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mardi 5 octobre 2021

Facebook, le cauchemar

J’étais ce matin l’invité de la matinale de France Culture pour parler de la panne géante qui a fait que Facebook, WhatsApp, Instagram et Messenger ont tous disparu des écrans, impactant aussi les sites tiers utilisant Facebook Connect pour authentifier leurs utilisateurs. Au delà de cette panne incroyable tant en terme de personnes potentiellement concernées (3,5 milliards d’internautes !) et en terme de durée (7 heures !)[1], on en profitera pour réaliser à quel point on a mis de pouvoir dans les mains de quelques uns, ce qui est d’autant plus grave quand les dirigeants de ces entreprises font preuve d’un sens moral défaillant.

En effet, les scandales Facebook s’enchaînent et se ressemblent.

Ainsi, j’ai voulu imprimer l’article Wikipedia “Criticism of Facebook” qui recense les innombrables scandales, mais j’ai reculé devant le volume : 45 pages format A4 !

C’est un véritable dossier qui nous rappelle à quel point il est fou de confier nos données personnelles, nos interactions sociales et notre accès aux informations à des gens avec aussi peu de scrupules et autant de casseroles aux fesses. L’article va de la fraude fiscale au génocide des Rohingyas en Birmanie (Source PDF), en passant par les expériences psychologiques à grande échelle sur les utilisateurs et à leur insu (Source), la discriminations envers les minorités raciales et les handicapés (Source), le financement d’organisations néo-nazi (Source).

Une longue enquête du Wall Street Journal, avec l’aide de la lanceuse d’alerte Frances Haugen (voir ci-dessous), démontre par exemple que Facebook sait depuis longtemps que sa filiale Instagram est toxique pour les ados : “13,5 % des adolescentes concernées affirment qu’Instagram augmentent leurs envies de suicide, 17 % des adolescentes interrogées affirment qu’Instagram fait empirer leurs problème d’anorexie”. Mais la direction continue de faire comme si de rien n’était au dépend de la souffrance de ces jeunes.

On se rassurera en se disant que pendant les 7 heures où les services étaient “down”, Facebook, Instagram auront cessé de diffuser des fake news et de pomper nos données personnelles ;-)

Pour ma part, j’ai fermé mes comptes Facebook et Instagram, remplacé WhatsApp par Signal. Je vous encourage à faire de même dans la mesure de vos possibilités et à tenir Facebook à l’oeil : le numérique est bien trop important dans nos vies pour le laisser dans les mains de gens tous puissants qui n’ont pas de scrupules.

Quelques liens qui expliquent la situation de Facebook :

Les Facebook Files, un dossier du Wall Street Journal, qui après 18 mois d’enquête, lance quelques pavés massifs dans la mare. Jugez plutôt :

Note

[1] Le plus drôle (ou tragique ?) c’est que les badgeuses du campus de Facebook ne fonctionnaient plus, et les accès distants non plus, gênant les responsables dans leurs tentatives de résoudre la panne !

mardi 22 juin 2021

Vote électronique, la fausse bonne idée

Comme à chaque élection, en particulier lorsque l’abstention est forte comme dimanche dernier, l’idée du vote électronique refait surface, comme si ça allait être la solution miracle pour remobiliser les citoyens[1]. Il n’y a aucun doute que leur simplifier la vie peut aider, et pourtant, je pense que le vote électronique n’est pas une bonne idée (ce que j’ai cru à une époque).

J’ai fait une brève apparition sur BFM Business pour en parler :

Tristan Nitot à la télévision

émission le débriefing de Tech&Co de BFM Business

Pourquoi est-ce une fausse bonne idée ?

Repartons des grands principes du vote par exemple pour l’élection présidentielle en France :

  1. Le vote doit être secret (pour éviter la coercition, que quelqu’un torde le bras à l’électeur pour voter dans une direction bien précise)
  2. Le citoyen doit avoir confiance dans le fait que son bulletin est correctement comptabilisé une fois et une seule fois (pour lui et tous les autres votants)

Autre chose ?

Bien sûr, on peut avoir envie d’un décompte plus rapide, moins coûteux en effort, ne nécessitant pas un déplacement du citoyen pour voter. Mais ce sont des objectifs secondaires, et ils ne doivent pas compromettre les deux grands principes que sont le secret et la confiance.

En fait, il y a vraiment deux problèmes qu’on peut essayer d’adresser en numérisant le vote :

  1. La rapidité du décomptage des voix
  2. Le vote à distance

Ce sont deux problèmes très différents, nous allons donc les séparer et nous focaliser sur le vote électronique à distance.

