Les gilets jaunes manifestent à Avignon par Sébastien Huette — licence CC-BY-NC-ND
Ces derniers jours, j’ai parlé de 3 articles passionnants pris séparément. Mais pris ensemble, mis en perspectives, ils sont encore meilleurs et démontrent à quel point Facebook est devenu un élément détonnant dans un contexte explosif. Les voici :
- « Gilets jaunes » : un cas d’école de la polarisation du débat public ;
- « C’est comme ça qu’on s’informe » : au sein des « gilets jaunes », Facebook plutôt que le « système » médiatique.
- Après avoir Liké, les gilets jaunes vont-ils voter ? ;
De chacun de ces articles, je tire une idée (pas forcément la plus centrale de l’article). Les voici, dans le même ordre :
- Plusieurs facteurs dans le débat sur les gilets jaunes font qu’il y a polarisation comme jamais auparavant. Les politiques font des petites phrases, les sites parodiques balancent des énormités, les gens sur Facebook relayent tout ce qui va dans leur sens (biais de confirmation) sans trop soucier de vérité, la presse ne parle que des manifs qui dégénèrent et enfin Facebook affiche les articles le plus susceptibles de créer de l’engagement (comprendre : faire réagir le lecteur en bien ou en mal) ;
- Les gilets jaunes, rejetant les médias traditionnels, ont tendance à s’informer sur Facebook, quitte à s’abreuver de fausses nouvelles. C’est un peu comme le téléphone arabe de notre enfance, sauf qu’en plus chacun est en colère (ça amplifie les déformations) et que le média (Facebook) favorise les messages les plus outranciers, peu importe qu’ils soient faux.
- Facebook sait précisément, nommément, qui a lu, liké, partagé, commenté (en bien ou en mal) des messages et vidéos sur les gilets jaunes. Facebook propose des catégories publicitaires automatiques extrêmement fines. C’est ainsi que la firme de Mark Zuckerberg et de Sheryl Sandberg a vendu (sans le réaliser) de la publicité ciblant des gens “détestant les juifs”. Facebook reconnait avoir été utilisé par les russes pendant l’élection présidentielles américaine de 2016. Et ça a recommencé en 2018.
On peut très bien imaginer lors de prochaines élections en France, une campagne d’intoxication médiatique visant les supporters des gilets jaunes et financée par un pays étranger voulant déstabiliser la France (rappelons le soutien de Poutine à l’extrême-droite en France et aux USA). Facebook dispose de tous les ingrédients nécessaires :
- Audience : Facebook est déjà utilisé par cette population ;
- Intimité : Facebook sait tout des opinions de chacun des utilisateurs ;
- Polarisation : Facebook est incité à mettre en avant les contenus les plus outranciers, qu’ils soient vrais ou faux ;
- Ciblage : Facebook permet de cibler les gens très finement en fonction de leurs opinions ;
- Finances : Facebook a une forte incitation financière à le faire : son business model qui le pousse dans ce sens-là.
Tout est en place pour rendre “intéressantes” les prochaines élections en France. Voilà qui n’est guère rassurant pour l’avenir. En substance, tous les ingrédients pour un Cambridge Analytica français sur base de gilets jaunes sont présents.
Mises à jour
- Voici un dessin de Marc Dubuisson sur la radicalisation via Facebook fort à propos, comme souvent.
- Olivier Ertzscheid (auteur de l’article #3 ci-dessus) explique à la Tribune de Genève comment Facebook “survalorise des sentiments d’injustice”. Il ajoute : « Facebook est un outil formidable pour favoriser l’émergence et l’évolution des mouvements, mais il rend les conditions de la victoire impossible, puisque son intérêt n’est pas que la révolution aboutisse, mais que la machine à revendications tourne à plein régime. Son algorithme va constamment jeter de l’huile sur le feu, pour entretenir cette interaction permanente qui construit le modèle économique de Facebook. » ;
- Sur Twitter, où on peut remarquer que sur les 600 comptes qui relayent les vues du Kremlin, le hashtag #GiletsJaunes est le plus actif. Voir aussi Russian accounts fuel French outrage online et « Gilets jaunes » : les autorités enquêtent sur de faux comptes Internet.
6 réactions
1 De Sorgin - 07/12/2018, 19:30
Salut
Je voulais te contacter par mail pour une invitation pour une conférence, mais le formulaire de contact de ton blog n'est pas accessible (erreur 404). Alors je passe par le commentaire
2 De v_atekor - 08/12/2018, 11:16
Tout à fait juste pour le point 2. Et ce faisant, Facebook fait le lit de ceux qui n'ont aucun intérêt à ce qu'une solution soit trouvée, c'est-à-dire ceux qui ne jurent que par l’insurrection. Les deux extrêmes se retrouvent alliés sous le haut patronage de Facebook, honnis par les uns pour être ultra-capitaliste, honnis par les autre pour être un pouvoir étranger en France. Ce serait cocasse si ce n'était pas terrifiant.
3 De gojul - 08/12/2018, 15:21
Il est vrai que l'absence de pluralisme de la presse en France induit beaucoup de défiance et bénéficie au final à Facebook.
Par absence j'entends le fait que quasiment tous les journaux appartiennent aux quelques mêmes milliardaires etque ça les contraint à passer des sujets tels que la délinquance en col blanc sous silence...
