Pub pour l'iPad : saisie interdite

iPad: No entry (pas d'entrée / pas de saisie)

Vendredi dernier, Apple a sorti en France l'iPad. Ca fait pile 4 semaines que j'ai celui du bureau, et qui me donne souvent l'occasion de rigoler. La scène ressemble généralement à ceci :

  • J'arrive, détendu, l'iPad sous le bras, devant quelqu'un, et je lui lance "t'as déjà vu un iPad ?"
  • On me répond par la négative, des points d'interrogation dans les yeux…
  • Je montre l'engin et, magnanime, je le prête, démontre où il faut cliquer pour les applications les plus spectaculaires (Safari, Plans et Photos) et je laisse la personne jouer 3 minutes.
  • On me le rend à regret, la bave aux lèvres[1] et demande presque toujours : "alors Tristan, t'en penses quoi de l'iPad ?"
  • Et moi de répondre, très sérieusement : "c'est vraiment de la merde !".

Évidemment, après avoir ainsi choqué l'interlocuteur, j'ai du mal à garder mon sérieux. Évidemment, l'iPad est superbe. Finition, interface, rapidité, tout est fait pour en jeter plein la vue. Mais un fois qu'on s'est fait dépouiller d'un demi SMIC pour pouvoir toucher le "futur de l'informatique" du bout des doigts, il reste à savoir ce qu'on va faire de l'iPad, cet iPod Touch géant qui nous ramène à l'époque des CD-ROM… ;-)

Cory Doctorow nous l'explique :

on dirait vraiment le retour de la « révolution » CD-ROM, quand l’industrie du « contenu » proclamait qu’elle allait réinventer les médias, en concevant des produits hors de prix (à fabriquer et à acheter). J’ai commencé ma carrière dans l’informatique en tant que programmeur pour des CD-ROM, et j’ai moi aussi ressenti cet engouement, mais j’ai fini par comprendre que c’était une impasse et que les plateformes ouvertes et les amateurs inventifs finiraient par surpasser les pros roublards et disposant de gros budgets.

Je me rappelle les premiers jours du Web - et les derniers jours du CD-ROM - quand tout le monde s’accordait à dire que le Web et les PC étaient trop « geek », trop compliqués et trop imprévisibles pour « ma mère » (c’est incroyable le nombre de technophiles qui mettent leur mère plus bas que terre). Si on m’avait donné une action d’AOL à chaque fois qu’on m’a dit que le Web allait mourir parce qu’AOL était simplissime et que le Web était un vrai dépotoir, je serais un gros actionnaire. Et mes parts ne vaudraient pas grand-chose.

Je recommande la lecture de l'ensemble de l'article qui est un vrai plaisir.

Pour continuer, une autre lecture, en français aussi, La boutique contre le bazar. C'est un peu plus ardu, mais passionnant[2]

Ce qui me chagrine avec l'iPad, c'est justement qu'il est beau, qu'il va réussir à établir une nouvelle plate-forme matérielle là où d'autres vont échouer. Ce qui me chagrine, c'est qu'Apple, qui donnait le pouvoir aux utilisateurs en 1977 avec l'Apple ][, qui continuait avec le Mac en 1984 en en faisant la machine des créatifs, cherche aujourd'hui avec l'iPad à enfermer ses clients pour les gaver de contenu numérique payant[3] tout en prétendant détester les DRM.

Je pense que l'iPad va avoir du succès. Pas besoin d'être devin pour faire une telle prédiction : le produit est sexy, l'envie a été amplifiée par une presse qui espère trouver en Apple le sauveur du modèle payant. Du coup, deux millions d'iPad ont été vendus en deux mois.

Mais ce que je n'aime pas chez l'iPad d'Apple, c'est la direction dans laquelle nous nous dirigeons en tant que société, où l'utilisateur est réduit à consommer, où la bidouille et la créativité[4] sont interdites, où un gardien décide de ce qui est bon pour vous et donc ce qu'il daigne vous autoriser à utiliser. Et ça, c'est à peu près l'opposé de la société que je souhaite, en tant que père, citoyen numérique et du monde, activiste et et producteur de contenu numérique.

Notes

[1] Et la banane comme un canon, pour ceux qui connaissent leurs classiques ! ;-)

[2] Au passage, on remarquera que Mozilla est le seul des éditeurs de navigateurs à se situer dans le "bloc du centre", celui qui partage et dissémine l'information. Et ça n'est pas un hasard : c'est un choix qui structure tout le projet.

[3] Souvenons-nous que pour Steve Jobs, le Web sur l'iPad est un mal nécessaire et Apple ressemble de plus en plus à AOL.

[4] Et la bidouillabilité et la générativité qui en découlent.