Le vote papier

Pour résoudre le problème en tenant des deux grands principes, on a mis en place en France le processus suivant :

  1. Le citoyen est listé sur une liste électorale (et une seule, normalement)
  2. Il s’identifie avec une pièce d’identité
  3. Il prend plusieurs bulletins de vote et une enveloppe
  4. Il va s’isoler (seul, donc) dans un isoloir, met un seul bulletin dans l’enveloppe qu’il referme, avant de jeter les autres bulletins dans une corbeille à la sortie de l’isoloir[2]
  5. Il met l’enveloppe fermée dans une urne transparente
  6. Il signe la liste
  7. On lui propose de venir dépouiller les bulletins de vote (la plupart des gens refusent, mais je vous encourage à le faire au moins une fois, c’est très instructif et moins barbant qu’on pourrait le croire).

Ce qui est intéressant dans ce processus qui peut sembler très compliqué pour finalement un truc simple, c’est qu’on s’assure de l’identité de la personne (étapes 1 et 2) et qu’il ne vote qu’une seule fois. En prenant plusieurs bulletins (n’en prendre qu’un n’est pas autorisé) et une enveloppe, en le faisant passer dans un isoloir, en lui permettant de jeter les bulletins non utilisés (étapes 3 et 4), on s’assure que son choix est secret et non contraint.

L’urne transparente (étape 5) permet de rassurer l’électeur que son bulletin va rejoindre les autres, et qu’il n’y a pas de double fond ou d’embrouille de ce genre, ou de bulletin déjà mis dedans en début de scrutin.

En le faisant signer en face de son nom dans le registre (étape 6), on s’assure qu’il ne viendra pas voter plusieurs fois (sauf erreur ou malversation, il ne figure que sur une seule liste)

L’étape 7, au dela de permettre de trouver de la main d’œuvre pour le dépouillement, permet de s’impliquer et de vérifier que le décompte des voix n’est pas truqué.

Et coté numérique, à distance ?

  • On ne peut pas s’assurer que c’est bien la bonne personne qui vote (quelqu’un qui aurait votre mot de passe ou aurait enregistré son empreinte digitale ou son visage dans votre téléphone par le passé) ;
  • On ne peut pas s’assurer que vous ne subissez pas de pression pour voter dans un sens ou un autre ;
  • On ne peut pas facilement s’assurer que votre terminal n’est pas victime d’une cyber-attaque qui permettrait la modification de votre vote ;
  • Le citoyen n’a pas de moyen de valider que son vote est bien pris en compte (et si quelqu’un a piraté le serveur et fait pencher la balance d’un coté de façon artificielle ?) ;
  • Il n’est pas techniquement trivial d’empêcher le logiciel serveur de faire le lien entre une personne et son vote (auquel cas le vote ne serait plus secret) tout en permettant la traçabilité ;

Bref, c’est possible de voter à distance de façon électronique, mais on perd beaucoup en confiance et en secret.

Alors c’est foutu ?

En fait, comme vous le constatez, le problème est considérablement plus complexe qu’on ne le pense au premier abord. Néanmoins, des chercheurs en informatique et cryptologie se penchent sur ce sujet depuis plusieurs décennies, et les progrès sont intéressants.

Mon ancien collègue mozillien Ben Adida fait partie de ces chercheurs. Il participe à deux projets en ce sens : Helios Voting (vote électronique à distance) et VotingWorks (vote électronique dans un bureau de vote avec trace papier). Un autre projet fait par le CNRS et INRIA, appelé Belenios, vise comme Helios à permettre le vote électronique à distance.

Mais la FAQ de Belenios est formelle :

aucun des systèmes de vote existants n’offre le même niveau de garantie de sécurité que le vote traditionnel sur papier

A notre avis, aucun des systèmes de vote existants n’offre le même niveau de garantie de sécurité que le vote traditionnel sur papier (tel qu’il est organisé en France par exemple). En effet, les élections à fort enjeu nécessitent des systèmes qui assurent simultanément le secret du vote, la résistance à la coercition et la vérifiabilité, sans avoir à faire confiance aux autorités organisatrices ou au prestataire qui gère l’élection. En outre, un système de vote devrait également protéger contre la corruption de l’ordinateur des électeurs : même si l’ordinateur l’électeur est compromis (par un logiciel malveillant par exemple), il ne devrait toujours pas être possible de changer le vote choisi par l’électeur ni même de divulguer son vote.

