitaire soit perçu, il faut que le cerveau du téléspectateur soit disponible. Nos émissions ont pour vocation de le rendre disponible : c’est-à-dire de le divertir, de le détendre pour le préparer entre deux messages. Ce que nous (TF1) vendons à Coca-Cola, c’est du temps de cerveau humain disponible.

Voilà, ce que vendent les grands services en ligne, c’est « du temps de cerveau humain disponible », mais c’est aussi bien plus que ça : ils vendent aux annonceurs de la publicité dite « ciblée », c’est à dire de la publicité qui est censée correspondre aux utilisateurs. Plus ces grands services connaissent leurs utilisateurs, plus ils sont capables d’afficher ce que l’utilisateur peut avoir envie d’acheter, ce pour quoi les annonceurs sont prêt à payer plus.

Il ressort de cela deux choses essentielles à bien comprendre pour saisir comment fonctionne l’essentiel de la partie commerciale d’Internet :

Plus les services en question en savent sur nous, plus notre temps de cerveau disponible est facturé cher aux annonceurs.

Et aussi :

Quand nous utilisons Google ou Facebook, nous laissons nos données personnelles en échange d’un service.

En échange de quelques verroteries

Cet échange est-il une bonne affaire ? Nous allons voir si ça n’est pas un marché de dupes.

D’un côté, il faut déterminer combien valent nos données personnelles. C’est difficile à dire, mais si on considère que la vie privée est protégée par plusieurs lois (cf chapitre 8) parce qu’elle est indispensable à notre liberté, on peut estimer qu’elle vaut beaucoup, comme notre liberté elle-même.

À l’inverse, contre quoi échangeons-nous ces données personnelles ? Un service. Combien coûte ce service ? Prenons le cas de Facebook pour faire un rapide calcul qui se révèle très instructif. Facebook a des dépenses opérationnelles annuelles de 7,472 milliard de dollars[1] pour 1,39 milliard d’utilisateurs (chiffres pour l’année 2014) ? Un rapide produit en croix nous donne ce constat affligeant :

chaque utilisateur de Facebook échange ses données personnelles contre un service coûtant 5,37$ (soit 4,76€) par an.

Je vais laisser la conclusion de ce chapitre à Geek & Poke :

Cochons discutant du modèlel gratuit (CC-BY) Geek and Poke

Deux cochons discutant du modèle « gratuit » (utilisé sous licence CC-BY)

Comme les deux cochons ci-dessus discutant du modèle gratuit, acceptons-nous de finir en saucisson numérique contre des services gratuits ?

Note

[1] Voir ligne Total Operating Expense et faire la somme pour les 4 trimestres der 2014 : 2718+1806+1520+1428.