4 De Sergio - 23/12/2018, 10:57
Au delà de la façon dont s'est propagé le mouvement, au-delà des propos peu courtois (euphémisme) qui ont été entendus ici ou là au hasard d'un micro ou d'un téléphone tendu pour ne capter que le pire, au delà de l'algorithme foireux de face de bouc qui concentre l'information (et la désinformation) au sein d'un même noyau sans y faire entrer la contradiction, il n'en est pas moins vrai que la révolte des sans-dents était latente.
Nous avons des élus proches (nos maires, arcboutés sur leurs sièges - nombreux - et leurs indemnités) qui n'ont rien vu parce qu'ils ne veulent rien voir ou se contentent des belles et jolies informations du jité de midi de la une pour s'assurer que les administrés vont bien.
C'est bien sûr une révolte de comptoir mais elle n'en est pas moins fondée, même si les revendications sont devenues une liste à la Prévert. Alors comment fallait-il faire pour la faire remonter au 1er de cordée puisque les relais démocratiques n'ont pas (et n'ont jamais) fonctionné ?
À l'évidence, les rézosocios ont été les moteurs de la *croissance* de la révolte (mais pas de la révolte elle-même) qui a fait trembler-reculer Jupiter, pour qui comme pour tant d'autres, la rue ne doit pas s'imposer à l’État.
D'autres PdR ont reculé devant la rue. Souvenez-vous du grand Charles qui s'est sauvé à Baden-Baden en 68, fuyant la chienlit.
Dire que la presse n'a pas fait son boulot n'est pas tout à fait juste car il lui arrive souvent de remonter des informations sociales dramatiques. Mais ça reste des lignes d'encre sur un papier à emballer le poisson ou un fil d'actualité qui se retrouve vite au fond de la pile. Et elles sont souvent émises par des médias peu lus (comme tous les médias écrits du reste) et jamais trop par les médias visuels ou sonores.
Ce sont nos élus qui n'ont pas fait leur travail. Ni plus, ni moins. Et que je sache, quand on ne fait pas son travail, on est viré, non ?
5 De Sergio - 23/12/2018, 11:18
Encore moi... J'ai zieuté la photo "professionnelle" qui illustre l'article: ben j'ai un doute et l'EXIF correspondant montre bien un passage par Photoshop. N'étant pas abonné Flickr, je ne peux pas contacter l'auteur.
Ce que montre l'écran du smartphone de la personne de dos en 1er plan n'a pas grand chose à voir avec ce qu'il y a devant l'objectif...
Ça n'enlève rien à l'image mais ça lui rajoute un truc un peu inutile qui ne donne aucune information supplémentaire. Il y a une part de mise en scène là-dedans qui me gonfle... C'est perso bien sûr mais la photo et son traitement, c'est 25 ans de métier dans mes neurones.
À propos de manipulations de l'image, je vous renvoie à l'excellent livre, toujours disponible, d'Alain Jaubert : Le Commissariat aux archives : Les photos qui falsifient l'histoire (1992 - Éditions Barrault).
6 De antityran - 24/12/2018, 20:35
Régime de représentation des partis contesté et en crise:ce régime n'existe que par les médias qui en sont à la fois la source de légitimité et la caisse de résonance.BFM WC & consorts aux éditocrates grassement payés (+ 20 000 euros) et pourtant fort peu éclairés sont bien un obstacle à l'expression populaire muselée notamment depuis la négation du résultat du suffrage universel survenue en 2005.Depuis lors,face à des pouvoirs représentatifs et pourtant illégitimes les multiples composantes du peuple (au sens de gouvernés)n'ont pas d'autres solutions que de s'exprimer par d'autres canaux:réseaux sociaux,assemblées générales,référendum ou consultation populaire comme celui organisé au sein de la poste et de la sncf,actions syndicales et professionnelles,interpellations d’élus ne défendant pas l’intérêt général,boycotts.L'élargissement et la revivification d’une démocratie moribonde se feront en arrachant à ces pouvoirs déconsidérés ce qui nous est dû en application de l’article 3 de la constitution (« la souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum »).Il va sans dire que ses représentants ne se limitent en rien aux membres du parlement.Cet article de la constitution est important car il fait de notre pays un pays démocratique.Il n’est en rien une monarchie,encore moins une tyrannie.Les actuels gouvernants de la France font pourtant mine d’ignorer la constitution :qu’ils se méfient quand même car il se pourrait bien que dans un avenir proche des comptes leur soient demandés.Les représentants de la nation n’ont aucune légitimité lorsqu’ils font exécuter des mesures violant la loi,les droits fondamentaux de la personne humaine comme l’intérêt supérieur de la nation : négation du résultat du scrutin de 2005,régime juridique de faveur appliqué à des responsables politiques tels que sarko,tron ou ferrand,dépenses fiscales inconsidérées en faveur des + fortunés,privilèges fiscaux pour les + fortunés,protection de l’Etat accordée à de puissantes banques privées convaincues de fraudes massives,liquidation et vente à la découpe du groupe industriel Alsthom,soutien inconditionnel de l’Etat accordé à des patrons voyous tels que bolloré,arnault ou ghosn,centaines d’adolescents et de militants politiques jetés en prison…etc.Ces multiples désordres & injustices qui ne sont pas dignes de la France et qui la ruinent doivent cesser.
La virulence et la violence d’une répression inédite prouvent amplement que les revendications populaires sont justifiées et légitimes.Il faut mettre un terme aux politiques néfastes qui étouffent la France depuis + de 10 ans et appliquer les mesures figurant au programme des gilets jaunes, d’urgence, dans l’intérêt de notre pays.