Un gentil lecteur m'a envoyé un article dont le titre était prometteur : Co-création : les nouvelles règles du jeu. Il a été écrit par deux experts qui veulent proposer leurs services dans le domaine (ce qui est déjà limite d'un point de vue déontologique), j'ai trouvé le contenu creux, alors que le sujet est formidablement intéressant.
J'ai laissé un commentaire, mais il n'est toujours pas publié plusieurs heures plus tard. Heureusement, j'ai eu la bonne idée de faire un copier-coller pour éviter qu'il ne se perde !
Voici le contenu de mes réflexions :
Votre article m'a laissé un peu sur ma faim...
La co-création existe bien dans l'Open Source / Logiciel Libre depuis toujours, mais certains cadres sont plus efficaces que d'autres. Chez Mozilla par exemple (où je travaille), la co-création est une réalité depuis 10 ans, et nous travaillons d'arrache-pied à améliorer le système, pour aider les gens à participer et à inventer le futur qu'ils veulent voir exister. Un des fondements de notre approche, c'est que le résultat du travail (en l'occurence du code) appartient à tous grâce à l'utilisation de licences Libres type GPL (ça évite la crainte de se "faire plumer" comme l'explique le 1er commentaire).
Par ailleurs, vous écrivez en conclusion "Les miracles n’existent pas plus sur le web que dans le monde off-line." C'est vrai, et pourtant, il y a une différence fondamentale – presque miraculeuse – qui fait que dans le monde virtuel, quand on partage, on multiplie, alors que dans le monde réel, on divise. On invente une fois, et le résultat peut être utilisé par tous. L'arrivée d'un nouvel utilisateur ne prive pas les précédents de l'invention.
Finalement, avec le recul, je constate qu'on touche aux limites de la co-création si on essaye de faire rentrer le concept dans le moule habituel de l'économie de marché. Du coup, on se demande qui et comment on va récupérer la valeur commerciale de ce qui est co-inventé. On se demande comment rafler l'invention pour la vendre au plus grand nombre. Evidemment, ça pose des problèmes éthiques, et ça rend les contributeurs potentiels méfiants.
Chez Mozilla, on fait de la co-création au quotidien. Le système fonctionne bien, mais on s'assure qu'il continue de s'améliorer en permanence. Voici quelques pistes sur lesquelles on travaille :
- Le résultat du travail est réutilisable par tous. On ne cherche pas à "rafler la valeur créée". Pour ça, on a les licences Libres (le code de Firefox est sous triple licence MPL/GPL/LGPL).
- On s'efforce d'abaisser les barrières à l'entrée (pas besoin d'un type d'ordinateur spécifique, un éditeur de texte suffit avec une connexion Internet). On travaille aussi à réduire les compétences nécessaires pour participer (par exemple Jetpack) et on cherche à toucher plus de gens, par exemple avec Personas, sur des aspects graphiques ou encore Creative Collective.
- L'organisation est à but non-lucratif (et l'argent qui est généré sert à alimenter la viabilité du projet et assurer son indépendance)
- Le projet auquel on s'attelle est énorme et utile à plus d'un milliard d'individus sur la planète. On fait un navigateur Web qui est actuellement utilisé par plus de 300 millions de personnes. C'est d'autant plus important que le navigateur est l'interface entre les individus et leur vie en ligne.
- Le projet a un certain nombre de valeurs qui le font sortir du lot – explicitement définies dans le Mozilla Manifesto, et le navigateur Firefox n'est qu'un outil qui reflète notre vision et nous aide à l'accomplir.
Je n'ai pas l'intention de donner des leçons en terme de co-création, car il y a plein de choses qu'on doit encore améliorer et repenser, mais je voulais juste partager quelques éléments de réponse provenant de notre expérience chez Mozilla, sans aucune prétention.
10 réactions
1 De quentin - 04/08/2009, 21:27
Certes, Mozilla est un bon exemple de co-création "qui marche", et il y en a d'autre.
Mais est-il possible de faire marcher ces principes, voire les généraliser à d'autres domaines (la musique, l'art, la science... le journalisme ?) dans un monde qui est basé sur l'économie de marché et la propriété privée ?
C'est toujours le même problème : qui va accepter de payer pour les autres ? Personne, ou peu de gens. Dans une économie basée sur la propriété privée, ce qui est public est gratuit, se fait généralement piller par le domaine privé et n'est pas entretenu (l'environnement par exemple). Personnellement je ne vois qu'un financement par la collectivité comme solution.
Mais bon, comme j'y crois aussi, je met quand même un lien vers un article encourageant : "Leçons d’émancipation : l’exemple du mouvement des logiciels libres" http://www.acrimed.org/article3160....
2 De Julien - 05/08/2009, 01:13
Salut tristan,
je suis un lecteur assidu du Standblog depuis pas mal de temps et fervent défenseur de l'Open Source, mais je pense que le modèle n'est pas applicable dans tous les domaines et ce même dans un domaine "numérique" comme le design.
