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samedi 24 janvier 2015

Flicage-brouillon - Partie 1 chapitre 8 - loi et vie privée

Comprenant que la vie privée est un besoin fondamental pour être libre, les politiques et les législateurs n’ont eu de cesse que de souligner son importance avant de l’inscrire dans la loi. Voici un rapide tour d’horizon de ces textes, avant de voir comment la vie privée est essentielle pour que le citoyen puisse avoir confiance dans les institutions.

Déclaration Universelle des Droits de l’Homme

En 1948, à la sortie de la 2eme guerre mondiale, l’assemblée générale des Nations Unis adopte un texte sans réelle portée juridique, la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme.

Article 12. : Nul ne sera l’objet d’immixtions arbitraires dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance, ni d’atteintes à son honneur et à sa réputation. Toute personne a droit à la protection de la loi contre de telles immixtions ou de telles atteintes.

La Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés

La Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés, représente un progrès sensible en terme de force du texte, dans la mesure où c’est un traité international signé par les États membres du Conseil de l’Europe. Signée le 4 novembre 1950, elle est entrée en vigueur le 3 septembre 1953.

Article 8 : toute personne a le droit au respect de sa vie privée.

La Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne

Cette charte n’a pas eu au départ de valeur juridique forte. votée en décembre 2000, il aura fallu attendre le traité de Lisbonne en 2007 pour lui donner une valeur juridiquement contraignante dans les 27 états membres de l’Union Européenne.

article 7 : toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de ses communications.

article 8 : toute personne a droit à la protection des données à caractère personnel la concernant. Ces données doivent être traitées loyalement, à des fins déterminées et sur la base du consentement de la personne concernée ou en vertu d’un autre fondement légitime prévu par la loi. Toute personne a le droit d’accéder aux données collectées la concernant et d’en obtenir la rectification.

Les CNIL européennes

Enfin, en décembre 2014, l’ensemble des CNILs européennes (la CNIL française et ses homologues européennes), sous le nom de « groupe de l’article 29 » publiait une déclaration très claire sur la protection de la vie privée : http://www.cnil.fr/linstitution/international/g29/edgf14/

Article 6 : La surveillance secrète, massive et indiscriminée de personnes en Europe (…) n’est pas conforme aux Traités et législation européens. Elle est inacceptable sur le plan éthique.

Article 7 : L’accès à des données à caractère personnel aux fins de sécurité n’est pas acceptable dans une société démocratique dès lors qu’il est massif et sans condition.

Le cas des USA

Aux USA, c’est le 4e amendement de la constitution, annoncé en 1792, qui protège la vie privée. Bien sûr nulle mention de numérique ou de données personnelles dans ce document ! Un peu moins d’un siècle plus tard, en 1890, deux juristes américains publiaient un article fondateur, the Right to Privacy. Mais ce n’est qu’en 1967, avec la jurisprudence Katz v. United Stated, que la notion de vie privée a été évoquée en rapport avec le 4eme amendement.

La confiance du citoyen dans les institutions

Pavel Mayer, membre historique du Parti Pirate allemand, explique mieux que je ne pourrais le faire pourquoi le non-respect de la vie privée est toxique pour la démocratie :

la surveillance a des effets néfastes. Les citoyens croient à la liberté. Lorsqu’ils apprennent qu’ils ont été espionnés, alors ils perdent foi dans la société et dans les politiques. Et bientôt ils risquent d’oublier que les politiques sont élus par les citoyens, et sont au service des citoyens. Mais globalement, les deux sont liés. Avec Snowden, on a compris que quand une société collecte des données sur un individu, ces dernières peuvent être récupérées sans mal par les services secrets.

Cette réflexion est partagée par Daniel Solove, juriste américain et l’un des spécialistes mondiaux de la vie privée, pour qui l’érosion de la vie privée a des conséquences qui ressemblent plus au Procès de Franz Kafka qu’à 1984 de George Orwell. George Orwell, dans 1984, démontre comment une surveillance permanente empêche toute liberté, toute créativité et pousse tout le monde au conformisme dans un genre de prison mentale.

Dans Le Procès, Franz Kafka raconte l’histoire d’un certain « Joseph K » dont la vie est bouleversée par un procès sans que l’accusé ne soit mis au courant du motif pour lequel il est jugé.

Pour Daniel Solove, c’est le manque de transparence de l’utilisation qui est faite de nos données qui pose un problème. Les données affectent les relations de pouvoir entre le citoyen et l’État. Ces relations sont frustrantes pour l’individu car elles créent chez lui un sentiment de totale impuissance et de faiblesse. Par ailleurs, ces relations affectent les relations qu’entretiennent les gens avec les institutions qui prennent des décisions importantes pour eux.

