Il y a plusieurs mois, Mitch Kapor disait que le projet Mozilla générait "plusieurs dizaines de millions de dollars". Ce sujet a été discuté ouvertement au sein du projet (avant même que le projet ne génère le moindre dollar). Récemment, certains se sont mis à gloser sur le sujet. En substance, à les écouter, on croirait que Mozilla serait milliardaire, en aurait honte et chercherait à arnaquer les contributeurs dans une vaste conspiration (et si les francs-maçons et la scientologie étaient dans le coup ?). La vérité est toute autre et je vais essayer de faire la lumière sur ce sujet. Oui, le projet Mozilla génère plusieurs millions de dollars, et c'est une bonne chose. Pour le reste, c'est du grand n'importe quoi, généré et déformé par l'ignorance de certains et amplifié par ceux qui se sentent menacés par le modèle de développement Libre (suivez mon regard).

Je vais tâcher de faire le tour de ce sujet complexe sous la forme de questions / réponses que vous trouverez ci-dessous. A l'occasion, je pense faire évoluer cet article au fil de l'eau, quand de nouvelles questions me viendront à l'esprit.

Mozilla ne communique pas sur ses revenus

Le fait est que dès le jour de la sortie de Firefox 1.0 (le 8 novembre 2004), Mitchell Baker a mentionné des partenariats avec des acteurs commerciaux.

Par la suite, Mitch Kapor (au board de Mozilla Foundation) a donné un chiffre inexact de plusieurs dizaines de millions de dollars.

Chris Blizzard, lui aussi membre du board et contributeur Mozilla de longue date, a longuement expliqué que les revenus étaient une bonne nouvelle, et ce dès le mois de mars.

Parallèlement, Mozilla Foundation a des obligations légales en terme de transparence financière et s'y conforme (les documents sont disponibles en ligne).

Enfin, il y a une raison toute simple pour ne pas donner les chiffres exacts des revenus : nos partenaires nous demandent de ne pas communiquer dessus, car ils considèrent cette information comme étant stratégique. C'est la réponse que j'ai donné à Jérôme Bouteiller, qui a tenu à titrer Mozilla mal à l'aise avec les millions de dollars générés par Firefox. Pour ma part, je n'ai pas perçu de malaise, mais Jérôme a probablement une bonne raison de titrer ainsi...

Mozilla est-il devenu un projet commercial ?

C'est un sujet que j'ai abordé par le passé. La réponse courte est "non". Pour la réponse longue, je vous encourage à lire A propos de Mozilla Corporation. Pour ceux qui lisent l'anglais, je recommande aussi mon billet en anglais : Mozilla Foundation reorganization et la FAQ.

Mozilla est-il le prochain Jboss qui va se vendre des centaines de millions de dollars à un acteur commercial ?

Mozilla Foundation est un organisme de type "for the public benefit / not for profit". Autrement dit, tout l'argent gagné doit être investit pour le bien du public et non pas distribué à des actionnaires.

Mozilla Corporation est une filiale à 100% de Mozilla Foundation. Autrement dit, elle n'a pas d'autre actionnaire que Mozilla Foundation, et les deux organismes ont des intérêts et des objectifs alignés (ils partagent la même mission).

Comment rétribuer les contributeurs ?

Tous les gros contributeurs (comprendre "à temps plein"), à ma connaissance, sont rémunérés, soit par Mozilla directement, soit par les sociétés qui participent au projet Mozilla (dont IBM, Novell, Red Hat, Google...). Il y a bien sûr d'autres contributeurs qui sont très importants pour la qualité du projet et sa localisation. Ceux là sont des bénévoles, qui participent au projet pour des raisons qui leurs sont propres, et certainement pas pour l'argent. Pour autant, puisque le projet Mozilla génère plus de revenus qu'initialement prévu, comment peut-on redistribuer les richesses ? A cet effet, une personne a été embauchée début juillet pour organiser ce processus et le documenter. Je vous invité à vous reporter au blog de Seth Bindernagel, qui mène les efforts envers la communauté Mozilla. Ces efforts sont publics, la démarche est transparente (le blog de Seth en est la preuve éclatante), et peut-être que cela mériterait plus de visibilité ? Je ne le pense pas. Je ne crois pas qu'il soit nécessaire de faire un communiqué de presse à chaque fois qu'un contributeur se voit proposer une machine de test, aussi puissante soit-elle, ou qu'il voyage tous frais payés pour se rendre à une réunion.

Mozilla n'est-il pas en train de vendre son ame au diable ?

Non, bien sûr. Ca n'est pas parce que le projet Mozilla génère du revenu qu'on vend notre ame au diable. Il faut re-situer le débat : pour Mozilla, l'argent est un moyen, pas une fin. Je suis bien conscient que c'est une approche très différente de celle d'une entreprise, et que nombreux sont ceux qui ont le modèle "entreprise" en tête, ce qui modèle leur raisonnement quant à Mozilla. C'est probablement pour cette raison qu'il y a tant d'incompréhension autour des revenus de Mozilla.