En tant que développeur Java de longue date, je profite et contribue avec mes maigres moyens aux projets Open Source. Les bienfaits et la méthode ne sont plus à prouver. Les business model non plus. Des entreprises comme Red hat même si elles ne sont pas légions le prouvent chaque jour.
En tant qu'utilisateur, je bénéficie des efforts de la communauté Mozilla tous les jours en utilisant firefox à la fois dans mon travail et personnellement.
Mais pour moi, la co créativité peut difficilement s'appliquer sur des aspects graphiques. Lors de l'ouverture de la communauté : http://creative.mozilla.org/ j'ai eu de sérieux doutes sur le bénéfice que peuvent en retirer les participants?
Je connais mal le monde professionnel du design et de la création graphique, mais je m'y intéresse pas mal et quand j'ai lu, sur https://wiki.mozilla.org/Design/Cre... cette phrase :
Benefits:
L'agumentaire sur le bénéfice pour les designers est un truc vu et revu et sur les concours organisé par des sociétés peu scrupuleuse pour bénéficier de visuels à pas cher. La ou je fais une différence, et tu le mets bien dans ton post c'est la philosophie mozilla avec le Mozilla Manifesto.
Mais quid de la redistribution de ce genre de travaux ?
J'ai beau chercher, autant pour la réutilisation de code cela me semble évident, autant pour la partie design j'ai plus de mal. Pour tout ce qui est règles ergonomiques, bonne pratiques de conceptions, la communauté creative commons est un atout indéniable et on peut y apprendre beaucoup de choses, mais pour la réalisation de visuels purs, je reste dubitatif (non ce n'est pas un mot sale )
Alors peut être que je me trompe sur la façon dont se monte la communauté creative commons. Et surtout ce n'est qu'un exemple sur le sujet de la co création.
Bon voilà, j'ai pas fait avancé le schmilblik d'un iota, mais on peut toujours en discuter.
@+
3 De E-FI - 05/08/2009, 15:19
Bonjour, et merci de votre intérêt pour l'article paru sur le blog E-FI, et merci également pour votre commentaire. Nous regrettons que votre premier commentaire ne soit pas paru sur le blog. Soyez convaincu que cela ne peut être dû qu'à un problème technique. En effet, nous n'avons pas pour politique de filtrer ou de supprimer quelque commentaire que ce soit. A bientôt,
Le blog E-FI.
4 De Laurent - 05/08/2009, 15:43
Tout d'abord, merci Tristan pour ton excellent blog, et merci Mozilla pour tes applications que j'affectionne.
Je voudrait tout de même émettre une critique concernant le navigateur Firefox que j'utilise intensivement et que j'apprécie énormément. Et c'est certainement pour ces deux raisons que Firefox m'énerve aussi.
Firefox plante (sur Ubuntu, sur Debian ou sur Windows) au moins une fois par journée d'utilisation. Quand Firefox plante, il le fait bien : tous les onglets et toutes les fenêtres plantent en même temps. Pas grave, Firefox nous propose de retrouver toutes les fenêtres et les onglets perdus lorsqu'on le relance ! Sauf que dans toutes ces fenêtres et tous ces onglets, il y a immancablement celui qui a tout fait planté et qui refait tout planter inexorablement. On pourra toujours dire que c'est la faute à telle ou telle page qui ne respecte pas les standards du web... N'empêche, si Linux réagissait comme Firefox, c'est tout le système qui tomberait quand Firefox plante. Heureusement, ce n'est pas le cas ! Ce qui m'étonne dans tout ça, c'est que je n'entends que des louanges de Firefox et très peu de critiques. C'est facile, Firefox c'est bien et IE c'est mal. Suis-je le seul à endurer tous ces plantages de Firefox ?
Alors pour moi, Firefox est bien, qu'IE vive ou meure je m'en fout, mais Firefox doit surtout devenir meilleur !
5 De Samuel - 05/08/2009, 16:17
La "co-création", la réduction de la frontière "utilisateur-consommateur/créateur-producteur", ... oui, on peut effectivement dire que le numérique bouleverse nos repères traditionnels. La GPL est un magnifique rempart pour garantir la péreinité d'une dynamique de partage et empècher que la générosité offerte au bien commun ne soit sournoisement récupérée par des prédateurs et autres profiteurs clandestins. Mais la vigilance doit restée en éveil car l'imagination des prédateurs est trés développée. Je recommande particulièrement la lecture du livre : "Le travail du consommateur" de la sociologue Marie-Anne DUJARIER qui montre le "talent" des capitalistes pour vampiriser le bénévolat citoyen. ... De même il faut se méfier de la "gratuité" qui n'est pas toujours une vraie gratuité à long terme (voir le livre "De la Gratuité" de Jean-Louis Sagot-Duvauroux). N'oublions pas que meme la lune a une face cachée. Que le monde est complexe ...
