Windows Vista sort la semaine prochaine, et la machine de marketing et relations presse de Microsoft tourne déjà à plein régime. Pourquoi en parler alors que toute la presse attend le 31 janvier pour se déchaîner sur le sujet ?

C'est en lisant un article de CNet relativement impartial à propos de Windows Vista que je me suis dit qu'un décodage ne serait pas de trop[1]. Commençons par la conclusion de l'article de CNet :

Windows Vista est essentiellement un Windows XP réchauffé. Si vous êtes actuellement satisfait de Windows XP SP2, nous ne voyons pas de véritable raison de sauter le pas. D'un autre coté, si vous avez besoin dès maintenant d'un ordinateur, Windows Vista est assez stable pour une utilisation quotidienne.

Cela m'inspire plusieurs réflexions, non pas sur ce qui est dit (je suis d'accord) mais plutôt sur ce qui n'est pas dit :

L'interface utilisateur et les nouvelles fonctionnalités

CNet passe un peu vite sur quelque chose qui me touche moi, en tant que geek : l'innovation en terme d'interface utilisateur. Les utilisateurs de Mac OS X resteront sur leur faim, mais ceux qui en sont restés à Windows XP vont probablement baver d'envie, avec des effets graphiques très sympathiques, l'inclusion de la recherche locale, les widgets et l'affichage des images dans l'explorateur[2]. Ce n'est pas rien, parce que l'utilisation de Windows au fil du temps avait perdu tout intérêt, toute excitation pour les utilisateurs avancés. L'innovation, la nouveauté, la découverte, tout ce qui excite les utilisateurs avancés, tout cela a complètement disparu pendant presque 6 ans. Du coup, Windows de plus en plus perçu comme dépassé par les geeks, ce qui ne l'empêchait pas de fonctionner correctement, d'être stable et de servir sa fonction première, c'est à dire de permettre à des applications tierces de tourner. Mais coté sexy, c'était le zéro pointé. Chez Microsoft, et je m'en réjouis, on doit applaudir des deux mains la sortie de Vista, principalement pour cette raison. Moi même, j'ai envie de jouer avec Vista, exactement pour cette raison.

La sécurité de la machine et de l'utilisateur

On oublie aussi de parler de sécurité, point essentiel s'il en est. Vista apporte enfin la possibilité effective[3] d'utiliser la machine sans être logué en tant qu'administrateur. C'est un progrès énorme[4]. Il faut noter aussi les progrès faits par Internet Explorer 7[5]. On se souviendra des progrès apportés par le Service Pack 2 d'XP, qu'on va retrouver aussi dans Vista, avec des améliorations. Il faut savoir que l'immense majorité des menaces de sécurité sur Internet reposent sur des bataillons de machines Windows zombifiées, dont le manque de sécurité intrinsèque a permis à des pirates mus par l'appât du gain d'en prendre le contrôle pour spammer et faire du DDOS. De là à dire que Microsoft a une grande responsabilité dans la mauvaise santé de certains aspects du Net, il y a un pas que je suis bien obligé de franchir.[6]

Les DRM et mesures de protection du contenu

CNet oublie aussi un point qui me paraît essentiel, même si à l'inverse des améliorations graphiques, il est totalement invisible : c'est le fait que plus que jamais, l'utilisateur ne contrôle plus son ordinateur. Oui, dit comme ça, ça sonne comme le cri de guerre d'un anti-Microsoft primaire, et je le regrette. Le fait est que, dans le conflit d'intérêt qui oppose les consommateurs à l'industrie de la musique et du film, Microsoft a joué la carte de l'industrie à 100%, aux dépends de ses utilisateurs, c'est à dire de ses clients. Autrement dit, tout est fait, et ce au plus profond du système, pour brider toute tentative de l'utilisateur de faire quelque chose qui déplairait aux majors du disque et du film. Windows XP et Windows Media Player avaient déjà mis du DRM partout, mais après tout, on n'était pas obligé de se servir de ce dernier : on pouvait y trouver des alternatives, dont iTunes (avec du DRM aussi, mais bien plus laxiste), ou des logiciels Libres (VLC) ou du freeware (WinAmp ou Media Player Classic), qui ne sont pas encombrés de DRM. Avec Vista, ces problèmes prennent une toute autre dimension, compte tenu de la multiplication des mesures destinées à contrôler toute la chaîne numérique, du lecteur de DVD-HD ou BlueRay jusqu'à l'écran HD, avec chiffrement de tout cela, associé à la certification des équipements et des pilotes logiciels : il vout faudra, pour lire un DVD-HD, un lecteur certifié, avec pilote certifié, chiffrement du flux de données, carte vidéo certifiée, pilote certifié, cordon HDMI anti-piratage et écran HD bridé par HDMI[7]. En tant qu'informaticien, utilisateur et citoyen soucieux de mes libertés et de ma vie privée[8], je suis plus que préoccupé par la direction prise par Microsoft.

