(Ce billet fait partie d'une suite de billets : Introduction, deuxième partie, troisième partie, quatrième partie).

Attention. Dans cette partie, je vais aborder un sujet épineux, pour ne pas dire trollifère, si vous me pardonnez ce néologisme. Je prie mes lecteurs d'éviter les réactions à chaud dans les commentaires. Je réfléchis ici à voix haute, et ne prétends en aucune façon prêcher une approche idéale.

Certains, dans la communauté du Libre, prétendent que le logiciel Libre est éthiquement un progrès, dans la mesure où il repose sur le partage du savoir, sans limitation. La GPL, dont je parle plus haut, précise qu'il n'est possible de distribuer une version modifiée d'un logiciel sous GPL qu'accompagnée de son code source[1]. Autrement dit, il est impossible, suivant la GPL, de prendre un code Libre et de le rendre propriétaire.

Bref, la GPL, par construction, favorise la diffusion du code source (et donc du savoir informatique qui s'y trouve), ce qui est un principe qui me convient a priori parfaitement. Si je contribue, à titre personnel, à Wikipedia, à Wikimedia Commons, à Mozilla, à la sauvegarde du Web (par la diffusion d'un navigateur Libre, par la promotion des standards), si mes photos sont sous licence Creative Commons c'est bien parce que je suis intimement persuadé que l'éducation, le partage du savoir, c'est essentiel pour que l'humanité aille dans le bon sens.

Cela dit, déclarer tout de go que le logiciel propriétaire, c'est mal, et le logiciel Libre, c'est bien, il y a là un pas que je ne saurais franchir. Car cette belle magnifique idée du partage universel du savoir et du code source n'existe pas dans le vide. Elle existe dans le système économique qui est le nôtre, le capitalisme. Et le capitalisme repose sur un principe essentiel : ce qui est rare est cher. Le capitalisme, et j'espère qu'on me pardonnera cette simplification, ça consiste à donner envie aux consommateurs de quelque chose qui est rare, puis à leur vendre.

Petite digression : avec le temps, on voit bien qu'idéalement, il faut que ce qu'on vient de leur vendre devienne obsolète aussi rapidement que possible, de façon à pouvoir aussitôt vendre le produit remplaçant. C'est ainsi qu'on en arrive à faire des livres éphémères qui sont autant de coups marketing, que l'industrie du disque Top 50 consiste essentiellement à fourguer des bidules bientôt périmés sous cellophane à des adolescents abreuvés de pub, que ma voiture de 70.000 kilomètres parait fichtrement dépassée alors qu'elle n'en est qu'à la moitié de sa vie.

Mais revenons à nos moutons, ou plutôt à nos modèles de développement de logiciels. Le modèle propriétaire a un gros avantage sur le modèle Libre, c'est qu'il évolue sur son propre terrain (si j'écrivais dans L'équipe au lieu du Standblog, je dirais qu'il joue à domicile, et je me demande même si le terrain n'est pas en pente, avec un fort vent favorable). Toute notre société est organisée, d'un point de vue économique mais aussi culturel, pour vendre du logiciel propriétaire, dans une logique marchande, avec des rapports de client à fournisseur, et c'est bien là le problème !

Si on se place dans une perspective à long terme, le logiciel Libre est probablement mieux pour l'humanité. Mais à court terme, le logiciel propriétaire est indéniablement plus facile à comprendre pour la majorité des gens, compte tenu de leur référentiel.

Cela ne veut pas dire qu'il faille abandonner le logiciel Libre, non. Car les projets comme Apache, Debian, Mozilla et Wikipedia (parmi bien d'autres) montrent qu'on a besoin du logiciel Libre[2].

En conclusion, je me garderais bien de trancher en faveur de l'un ou de l'autre. Par contre, si j'ai choisi mon camp, celui du Libre, c'est parce qu'il me paraît essentiel pour le long terme de préserver la possibilité de faire du logiciel Libre, il faut faire fructifier ces projets, pour pouvoir proposer une alternative au modèle du logiciel propriétaire, compte tenu de toutes ses limitations.

Notes

[1] j'ai mis à jour la phrase qui précède pour éliminer un contre-sens.

[2] On pourrait aussi étendre ce propos au contenu sous license Creative Commons, mais j'ai peur de m'égarer.