Toutes mes excuses pour ce titre tordu : ça m'apprendra à écrire des billets avec la migraine :-/

Nombreux sont mes lecteurs qui m'ont contacté pour me signaler les deux excellents billets de Maître Eolas[1].

Il faut dire que l'enjeu est grave : la loi Hadopi passe devant l'Assemblée Nationale. Oui, je sais, avec des noms comme HADOPI, on ne risque pas de se sentir attiré par le débat public. Voici donc une définition gentiment offerte :

Le projet de loi "Création et Internet" ou "HADOPI" a été voté au Sénat le 30 octobre 2008 (...). Elle a pour objet de mettre en oeuvre la "riposte graduée" visant à couper l'accès aux internautes suspectés de partage d'oeuvres sans autorisation. Une autorité (l'HADOPI), instaurée par le texte, agira sur dénonciation d'acteurs privés travaillant pour les industries du divertissement (syndicats professionnels, enquêteurs privés). (...)

Je ne vais pas vous expliquer pourquoi la loi Hadopi est inefficace, inapplicable et dangereuse, vu qu'une excellente note de synthèse (format PDF) l'explique déjà très bien.

Voilà pour le contexte : cette loi plus que douteuse et promue par l'industrie des médias va bientôt passer devant l'Assemblée nationale. Du coup, les différents acteurs impliqués s'agitent pour raconter leur version de l'histoire (c'est légitime), et ils ne rechignent pas devant les âneries sur ce sujet à la fois technique et sensible (l'industrie des médias ayant déjà les deux pieds dans la tombe, elle n'a pas peur de franchir les limites, mais du coup, c'est nettement moins légitime).

Dernièrement, le président de la république qualifiait Internet de "Jungle sauvage" qu'il voulait transformer en "fantastique lieu de création et d’échange". Pour l'occasion, je m'étais fendu d'une réponse polie.

Et puis on a vu débarquer les portes-flingues, et la jungle sauvage a tourné au rodéo de Far West. Du grand n'importe quoi, du burlesque.

Mesdames et messieurs, premier dans l'arène : Luc Besson, chevauchant sa tribune dans le journal Le Monde, très subtilement intitulée Halte au piratage à grande échelle via Internet !.

Seulement voilà, Maître Eolas veille au grain et dégaine un texte brillant et drôle[2] : Quelques leçons de droit (et même un peu d'économie) à l'attention de Luc Besson.

Voici par exemple un endroit où Maître Eolas démontre que le remède serait pire que le mal :

Heu… Luc… Sans vouloir être désagréable, le Conseil constitutionnel a déjà dit que la riposte graduée était contraire à la Constitution. C'est au considérant n°65. Ce que propose le projet de loi internet et création (appelé souvent à tort HADOPI), c'est, de fait, dépénaliser au profit d'une autorité administrative ayant un pouvoir de sanction après avertissement. Ce qui risque fort d'être pris pour une légalisation du piratage individuel (mes amis économistes te parleront du pouvoir des incitations, et dans ce cas de la disparition de l'aversion de la perte), puisqu'aucune sanction ne sera possible tant que l'internaute n'aura pas été averti au moins une fois. D'où le sentiment d'avoir le droit de télécharger tant qu'on n'a pas été averti, puisqu'on ne risque rien. Alors qu'aujourd'hui il est punissable dès le premier téléchargement. Tu râles parce qu'on téléchargerait 500.000 films par jour ? Je ne suis pas sûr que tu adores la suite.

Je vous ai déjà dit que j'étais fan ? Maintenant, vous savez pourquoi ! ;-)

Une fois que Luc Besson a mordu la poussière et que Maitre Eolas, – grâce lui soit rendue – est sorti avec les oreilles et la queue du producteur, un autre cow-boy est entré dans l'arène. Qui ça ? L'inénarrable Frédéric Lefebvre, qui a déjà eu l'honneur des colonnes du Standblog, mais pas en bien. Bon, je re-situe, c'est le type qui a été pressenti pour prendre le poste de secrétaire d'état à l'économie numérique mais qui, devant la levée de bouclier[3], a promptement été retiré de la course en faveur de NKM[4]

Frédéric Lefebvre, c'est celui qui a réussi à déclarer devant les députés – à propos du filtrage d'Internet, toujours – accrochez-vous, ça pique un peu les yeux :

L’absence de régulation du Net provoque chaque jour des victimes ! Combien faudra-t-il de jeunes filles violées pour que les autorités réagissent ?

Oui, c'est lui. "Une bonne tête de vainqueur", comme on dit parfois ;-)

Bah le mec, il a recommencé dans le journal 20 Minutes en déclarant :

Les sites comme beeMotion sont des dealers.

Une subtilité de cow-boy, je vous dis !

Heureusement, Maître Eolas veille toujours au grain et balance un féroce billet : Tout le monde n'a pas le talent de Luc Besson. Il y décortique la longue litanie des âneries de Frédéric Lefebvre, au point de conclure :

Mes bras étant tombés, j'écris la suite de ce billet en tapant sur mon clavier avec mon front.

Et puis ensuite on a eu la cow-girl, Madame la ministre de la culture Christine Albanel, qui est passée devant les commissions de l'Assemblée Nationale, et là, c'est la Quadrature qui lui colle 0/20 !

Cette succession de bêtises racoleuses et simplistes me consternent, au point que j'ai pondu un joli panneau :

Méfiez-vous des discours simplistes et liberticides

Méfiez-vous des discours simplistes et liberticides[5]

Alors que les choses soient claires : je n'incite personne à faire des copies illégales (au point que je passe pour un vieux con vis à vis de mon entourage !). Par contre, si j'écris ce billet, c'est en tant que citoyen concerné par Internet et par la loi de son pays (et la liberté de ses concitoyens). Il est important d'avoir un débat public sur ce sujet, et franchement, voir cette loi ratée (comme la précédente, DADVSI) menée par des gens qui ne semblent pas comprendre la nature même d'Internet tout en étant influencés par une industrie, ça n'est pas digne d'une démocratie moderne... C'est pourquoi j'encourage mes lecteurs à écouter un autre son de cloche que les discours simplistes de gens qui ne comprennent rien à Internet, par exemple en se tournant vers les gens qui essayent de comprendre en quoi cette loi est dangereuse : La Quadrature du Net.

Notes

[1] je me retiens de l'appeler "Mon ami Maître Eolas" car ça serait prétentieux, même s'il a gentiment accepté de prendre une photo avec moi et le Capitaine)

[2] Comme toujours, suis-je tenté de dire, mais pas parce que cet homme est presque mon ami ;-)

[3] Je parle d'arène et de boucliers, s'il n'y avait pas les cow-boys, on pourrait croire à un peplum !

[4] Non, ça n'est pas un groupe de rap, faut suivre, merde !

[5] Merci à [Delphine pour l'idée : Avec Besson, le pire n’est jamais loin.