Une conclusion superficielle, prétendument pragmatique

Alors, que faut-il penser de Windows Vista ? On pourrait s'arrêter à la conclusion de CNet et affirmer que c'est une mise à jour bienvenue de Windows, et qu'elle va remplir son contrat, de façon plus moderne et plus sexy que l'antique Windows XP, d'autant que dans quelques mois, on n'aura plus le choix : en renouvelant son matériel, on va se retrouver sans choix possible à utiliser Vista, qui sera livré avec la nouvelle machine.

Une conclusion qui voit plus loin que "oh, c'est joli et ça marche"

J'espère que le lecteur du Standblog, probablement plus préoccupé par les enjeux de l'informatique que l'utilisateur lambda, saura voir plus loin. En l'occurrence, voir plus loin c'est savoir prendre du recul. Comprendre que le PC, c'est bien plus qu'un mange-disque numérique, ou une machine à écrire perfectionnée. L'ordinateur personnel, c'est vraiment, plus que jamais, une extension numérique de soi. Le plus important dans "ordinateur personnel", c'est cet aspect personnel. C'est ce qui me permet de communiquer avec mes proches, accéder à la culture numérique, que ce soit en ligne (Wikipedia) ou pas (CD pour la musique, TV-HD pour des films). C'est ce qui me permet d'exister dans le monde numérique en tant qu'humain, en interagissant avec mes semblables, en ressentant l'émotion provoquée par une oeuvre d'art numérique, en accédant au savoir en ligne, en produisant moi-même du contenu numérique en tant que blogueur, photographe amateur, et créateur de liens avec mes amis.

Et ce que je décris ici n'est qu'un minuscule début ! Tout reste encore à inventer, et c'est pour ça que l'innovation est essentielle. Mais elle ne doit pas se faire aux dépends de nos libertés à tous. De plus, elle ne peut pas se faire dans un espace bridé et contrôlé par une seule entité, que ce soit une multinationale ou un état. On ne peut pas accepter que ce futur que l'on construit porte la marque d'un 1984 numérique. Bien sûr, nous en sommes loin, mais on en prend la direction : toujours plus de contrôle par la technologie de ce qu'on a le "droit" de faire, d'écouter, de regarder, d'utiliser.

Microsoft, n'a pas su se souvenir que l'utilisateur était un client, le client, a préféré se soumettre aux intérêt de l'industrie du loisir numérique. Microsoft a fait un choix dangereux, autant pour nos libertés de citoyens que pour son chiffre d'affaires : il n'est jamais bon pour une entreprise d'oublier qui, au final, consomme son produit. Pour l'utilisateur, il faudra se souvenir qu'il n'est jamais bon de donner à une seule entreprise un tel pouvoir (en l'occurrence un monopole[9]) qui fait qu'elle peut ignorer les besoins de ses clients.

Microsoft ayant oublié qui sont les clients, on pourrait croire que ces derniers vont se rebeller. Rien n'est moins sûr. Bien sûr, on peut dire qu'on refuse d'acheter le nouveau Windows Vista, de toute façon très cher. Mais quand on va renouveler son matériel, on n'aura plus le choix. Ou plutôt, on aura le choix entre les 6 versions différentes de Vista ! Il sera bien sûr possible de passer a Mac OS X ou à Linux, mais force est de constater que l'inertie des utilisateurs aidant, Microsoft a de beaux jours devant lui.

Un choix cornélien

En substance, on est en train de voir l'utilisateur, et donc le marché, choisir entre :

  1. la simplicité instantanée (accepter Vista), qui va de pair avec le renoncement au contrôle de sa machine et donc de son avenir numérique ;
  2. le passage à un autre système d'exploitation (OS X[10], Linux ?), avec toute la crainte (partiellement justifiée) de perdre en productivité pendant quelque temps. Mais il s'agit ici plus d'un investissement que d'une perte, car on gagne sur le long terme.

On va donc choisir entre la liberté et le confort. Lors de cette décision, il faudra se souvenir que le confort n'a de sens et d'avenir que dans la Liberté.

Mise à jour : L'article vous à plus ? Faites-le passer sur Fuzz.fr en cliquant sur Voter sur cette page. Merci.