Helios dit la même chose dans sa FAQ :

Online elections are appropriate when one does not expect a large attempt at defrauding or coercing voters. For some elections, notably US Federal and State elections, the stakes are too high, and we recommend against capturing votes over the Internet. This has nothing to do with Helios itself: we just don’t trust that people’s home computers are secure enough to withstand significant attacks.

Pourtant, le recours à du logiciel au code ouvert, donc auditable comme Helios et Belenios et à des méthodes cryptographiques avancées permet de résoudre une partie du problème (par exemple chiffrer le vote dans le navigateur, en espérant qu’il n’ai pas été corrompu). On se rapproche d’une solution, mais on n’y est pas encore.

Voilà donc pourquoi je ne pense pas que le vote électronique soit possible actuellement, si on veut protéger les deux principes démocratique que sont le secret du vote et la confiance que peut avoir le citoyen par sa capacité à auditer le processus.

d’autre sources qui complètent le propos

Notes

[1] Voir la conclusion de l’article de Numérama en fin d’article.

[2] Alors là, je fais très attention à ce que l’autocorrect ne corrige pas isoloir en urinoir !

lundi 26 avril 2021

Le Bitcoin est-il écolo ?

Empreintes annuelles du Bitcoin, avr. 2021

Voilà deux questions que je me posais depuis quelque temps : quelle est la consommation d’énergie électrique de la fameuse cryptomonnaie bitcoin ?[1] Cette dernière est-il écolo ?

La réponse apportée est un NON retentissant, et voici la preuve en quelques chiffres :

  • 48 millions de tonnes de CO2 émis par an, comparable aux émissions de la Norvège ;
  • Plus de 100 TeraWatts heure, comparable à la consommation électrique annuelle du Kazakhstan ;
  • Plus de 11 000 tonnes de déchets électronique soit autant que le Luxembourg chaque année.

Et quelle est l’empreinte d‘une seule transaction Bitcoin ?

  • 445 kg de CO2, soit près d’un million de transactions VISA, ou 74 000 heures de Youtube ;
  • 937 kWh d’électricité, soit 2,4 mois d’électricité d’un foyer français ;
    • autrement dit, 5 transactions Bitcoin sont égales à la consommation en électricité d’un foyer français en un an ;
  • Plus de 100 g de déchets électroniques. PAR TRANSACTION !

On peut se demander comment se compare l’Ethereum. C’est 12 fois moins, mais c’est encore énorme.[2]

Bref, la prochaine fois qu’un geek vous jure qu’il est super écolo la main sur le cœur, demandez-lui s’il mine du Bitcoin. Et s’il répond positivement, rappelez-vous que c’est comme si un mec en train de manger une cote de bœuf vous jurait — la bouche pleine — qu’il est végan.

Pourquoi le Bitcoin pollue-t-il autant ?

On reportera à cet article publié sur le site Eco-Info du CNRS, Consommation énergétique des technologies blockchain pour comprendre comment, structurellement, le Bitcoin est polluant. En voici un extrait, l’emphase est de mon fait :

“la sécurité (du Bitcoin) repose sur (…) son algorithme de consensus, la preuve de travail où, pour valider un bloc, les différents validateurs sont en compétition pour résoudre un problème cryptographique dont la difficulté est ajustée automatiquement pour qu’en moyenne, un bloc soit validé toutes les 10 min.

Autrement dit, on fait tourner des ordinateur surpuissants pour une compétition autour d’un calcul mathématique, pour déterminer qui va remporter les bitcoins. C’est en cela que la monnaie des banques est infiniment plus économique, car lui n’a pas à résoudre un tel problème pour montrer sa légitimité[3].

Notes

[1] Il ne faut surtout pas confondre la crypto-monnaie bitcoin — qui est un désastre écologique — avec la technologie blockchain, ni avec les autres crypto-monnaies, lesquelles peuvent être moins énergivores car pas basées sur la “preuve de travail” du bitcoin. Voir cette explication sur le site du CNRS

[2] On notera que l’Ethereum envisage de quitter l’approche proof of Work (preuve de travail) — qui provoque cette consommation délirante d’énergie — pour passer à la proof of stake (preuve d’enjeu). Ce changement serait pour bientôt et permettrait de diviser la facture énergétique par au moins 100, mais les mineurs qui ont investi dans la preuve de travail veulent bloquer le processus, preuve de leur totale absence d’éthique. Comme de nombreux pétroliers, gaziers, industriels de l’automobile et de l’aviation, ces gens prefèrent avoir du sang sur les mains et envoyer l’humanité dans le mur plutôt que de changer de business model !

[3] Cela n’empêche pas les banques de polluer par leur financement des énergies fossiles par ailleurs. cf le rapport Banking on Climate Chaos.

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