L’approche de Solove, focalisée sur l’État, qui fait la loi et sur l’importance de comprendre ce que l’État décide pour le citoyen, peut être confrontée à celle de Lawrence Lessig. Ce dernier, comme nous le verrons un peu plus tard, considère qu’en cette ère numérique, le code est la nouvelle loi : « le code, c’est la loi » (Code is Law).

Aujourd’hui, ce sont donc les grands acteurs commerciaux qui contrôlent le code et donc nos données qui décident pour nous, utilisateurs, ce que nous avons le droit de faire. Comment puis-je avoir confiance dans les sociétés commerciales qui me fournissent des services, si je ne comprends pas comment elles prennent des décisions me concernant ? Comment vais-je réagir face à Facebook qui cache certains messages de mes amis et m’en montre d’autres sans que je sache pourquoi ? Comment vais-réagir face à une mutuelle d’assurance qui refuse de m’assurer ou augmente ma cotisation parce qu’elle pense que je consomme trop de pizzas, de bières et de café mais pas assez de légumes verts ?

dimanche 25 janvier 2015

Flicage-brouillon - Partie 1 chapitre 9 - Mais, je n'ai rien à cacher !

Je ne peux pas finir cette réflexion sur l’importance de la vie privée sans aborder la réponse trop souvent faite par ceux qui ne comprennent pas les enjeux : « je n’ai rien à cacher ».

Faites ce que je dis, pas ce que je fais

Eric Schmidt, Président de Google affirmait à la télévision américaine CNBC « S’il y a quelque chose que vous voudriez que personne ne sache, peut-être que vous devriez commencer par ne pas la faire ». Dans le même registre, Mark Zuckerberg, PDG de Facebook, déclarait en 2010 : « Les gens ont pris l’habitude non seulement de partager plus d’informations de toutes sortes, mais ils le font de façon plus ouverte et avec plus de gens ». Il ajoutait que la vie privée n’est plus la « norme sociale ».

Pourtant, si tous deux semblent penser que la vie privée ne devrait pas exister, ils protègent farouchement la leur ! Ainsi, le site CNET a révélé des informations sur Schmidt dans un article qui leur a valu d’être mis sur la liste noire du service de presse de Google. Google ne répond donc plus aux questions de CNET. Le plus drôle, c’est que les informations publiées par CNET sur le patron de Google… avaient été obtenues en utilisant le moteur de recherche de Google, en moins de 30 minutes !

Mark Zuckerberg, pour sa part, a acheté une belle maison à Palo Alto, Californie, où l’immobilier est particulièrement cher. Mais pour être sûr de ne pas être dérangé, il s’est aussi offert les quatre maisons adjacentes. Coût total : environ 30 millions de dollars !

Pour rester dans le registre immobilier, on apprend qu’Eric Schmidt vient d’acheter un appartement à New York. Au delà du prix (15 millions de dollars tout de même), Eric Schmidt aurait choisi cet appartement car il dispose d’un ascenseur particulier et que contrairement à tout ce que veulent les new-yorkais, il n’y a pas de concierge qui pourrait voir qui vient pour des rendez-vous galants, qui sont semble-t-il multiples.

Comme le fait très justement remarquer Cory Doctorow à Eric Schmidt :

« Dis, Eric, si tu ne veux pas qu’on sache combien tu gagnes, où tu vis et ce que tu fais de ton temps libre, peut-être faudrait-il ne pas acheter de maison, ni gagner un salaire ni avoir des loisirs ? »

Passons maintenant en revue les quatre raisons pour lesquelles l’affirmation « je n’ai rien à cacher » ne tient pas debout quand on y pense :

On a tous quelque chose à cacher

Nous avons tous des secrets. Pas forcément honteux. On ferme le loquet aux toilettes. On a des rideaux aux fenêtres de la chambre à coucher. On cache son code de carte bleue et son mot de passe d’email. Rares sont ceux qui aimeraient que le monde sache de qui ils étaient amoureux au collège ou au lycée. Je suis fier d’être papa de mes deux enfants, Robin et Philippine, mais je ne souhaite pas rentrer dans les détails quant à leur conception… On a parfois envie de changer de travail sans que son employeur soit au courant. Les raisons sont multiples, et rien de ce que je viens de lister n’est illégal. Pourtant, on a à chaque fois une bonne raison de vouloir le cacher.