P.S : Tristan, je ne connais votre netiquette pour les URLs mais je me permets de faire une petite publicité citoyenne et désintéressée pour ces deux livres :
http://www.editionsladecouverte.fr/...
http://www.lyber-eclat.net/lyber/sa...
6 De Vladimir Vodarevski - 05/08/2009, 19:49
Je pense que l'article d'E-Fi traite plutôt des moyens pour une entreprise d'améliorer ses produits, ou d'en créer de nouveaux, en optimisant les interactions entre ses employés, avec ses clients, et entre ses employés et ses clients.
Les règles de l'économie de marché ne s'applique pas à Mozilla car Mozilla n'est pas une organisation à but lucratif. C'est une sorte de service public, presque mondial, et privé. Ce caractère de service public privé lui donnant un côté quasiment libertaire.
7 De sonny - 05/08/2009, 21:57
Laurent: As-tu été pauser tes questions sur un forum d'aide et de support utilisateur?
Sinon je te recommande chaudement de le faire: http://www.geckozone.org/forum/view...
8 De Zobiuk - 05/08/2009, 22:42
>> Laurent :
Pour ma part, j'utilise FF au quotidien en tant que développeur, et je n'ai pas de plantage avec FF, et ce sur 3 stations distinctes, et de générations différentes.
Savoir si IE doit mourir ou pas n'est pas une vraie question, ou alors biaisée. La vraie interrogation serait de savoir QUAND ils comptent ( chez MS ) respecter les standards que les dérivés de Mozilla et les dérivés du Webkit supportent sans difficulté. Quand on voit le taux d'utilisation de IE, c'est un vrai scandale !
Pour en revenir au sujet principal, à savoir la co-création, il s'agit d'un vaste débat. Pourtant, nous avons des exemples de réussites de ce modèle. Sans parler de navigateur, ou d'application online, je voudrais attirer l'attention sur les moteurs graphiques que John Carmack (id Software) a publié sous licence GPL et qui sont encore les fondations de nombreux moteurs actuels. Un seul homme a été à l'origine d'une vraie métamorphose de tout un secteur, pouvons-nous parler de co-création ? Dans la mesure ou les applications résultantes des prouesses de Carmack n'ont pas été publiées, je dirais non. Pourtant, il y a vraiment eu un AVANT et un APRES.
Partager pour améliorer c'est une idée noble. Mais partager pour se faire "pomper" n'apparait pas de prime abord un concept enviable. Pourtant, je reste convaincu que certains se fichent de savoir si leurs travaux seront "re-pompés", tant que ça fait avancer le chmilblick de toute la communauté.
Tirer sans cesse la couverture à soi, ou bien faire progresser l'humanité tout entière, je ne me pose pas la question trop longtemps, j'ai choisi mon camp !
9 De Samuel - 06/08/2009, 15:44
Internet et l'économie numérique apparait comme une sorte d'Eldorado, de terre vierge où tout est encore possible ... C'est une terre sauvage accueillant autant les gros et les petits mais jusqu'à quand ? Progressivement les gros vont manger les petits. Comme pour le far-west, il va bientôt y avoir des sherifs et on va chasser les indiens libristes d'origine. Comme pour les spectacles libres dans le métro, il faudra bientôt une autorisation de la RATP pour sortir son violon. Comme pour l'ouverture des ondes pour les radios libres en 1981, on risque bientôt de se retrouver à écouter de la purée sur Skyrock ou NRJ, ... l'avenir du net, du vrai net, me parrait bien inquiétant. Svp, quelqu'un pourrait me faire un bisou pour me rassurer. Svp ! Svp !
10 De Laurent Claessens - 06/08/2009, 17:57
@quentin
"
Mais est-il possible de faire marcher ces principes, voire les généraliser à d'autres domaines (la musique, l'art, la science... le journalisme ?)
"
Pour les sciences, la réponse est oui. Le concept de publication et de laisser les autres lire et copier son travail est dans la définition du mot "science".
En fait le logiciel libre n'a rien inventé comme méthode de travail. Publier souvent, propager le plus possible, demander l'avis de tout le monde et ouvrir tout le travail, c'est ce que les scientifiques font depuis des sciècles.
Pour l'art, je suis nettement moins sûr. D'ailleurs, ça se voit dans les licences : la Creative Common n'est absolument pas de la musique libre au sens de la GPL. La GPL demande les sources, mais les CC ne demandent pas les les partitions. Si un artiste ne publie pas les partitions, faut pas rigoler, c'est de la musique fermée. Jamendo est plus du gratuit que du libre.
Un peu par définition de l'art (au sens de Proust), c'est impossible de collaborer pour créer une oeuvre d'art.