Mozilla est à but non-lucratif, qu'il s'agisse de Mozilla Europe et de Mozilla Foundation. Non lucratif, ça ne signifie pas qu'il ne faut pas gagner d'argent, mais que s'il est gagné, il ne doit pas servir à enrichir l'actionnaire (et c'est bien pour ça que des actionnaires, on en a pas :-).

Pour mieux comprendre comment sont prises les décisions relatives à l'argent dans le projet Mozilla, je vous encourage à lire les trois lois de Mozilla, publiées par un blogueur suite à une discussion avec mon collègue Chris Beard.

Mozilla n'est-il pas trop sous la coupe de Google ?

C'est un sujet que j'ai eu l'occasion d'aborder très largement par le passé, dans une suite de billets parus début 2006, intitulés Firefox, les standards et l'avenir du Web (en 5 parties) :

  1. Introduction
  2. L'importance des parts de marché
  3. L'historique de la relation avec Google
  4. Le soutien des partenaires
  5. L'indépendance du projet Mozilla

Le logiciel Libre est-il une "hypocrisie" ?

"Arrêtons l'hypocrisie autour du logiciel libre et créons de belles boites, qui créent de vrais emplois et payent de vrais impôts.", écrit le journaliste Jérôme Bouteiller, qui démontre par la même qu'il mesure l'efficacité d'un effort à but non-lucratif comme s'il s'agissait d'une start-up.

Il y a là un vrai malentendu sur la notion de création de valeur. Créer une boite qui génère des emplois et paye des impôts, est une des façons de créer de la valeur. Mais ça n'est pas la seule. Quand Mozilla crée du logiciel Libre qui est utilisé par des dizaines de millions de gens, ça crée aussi de la valeur. Bien sûr, cette valeur est intrinsèque, et elle n'est économique qu'à la marge, mais elle est pourtant réelle. Justement, IBM vient de publier dans un article récent les raisons qui la poussent à investir dans Mozilla et l'accessibilité. Comme l'explique très bien Cédric Ingrand (journaliste salarié à LCI, qui n'est pourtant pas un nid de doux rêveurs), "Quand IBM installe du Linux (NdT ou investit dans Mozilla) à tour de bras, ce n'est pas de la philanthropie, ils ne signent pas leurs contrats le poing levé et en criant "fight the power", mais en costard bleu nuit, avec des chemises blanches."

Accessoirement, la Mozilla Corporation a été créée justement pour payer des impôts sur les revenus générés par les partenariats, ce dont est dispensée Mozilla Foundation, et embaucher des développeurs... Souvenons-nous qu'en juillet 2003, lors de la création de la Mozilla Foundation, il n'y avait que 10 employés. Aujourd'hui, il y en a 70, et il est prévu de croître encore, me disait Mike Schroepfer (VP Engineering, Mozilla) la semaine dernière. Donc oui, Mozilla génère des emplois, directement et indirectement. Sans Mozilla, il n'y aurait pas de Disruptive Innovations, ni des boites comme AllPeers, et des dizaines d'autres. Bien sûr, c'est moins que l'écosysteme Microsoft. Certes. Mais on en peut demander à une organisation de 3 ans et 70 employés de rivaliser avec un Microsoft (31 ans cette année) et 71.000 employés.

Où passe l'argent de Mozilla une fois que les ingénieurs, l'infrastructure et les frais ont été payés ?

C'est un sujet que j'ai longuement abordé dans un billet en anglais, Purpose-driven software development. Je faisais entre autre référence à un billet de Mitchell Baker, qui explique qu'un "fond de réserve" est en cours de constitution, de façon à préserver l'indépendance du projet Mozilla. Je traduis ici un extrait :

Nous avons utilisé l'argent généré par les fournisseurs de recherche exclusivement pour construire le projet Mozilla. Nous avons embauché des gens. Nous avons construit une infrastructure plus robuste. (On pourrait penser que ça n'est pas si important, mais la charge serveur en terme de mise à jour et d'extensions est significative). Nous avons maintenant un "fond de réserve" que je considère comme extrêmement important. Avoir de l'argent de coté nous rend crédibles lorsqu'on explique à nos partenaires que nous sommes prêts à refuser de l'argent si cela ne bénéficie pas à l'utilisateur. Nous l'avons toujours dit, et nous l'avons toujours pensé. Et moi, je l'ai toujours dit, et je l'ai toujours pensé. On passe souvent pour un naïf quand on dit une chose pareille, surtout face à une grande entreprise commerciale. Nos interlocuteurs comprennent mieux la portée de ce que je dis quand nous avons un fond de réserve qui nous permet de continuer à fonctionner que leur partenariat nous intéresse ou pas.

Ils en parlent :

Mise à jour a posteriori