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jeudi 14 janvier 2010

J'aime Google ! (mais...)

(Ca va sans dire, mais ça va mieux en le disant : comme indiqué en bas de chaque page de ce blog, ce que j'exprime ici n'est que mon opinion personnelle et ne saurait aucunement être attribué à mon employeur.[1])

Ça fait plusieurs articles que j'écris sur Google ces derniers temps, et certains pensent que je suis en guerre contre la firme de Mountain View. Il n'en est rien. Il faut que que je précise quelque chose d'essentiel : Google est une boîte formidable. Rentable, bien gérée, innovante, qui comprend le Web mieux que personne, qui fait des produits de qualité la plupart du temps. Qui soutient de nombreux projets libres et souvent les formats ouverts. En plus, elle est beaucoup plus écolo-responsable que la moyenne. J'ai plein d'amis et d'anciens collègues qui travaillent là-bas. J'y suis allé déjeuner plusieurs fois à Mountain View et à Paris. Bref, Google — je le répète — est une boîte formidable.

Mais ça reste une boîte. Cotée en bourse. Son devoir, c'est de générer le plus d'argent possible. C'est le système qui veut ça.

Son métier, c'est de profiler les gens, de tout savoir sur eux en leur offrant des services "gratuits". Et de monétiser au maximum ces informations sur moi, avec de la publicité ciblée. Je ne l'invente pas. C'est Andy Rubin, VP de Google qui le dit lui-même : "notre cœur de métier : la publicité".

Mais ne croyons pas qu'il s'agisse de Google en particulier. Une grande partie du business du Web 2.0 repose sur ce principe. Google est le plus gros acteur, mais ça n'est pas le pire. Microsoft aimerait faire aussi bien. Yahoo est pareil. Facebook idem. Et franchement, de ces 4 sociétés, Google est probablement la plus honnête et la plus respectable ! Mais c'est la plus puissante et donc la plus redoutable.

Il y a un accord implicite entre ces sociétés et chacun de nous. C'est : "Laisse-moi tout savoir sur toi, et je te laisse utiliser mes services gratuitement". Mon souci est double :

  1. cet accord est implicite. La plupart des gens ne réalisent pas comment tout cela fonctionne. Ils pensent que c'est gratuit, que c'est une aubaine, qu'on reçoit sans donner.
  2. cet accord est déséquilibré. Il n'y a pas de prix qu'on peut discuter, comparer avec d'autres. Les utilisateurs — sous prétexte qu'il n'y a pas d'argent qui sort de leurs poches — pensent que c'est une bonne affaire. Ils ne réalisent pas que leurs données personnelles, leur vie privée, valent infiniment mieux qu'un peu de temps CPU issu d'un datacenter. Ca rappelle un peu la conquête de l'Amérique, où les colons échangeaient des terres contre quelques verroteries à des indigènes. L'image est forte, je le reconnais, mais elle évoque bien ce marché de dupes, où une des deux parties ignore tout des règles et se fait donc dépouiller d'un bien très précieux qu'elle ne récupérera jamais.

Alors oui, j'aime Google. C'est une boîte formidable. Mais j'aime plus encore ma vie privée, et je compte bien la protéger.

Notes

[1] Voir en particulier Ne pas confondre Tristan Nitot et Mozilla.

vendredi 11 décembre 2009

Dérapage d'Eric Schmidt, de Google

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T-Shirt en vente chez Busted Tees

Eric Schmidt, patron de Google, vient de commettre un superbe dérapage sur le thème de la vie privée[1] :

Je pense qu'il faut faire preuve de jugeotte. S'il y a quelque chose que vous faites et que personne ne doit savoir, peut-être qu'il faudrait commencer par ne pas le faire. Si vous avez besoin qu'on respecte à ce point votre vie privée, le fait est que les moteurs de recherche – y compris Google – enregistrent et conservent des informations pendant un certain temps. Il faut bien réaliser que nous, aux USA, sommes soumis au Patriot Act et donc qu'il est possible que toutes ces informations soient mises à la disposition des autorités à leur demande.

La réaction de l'excellent Bruce Schneier, expert en sécurité de renom, date de 2006, mais elle est toujours valable, et il vient de la publier à nouveau à l'occasion de la bévue du patron de Google :

La notion de vie privée nous protège de ceux qui ont le pouvoir, même si nous ne faisons rien de mal au moment où nous sommes surveillés. Nous ne faisons rien de mal quand nous faisons l'amour ou allons aux toilettes. Nous ne cachons riens délibérément quand nous cherchons des endroits tranquilles pour réfléchir ou discuter. Nous tenons des journaux intimes, chantons seuls sous la douche, écrivons des lettres à des amoureux secrets pour ensuite les brûler. La vie privée est un besoin humain de base.