Notes

[1] Conflit potentiel d'intérêts : j'écris ce billet en tant qu'observateur de Microsoft et utilisateur de ses produits depuis plus de 20 ans. Il se trouve que l'organisation pour laquelle je travaille, Mozilla, est concurrente de Microsoft dans le domaine des navigateurs Web et des clients de messagerie, qui ne sont quasiment pas abordés ici. J'ai tenté d'être aussi neutre que possible, mais quoi qu'il en soit, je tiens à préciser que ce qu'on lit ici sont mes propos et n'engagent le projet Mozilla d'aucune façon. Profitons de cette note de bas de page que personne ne lira pour remercier mes gentils relecteurs/relectrices ! ;-)

[2] Tout cela est déjà présent dans OS X depuis longtemps sous les noms de Dashboard, Spotlight, Exposé et autres noms exotiques, mais je parle bien ici des utilisateurs sous Windows XP, qui date quand même de ... 2001 ! (Non, ça ne nous rajeunit pas !). Les utilisateurs de Linux pourront toujours rétorquer que XGL, Metisse et Beagle font aussi bien, voire mieux, et je me garderai bien d'entrer dans ce débat...

[3] Oui, XP était censé faire ça, mais c'était tout simplement utopique, à moins d'être dans une configuration d'entreprise, avec une tierce personne pour administrer le PC.

[4] Pour ceux qui ne comprennent pas ce que cela représente, un petit rappel : avec Vista, comme sous Linux et Mac OS X, l'utilisateur a l'essentiel du temps des droits réduits sur sa machine. Ainsi, en cas de contamination par un virus, ou en cas de mauvaise manipulation, les dégâts sont limités. A la demande et quand c'est nécessaire, l'utilisateur peut redevenir temporairement administrateur de sa machine, par exemple le temps d'installer une nouvelle application. Cette séparation entre tâches d'administrations (rares) et utilisation ordinaire est un des principes de base de la sécurité, en place dans Unix et Linux depuis toujours.

[5] Si j'en crois les promesses faites par l'équipe. L'opacité du processus de Redmond ne permet pas de se faire une idée juste de la chose, mais on peut raisonnablement parier qu'IE7 est plus sécurisé qu'IE6 ! ;-)

[6] Les spammeurs et autres pirates savent bien qu'ils vont se faire repérer s'ils utilisent leurs propres machines pour leurs activités. Pour éviter cela, ils se débrouillent pour prendre le contrôle à distance de millions de machines sous Windows qui sont mal protégées (mises à jour de sécurité non appliquées, absence de pare-feu et d'anti-virus...). Ces machines sont appelées des zombies. A la demande, il est possible de réveiller ces zombies et de leur faire faire ce qu'on veut d'illégal (envoyer des courriers indésirables, attaquer tous ensemble un serveur dont le contenu est gênant, héberger du contenu pédophile ou des vidéos piratées, etc.). Il existe un marché maffieux en ligne où la prise de contrôle des PC zombifiés est vendue par certains pirates à qui veut, moyennant espèces sonnantes et trébuchantes. Si Windows était mieux sécurisé, si les utilisateurs étaient mieux éduqués et s'ils prenaient les précautions qui s'imposent pour éviter la zombification de leur machine, alors Internet serait bien plus sécurisé, plus rapide, et moins dangereux. On notera les efforts, certes tardifs, de Microsoft dans ce domaine, avec une éducation des utilisateurs et la mise en place de fonctionnalités de sécurité dans le Service Pack 2 de Windows XP (centre de sécurité, meilleur pare-feu, intégration des anti-virus tiers, etc.).

[7] Pour plus d'information sur le sujet, j'invite le lecteur à se reporter à un excellent papier, Analyse du coût de la protection de contenu de Windows Vista, très documenté, qui a fait le tour du monde, et qui est même disponible en français !

[8] Je pense en particulier au droit à la copie privée, au droit de lire les oeuvres comme bon me semble, avec l'équipement de mon choix, le droit à acheter le matériel que je veux et le droit d'utiliser les logiciels de mon choix, le droit de changer de carte-mère ou de faire évoluer mon matériel sans avoir à me plier au diktat d'une entreprise, qu'elle soit française ou américaine.

[9] Qu'on ne se méprenne pas. Si je parle de Microsoft avec des mots si durs, ça n'est pas parce que je déteste Microsoft : je ne déteste pas cette entreprise (voir à ce sujet mon billet Faut-il être pour ou contre Microsoft ?). Par contre, et c'est là l'origine de ma démarche, je déteste la situation de monopole, qui ôte le pouvoir aux consommateurs de choisir, et les DRM, qui sont néfastes aux libertés des citoyens.

[10] Oui, il y a des DRM sur le Mac, mais dans iTunes, pas dans le système d'exploitation lui-même. A l'inverse, il n'y a pas de DRM sous Linux, mais on est bridé dans l'utilisation de formats propriétaires et l'accès à certains contenus, justement à cause de cette absence de DRM. Il est à noter qu'il n'est pas exclu que cela touche le Mac aussi.