... et cela m'a laissé une impression bizarre. Evidemment, j'ai suivi, comme tout le monde, la sortie de Netscape 8, basé sur Firefox : quand on travaille dans le monde des navigateurs, quand donne beaucoup d'énergie aux projets Mozilla depuis 4 ans, quand on a passé 7 ans chez Netscape, on se doit de tester Netscape 8, et on peut toujours essayer d'être objectif dans son analyse.

Avant de rentrer dans le vif du sujet, il convient de prendre un peu de recul. Et avant même de tester la bête, il me vient deux réflexions :

Tout d'abord, qui aurait pu croire, il y a encore quelques mois, voire un an, qu'il y aurait autant de changement dans le domaine des navigateurs ? Souvenez-vous : il y a un an encore, la perspective était déprimante : IE6 était encore là jusqu'en 2006 et il allait falloir migrer vers Longhorn (moyennant finances) pour avoir une mise à jour vers IE7. Depuis, Safari 2 est sorti, Opera 8 aussi, Firefox affiche une forme insolente et 300.000 téléchargements par jour, et Xiti titre : Firefox en Europe : on ne l’arrête plus !. Avec Firefox, la concurrence s'est réveillée et Microsoft a avancé la sortie d'IE7 qui, surprise !, devrait tourner aussi sur Windows XP et Windows 2003 server. Tout cela dépasse très largement nos espérances les plus folles, et ce sont les utilisateurs qui en profitent. Une fois de plus, il est démontré que le monopole privé est nocif pour l'innovation.

Ensuite, c'est le fait que Netscape 8 fonctionne essentiellement avec Gecko, le moteur de Firefox et de la suite Mozilla, et donc qu'il respecte les standards. On pourrait me croire ulcéré "que Netscape récupère les efforts de Mozilla", ou encore embêté de voir un concurrent débarquer sur notre marché. C'est tout le contraire. D'abord, quiconque respectant les termes de la licence a le droit d'utiliser notre technologie, notre code. Ca paraît fou, mais c'est ainsi. C'est même tant mieux ! D'abord, c'est une reconnaissance de la qualité de notre travail par AOL. Bon, j'avoue que s'ils avaient pu le reconnaître plus tôt (genre avant de licencier tout le monde, par exemple), je n'aurais pas été mécontent. Mais Firefox n'aurait pas vu le jour et Mozilla Europe non plus. Tout bien réfléchi, c'est sûrement mieux comme ça.

Bon, trêve de circonvolutions préliminaires, et entrons dans le vif du sujet. D'abord, trouver une machine Windows pour tester la bête. Bah oui, Netscape 8 ne fonctionne que sous Windows ! C'est quand même un comble de prendre un logiciel multi-plate-forme et en faire un produit réservé à Windows... Pour faire bonne mesure, le logiciel n'est disponible qu'en anglais, là où Firefox est proposé, si ma mémoire est bonne, en 30 langues. En passant, voila une preuve flagrante de l'avantage du logiciel Libre en terme de localisation : Netscape n'aura certainement pas les budgets pour financer autant de localisation...

Lors de l'installation (fichier de 13,5Mo), on me propose d'installer deux logiciels supplémentaires :

  1. Desktop weather by the Wheather Channel, une application pour la météo ;
  2. Real Arcade, de RealNetworks, d'une valeur de $19,95 (tu parles !), une inscription obligatoire auprès de RealNetworks, un contrat de licence qui laisse un drôle de goût, la faute à l'obligation d'accepter la mise à jour automatique et la communication entre ma machine et les serveurs de la société. Tout cela me met mal à l'aise... Mais comme personne ne lit les contrats de licence, je suppose que tout le monde s'en accommodera...

Les logiciels, une fois installés, se lancent. L'impression de départ est plutôt bonne. L'interface utilisateur est originale, dans les tons Netscape. Petite bizarrerie : les menus sont en haut à droit de la fenêtre. On sent la volonté de truffer le produit de fonctionnalités : actualité permanente, météo, qui ne correspondent pas à mon besoin (surtout que j'ai plutôt tendance à me désintéresser de la météo américaine et des dernières Busheries).

L'interface semble bien plus simple que la dernière version beta, et c'est un progrès. Pourtant, il reste beaucoup à faire. Dans la volonté de se distinguer des autres navigateurs, AOL semble opter pour la démarche "plus, c'est mieux", et c'est l'un de ses vieux travers, comme l'ont démontré Netscape 6 et 7, et aussi le client AOL.

Reste la véritable innovation de Netscape 8 : l'utilisation des moteurs de rendu d'IE6 et de Firefox en fonction des sites. Dans une certaine mesure, ça peut sembler être une approche pragmatique, mais cette approche a un inconvénient : elle n'incite pas les développeurs Web concernés à produire des sites compatibles avec les navigateurs modernes respectueux des standards (dont Opera, Safari, Konqueror et, bien sûr tous ceux issus de Gecko, comme Firefox, Epiphany, K-Meleon, la suite Mozilla...). Cela me rappelle la regrettable démarche d'Opera, qui identifie par défaut son navigateur comme étant Internet Explorer 6. Cela conforte le développeur Web paresseux dans son impression qu'il n'est pas nécessaire d'améliorer son code "puisque tout le monde utilise IE".

Je m'apprête à quitter Netscape 8, quand il plante soudainement. Voilà qui est fâcheux ! Je relance, re-quitte, ça re-plante. Ah !

Je lis dans l'article de ZDNet, AOL lance un Netscape 8.0 inspiré de Firefox, qu'AOL table sur 15 millions de téléchargements de Netscape 8 d'ici la fin de l'année. Comparé à Firefox et à ses 55 millions en 6 mois, c'est bien peu. Il faut dire qu'en fournissant un produit instable, en anglais et sous Windows uniquement, et destiné aux seuls américains, c'est déjà très audacieux, d'autant que toute l'expertise est maintenant chez une société tierce, Mercurial Communications. Netscape n'est plus, depuis 2003, qu'une coquille vide, une marque utilisée maladroitement par un groupe en perdition, après des errements stratégiques tellement énormes qu'on en est à écrire des livres dessus (un, deux, trois...). Rappelons que Blake Ross et David Hyatt ont proposé à la Direction d'AOL/Netscape de faire un navigateur simple et épuré, et que ce projet a été refusé. Les deux compères ont continué le travail en cachette, persuadés que le jeu en valait la chandelle. Deux ans plus tard, le projet est devenu un produit, Firefox, qui représente une part de marché près de 10 fois supérieure à celle de Netscape. Encore un bouquin sur les erreurs d'AOL en perspective ?