(…) Si nous sommes observés en toute occasion, nous sommes en permanence menacés de correction, de jugement, de critique, y compris même le plagiat de nous-même. Nous devenons des enfants, emprisonnés par les yeux qui nous surveillent, craignant en permanence que – maintenant ou plus tard – les traces que nous laissons nous rattraperont, par la faute d'une autorité quelle qu'elle soit qui porte maintenant son attention sur des actes qui étaient à l'époque innocents et privés. Nous perdons notre individualité, parce que tout ce que nous faisons est observable et enregistrable. (…)

Voici la perte de liberté que nous risquons quand notre vie privée nous est retirée. C'est la vie dans l'ex-Allemagne de l'Est ou dans l'Irak de Saddam Hussein. Mais c'est aussi notre futur si nous autorisons l'intrusion de ces yeux insistants dans nos vies personnelles et privées.

Trop souvent on voit surgir le débat dans le sens "sécurité contre vie privée". Le choix est en fait liberté contre contrôle. La tyrannie, qu'elle provienne de la menace physique d'une entité extérieure ou de la surveillance constante de l'autorité locale, est toujours la tyrannie. La liberté, c'est la sécurité sans l'intrusion, la sécurité avec en plus la vie privée. La surveillance omniprésente par la police est la définition même d'un état policier. Et c'est pour cela qu'il faut soutenir le respect de la vie privée même quand on n'a rien à cacher.

A cette occasion, mon collègue Asa Dotzler explique comment faire pour que votre Firefox passe de Google à Bing, alors qu'il explique que la politique de respect de la vie privée est meilleure chez Microsoft que chez Google. Evidemment, ça fait couler de l'encre virtuel

Et vous, qu'en pensez-vous ?

Mises à jour

Mise à jour 1

Quelques articles sont parus sur ce thème dont certains ont des titres franchement racoleurs et faux (non, Mozilla ne recommande pas de passer à Bing. Par contre, un employé de Mozilla — Asa Dotzler — explique comment faire sur sont blog personnel) :

Mise à jour 2

J'ai publié un commentaire à lire en réponse à un lecteur, d'où le tutoiement. Je le recopie ci-dessous :

Le problème qui me rend dingue quand Schmidt lance pareille idée, c'est que toute recherche que tu fais sur Google — si tu as un compte Google — est associée à ton nom.

Et ça c'est super gênant pour des tas de raisons. Quelques exemples :

  • T'es une jeune fille, et tu cherches "avortement" ou "Sida" sur Google suite à un rapport non-protégé (ou une capote qui lâche au mauvais moment) ;
  • T'es adolescent et — bêtement, dans un moment de désœuvrement — tu cherches "comment faire une bombe atomique" ou "rejoindre Al-Qaeda" sur Google ;
  • T'es adolescent dans une ville de province, et tu te poses des questions sur ton orientation sexuelle. Tu cherches "homosexualité" ou "rencontrer des garçons" ou des choses plus... médicales et/ou anatomiques.
  • T'as un coup de mou et tu cherches "comment se suicider"
  • Ton voisin t'énerve, et sur un coup de tête, tu cherches "comment se débarrasser de son voisin discrètement" ou "cyanure", pour finalement aller te changer les idées au cinoche.
  • Tu tombes amoureux d'une jolie fille alors que t'es marié et tu cherches "nuisette coquine" ou "sextoy" ou "hotel louant une chambre pour l'après-midi".

Dans tous ces cas là, tu n'as rien fait d'interdit par la loi. Tu n'as rien publié sur le Web. Tu as juste communiqué à Google tes préoccupations de l'instant. Elles existent dans la mémoire de Google, associées à ton nom. Cela est susceptible d'être communiqué à d'autres personnes. Aux gouvernements qui en font la demande, par exemple. Mais pas seulement. Et voir ces informations révélées est potentiellement dangereux pour toi, à cause du regard des autres.

Ca n'est pas le monde dans lequel j'ai envie de vivre. Ca n'est pas le Web que j'ai envie de construire. C'est pour ça que je réagis si fort publiquement.

Notes

[1] Traduction par mes soins, l'emphase est de mon fait. Les suggestions de correction en vue d'améliorer la traduction sont les bienvenues.