Chanter sous la douche

Avez-vous remarqué que l’on chante sous la douche quand on est seul, mais si une personne que l’on connait mal peut nous entendre, cela nous fait souvent taire. Pourquoi ? C’est la peur du ridicule. C’est en substance ce que j’ai décrit dans le chapitre 7 : se sentir surveillé nous pousse à la conformité. Et pourtant, avant de pouvoir se lancer dans une prestation crédible de karaoké avec les collègues ou les amis, il faut avoir passé du temps à chanter mal, pour enfin progresser. Si on se sent surveillé, on s’auto-censure, et on ne commence jamais à chanter. Je prends ici l’exemple de la chansonnette, mais on pourrait étendre la problématique à des choses plus sérieuses, comme l’art en général, l’expérimentation liée à des idées sur des sujets importants comme la politique, ce qu’on a vraiment envie de faire dans la vie ou la créativité en général, qui passe par une longue phase d’essais/erreurs.

Le secret commercial

Le monde des affaires a grand besoin de secret pour tout ce qui concerne les négociations de conditions commerciales ou les secrets de fabrication. Même si la NSA prétend agir contre le terrorisme, un fléau qu’il faut combattre, il apparaît qu’elle joue un rôle très important dans l’espionnage économique. En fait, il apparaît que dans le programme BLARNEY de la NSA, celle-ci a trois objectifs :

  • la lutte contre le terrorisme
  • faciliter les négociations diplomatiques
  • l’espionnage économique.

Dans les documents de Snowden sur le programme BLARNEY, parmi les « clients » de la NSA figurent en bonne place les ministères américains de l’agriculture, des finances et du commerce, qui n’ont rien à voir avec la lutte contre le terrorisme.

De ce fait, toute société faisant du commerce a des choses à cacher (des tarifs, des méthodes de fabrication, sa liste de clients…), choses qui sont susceptibles d’intéresser des concurrents et/ou des services secrets de pays étrangers.

Les lois peuvent changer

Ce point est le plus difficile à accepter, car c’est celui qui évoque les perspectives les plus sombres, perspectives qu’on voudrait tous croire impensables. Les lois, sous l’impulsion de politiques, peuvent changer du tout au tout.

Un exemple : en 1938, les Juifs n’avaient rien à se reprocher. On connaît la suite.

Oh, bien sûr, j’espère de tout cœur que l’on ne reverra jamais de telles horreurs. Mais j’écris fin janvier 2015, quelques jours après les attentats de Charlie Hebdo et d’Hyper-Casher. L’émotion de la population, combinée au besoin des politiques de donner l’impression d’agir face à l’innommable, pousse déjà toute la classe politique, de gauche comme de droite à invoquer des lois d’exception. Plusieurs lieux de cultes musulmans sont attaqués. Les élections présidentielles de 2017 verront-elles le candidat élu passer des lois islamophobes ? Je l’ignore et j’espère que non, mais ça n’est pas totalement exclu…

Conclusion

On le voit, même si l’argument « je n’ai rien à cacher » peut sembler plein de bon sens au premier abord, il ne résiste pas à la réflexion. Il appartient à chaque défenseur des libertés et donc de la vie privée de savoir répondre à cet argument.

mardi 27 janvier 2015

Flicage-brouillon - Partie 2 chapitre 10 - Contrôler pour ne pas être contrôlé

Comme nous l’avons vu depuis le début de cet ouvrage, la situation en termes de contrôle de la vie privée n’est guère rassurante. Nos données sont collectées par des grands services souvent américains, par notre équipement, du PC au smartphone, avec de nouveaux capteurs comme les trackeurs d’activité physique. « L’internet des objets », composé par les nouveaux objets dits intelligents, du détecteur de fumée aux thermostats intelligents, ne va faire qu’enfoncer le clou.

Par ailleurs, les services secrets de certains pays peuvent se brancher directement sur notre équipement ou vont plus simplement espionner les grands services qui savent tout de nous. Même si le respect de la vie privée est inscrit dans la loi, chacun peut constater que la notion s’érode, sous les coups de boutoir des réseaux sociaux d’un côté et de la volonté des politiques et des services de renseignements de contrôler Internet.

Pourtant, nous sommes chaque jour un peu plus dépendants de l’informatique. Aussi, la question n’est pas d’arrêter de se servir de l’informatique mais de comprendre comment elle fonctionne de façon à savoir comment la contrôler et surtout contrôler l’usage qui est fait de nos données. Car c’est bien là l’enjeu du futur : contrôler l’outil informatique pour éviter qu’il ne nous contrôle ou permette à d’autres de nous contrôler.

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